Quand la souffrance écologique influence notre santé mentale

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60% des jeunes sont « très » voire « extrêmement » inquiets face au changement climatique mondial. C’est l’une des conclusions alarmantes que met en avant une étude scientifique parue en cette rentrée des classes1. Cette inquiétude se décline en divers états émotionnels. La multiplicité des réactions possibles face à ces émotions qui nous assaillent peut se répartir sur un continuum allant de la paralysie et la dépression à une sublimation en actions concrètes vers des projets de transition désirable, des activités créatives ou artistiques… Et le chemin pour y parvenir, souvent chaotique, n’est dans tous les cas jamais linéaire.

Mettre des mots sur des émotions

Dérèglement climatique, fonte des glaces, déforestation, pollution, …  si la simple évocation de ces termes éveille en toi des émotions fortes , rassure-toi, c’est que tu es en bonne santé.

Bien que les médias et le milieu scolaire ne nous informent pas suffisamment sur les causes et conséquences de ces menaces pour qu’une conscience collective se bâtisse, nous sommes de plus en plus nombreux à nous sentir concernés par la nécessité d’un changement radical si nous voulons limiter les perturbations plus ou moins irréversibles de notre environnement.

Ainsi, en Belgique, 46% de la population qualifie de « très important » la protection de l’environnement (41% de « plutôt important ») 2. Si l’unanimité semble pratiquement de mise, la réaction est très variable entre individus face à ce constat.

Le triste bilan médical de notre seule et unique planète affecte notre santé mentale 3. En effet, la peur de voir s’écrouler le monde tel qu’on le connait peut légitimement faire naître en nous un sentiment de peur, d’angoisse, d’impuissance 4, … laisser place à un fatalisme contreproductif voire nous mener vers un état de détresse existentielle.

Nous savons que des décisions efficaces peuvent être prises par nos décideurs pour corriger la trajectoire. Les solutions existent et sont connues. Malheureusement, nous savons aussi que la conscientisation collective prend trop de temps à se construire face à l’urgence. Et que souvent elle est remplacée par un processus d’individualisation des responsabilités plutôt qu’une collectivisation des recherches de solution. Cette exigence qui tend à dédouaner le politique de ses responsabilités peut à elle seule susciter un stress chez les citoyens.

Des actions fortes se feraient par ailleurs au détriment des libertés individuelles d’électeurs à choyer. Des décisions efficaces pour protéger les biens communs risqueraient ainsi d’être perçues comme illégitimes aux yeux des citoyens qui ne font pas de la protection de l’environnement leur cheval de bataille, voire pire, sont dans le déni.

Face à ces tergiversations émergent Peur – Colère – Tristesse – Indignation – Dépression, …  Une notion existe pour décrire ce cocktail d’émotions. Il s’agit d’ « Eco-Anxiété », ou encore de « Solastalgie». Ce concept proposé en 2003 par le philosophe australien Glenn Albrecht désigne l’angoisse et le sentiment de détresse qui nous habite face à la destruction d’un environnement qui nous est familier.

Ni pessimiste, ni optimiste. Réaliste.

Ressentir de l’éco-anxiété n’est, en soi, pas un problème. A l’inverse, si certains n’éprouvent ni tristesse, colère, honte, … par rapport au devenir de notre planète, c’est là qu’il faut se poser des questions… C’est qu’un lien est rompu entre l’humain et son environnement. L’éco-anxiété est la traduction d’une forme de lucidité face à des événements difficilement acceptables, mais objectifs. Des évènements dramatiques qui nous dépassent complètement. Une vague de découragement nous submerge car on sent bien que les décisions nécessaires pour un changement de cap à grande échelle sont hors de notre sphère d’action. Et frôlent à peine notre sphère d’influence. Nous avons toutes les bonnes raisons d’être découragé et frustré quand on voit la lenteur dans la prise de décisions en matière d’environnement mais aussi les résistances fortes de nombreux citoyens qui refusent de changer leur style de vie.

Cette « souffrance écologique » se traduit en symptômes aussi bien psychiques (stress post-traumatique, dépression, anxiété, …) que physiques (fatigue, insomnies, troubles digestifs,…). Bien que non-reconnue par l’OMS dans la liste des maladies officielles (CIM), le nombre de personnes s’adressant à des psychologues (éco-psychologues) pour faire part de cette souffrance semble augmenter. Chacun réagit différemment. Certains arriveront assez vite à prendre du recul et à relativiser. D’autres vivront des épisodes de déprime plus ou moins longs.

Citoyen engagé ou non, l’éco-anxiété s’exprime donc par un panel d’émotions. Etymologiquement, « émotion » signifie « mettre en mouvement ». L’opportunité existe donc d’utiliser cet état d’âme comme un moteur propice au changement. Il est possible de partager nos préoccupations à des oreilles que nous savons attentives. Nous sommes peut-être moins seuls qu’on ne le pense à vivre cette souffrance écologique. Rejoindre des collectifs déjà actifs pour des causes qui nous animent est une option à saisir. Un travail de deuil relatif à la perte de la planète telle que nous l’avons connue sera sans doute nécessaire.

La souffrance pourrait devenir une force. Reconnaissons nos limites et agissons là où l’on identifie à la fois une responsabilité et une capacité d’action. Les problèmes dont on parle ici sont des problèmes systémiques. Les changements doivent s’opérer à différents niveaux : le citoyen est loin d’être seul à la manœuvre. Il est certain que le niveau politique ou les grandes entreprises ont des leviers d’action plus importants. On est donc bien d’accord que les grandes décisions propices à un changement efficace doivent se prendre à un niveau plus global. Mais faisons notre part. Le monde tel que nous l’avons connu n’est pas à l’agenda du futur, mais ne négligeons pas l’importance des actions individuelles et collectives au présent !


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  1. Marks, Elizabeth and Hickman, Caroline and Pihkala, Panu and Clayton, Susan and Lewandowski, Eric R. and Mayall, Elouise E. and Wray, Britt and Mellor, Catriona and van Susteren, Lise, Young People’s Voices on Climate Anxiety, Government Betrayal and Moral Injury: A Global Phenomenon. Disponible via: https://ssrn.com/abstract=3918955 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3918955
  2. Eurobaromètre spécial 501, « Attitudes des citoyens européens à l’égard de l’environnement », Commission Européenne, Décembre 2019
  3. Cianconi, Paolo et al. “The Impact of Climate Change on Mental Health: A Systematic Descriptive Review.” Frontiers in psychiatry vol. 11 74. 6 Mar. 2020, doi:10.3389/fpsyt.2020.00074
  4. Cunsolo, A., Ellis, N.R. Ecological grief as a mental health response to climate change-related loss. Nature Clim Change 8, 275–281 (2018). https://doi.org/10.1038/s41558-018-0092-2