Janine Kievits: 25 ans au service de l’aménagement du territoire

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Après 13 années passées au sein de la Fédération en qualité de chargée de mission “Aménagement du territoire”, Janine Kievits a décidé de nous quitter pour se mettre au service de sa passion, les abeilles. A l’heure de rejoindre le Centre apicole de recherche et d’information (CARI), elle a accepté de jeter avec nous un regard rétrospectif sur son expérience de suivi très étroit de la politique wallonne et de prise de positions engagées en étroite collaboration avec les acteurs de terrain et les associations locales. Un témoignage d’autant plus intéressant qu’avant de rejoindre IEW, Janine Kievits était membre de “Namur 80”, une association active en aménagement du territoire. C’est donc de facto depuis plus de 25 ans qu’elle est une observatrice attentive en la matière.

Quelles sont selon toi, sur 25 ans, les principales “évolutions” en matière d’aménagement du territoire en Région Wallonne?

JK : Ce qui me vient de suite à l’esprit, c’est la “complexification croissante de la législation”. L’ancien CWATUP paraît une simple comptine au regard de l’actuel. Ce phénomène est, je pense, imputable à la fois à l’autorité qui a en charge cette matière, à la complexification en général de la société et aussi à l’Europe qui impose la transposition de Directives.

Une seconde évolution marquante est l’estompement progressif de la distinction entre ce qui relève de la sphère publique ou privée. Sur base d’un légitime souhait de simplification administrative, on en vient, pour contourner les difficultés, à céder la main au privé: le promoteur devient progressivement le pilote des projets, puis se mue en planificateur. Ce qui, bien entendu, “ampute” l’autorité de sa fonction de décideur. Il n’y a donc plus d’arbitrage, de la part de l’autorité publique, entre les différents intérêts privés en présence.

Enfin, troisième constat, et sans aucun doute le plus fondamental: on assiste à une urbanisation toujours plus importante du territoire de la Wallonie. Et la lutte contre ce phénomène est urgente et incontournable! Le mitage du territoire wallon est hélas une réalité et l’on assiste à la disparition progressive du “vivre en adéquation avec un lieu”. Le village n’est plus qu’un décor, le lien social se distend et s’effrite… Et la biodiversité trinque, les terres agricoles disparaissent…

Ces trois constats ont pour conséquences:
• d’un point de vue pratique: on ne sait plus que faire! Tout change tout le temps et devient complexe au point qu’on ne peut s’y retrouver.
• d’un point de vue culturel: le citoyen ne fait plus confiance en un véritable arbitrage du pouvoir public. Et on peut le comprendre: l’autorité s’est mise dans une situation où elle perd effectivement cette capacité d’arbitrage, probablement séduite par l’imagerie mentale d’un monde économique “sauveur de la wallonie” auquel il faut laisser la main.


Au sein de la Fédération, tu as traversé 3 législatures qui ont vu respectivement Michel Lebrun (Cdh), Michel Foret (MR) et André Antoine (Cdh) aux commandes de l’aménagement du territoire. Qu’est-ce qui différencie ces trois mandats?

JK : Pour moi, il n’y a aucune différence propre à la couleur politique. Ce qui est déterminant, c’est la personnalité du Ministre et le fait que la “mayonnaise ministre/cabinet” prenne ou pas. La “mayonnaise Foret” a bien pris. Et il y a eu des gens de qualité dans chaque cabinet.


Comment vois-tu le rôle ou, mieux, l’influence de la Fédération Inter-Environnement Wallonie dans l’évolution des politiques de l’aménagement en RW? Et partant, l’évolution de l’action d’IEW?

JK : Avec le recul, je pense que le rôle de la Fédération se situe plus du côté de la définition et la proposition d’une “voie alternative” que du côté d’un “contre-pouvoir”. Je n’ai pas l’impression qu’on ait été un acteur véritablement influent au niveau des dossiers : on a souvent l’impression de perdre, sur ce plan. Si on perd au niveau des dossiers, par contre, on gagne vraiment au niveau de la culture. Et ce, grâce à la conjonction d’une grande liberté d’expression et du fait que jamais on n’a baissé pavillon.

Ce qui est aussi certain, c’est qu’il était difficile, au début des années 80 d’imaginer que l’environnement aurait pris une telle place.

Enfin, il m’apparait de plus en plus que beaucoup de désastres environnementaux sont le résultat du primat d’une économie dont le seul objectif serait la croissance du PIB à n’importe quel prix.


La mobilisation associative a joué un rôle important dans ton travail à IEW: tu es restée en permanence attentive à ce que les acteurs locaux soient associés à votre travail et ce, dans tous les dossiers que vous avez suivis. La mobilisation a-t-elle changé?

JK: Tout d’abord, je tiens à rendre un hommage appuyé aux associations qui ont porté avec une tenacité exemplaire l’ensemble des enjeux liés à l’aménagement du territoire. Leur rôle fut déterminant dans la lutte contre certaines dérives importantes.
Sur 20 ans, il y a eu un changement de culture tant dans la population qu’au niveau du pouvoir. Les associations se sont plus ou moins bien adaptées. La complexification de la législation a fortement compliqué leurs tâches. Dans mon travail, j’ai cependant toujours veillé à ce que la conscience citoyenne ne remplace pas l’arbitrage politique: je crois fermement en la puissance de l’Etat! La mobilisation, c’est un soutien (ou non) aux politiques. Surtout, ne disons pas aux gens que tout repose sur leurs épaules.


Le phénomène NIMBY (not in my backyard, pas dans mon jardin) est-il différent (plus fort? Plus présent?…) de ce qu’il était il y a 20 ans?

JK : J’ai l’impression que ce phénomène est plus fort aujourd’hui. D’une part, les gens ont, globalement, une perception assez négative des entreprises, qui, pourtant, restent des acteurs-clés en Wallonie comme ailleurs. D’autre part, en milieu rural, les difficultés entre ruraux et néo-ruraux sont fréquentes et interrogent sur le devenir de l’espace rural. Enfin, l’agencement des maisons dans les lotissements récents donne de plus en plus le sentiment que les gens n’ont plus envie de voir leurs semblables et d’être vu par eux. Côté rue: fenêtre du WC et porte de garage(s), terrain entouré de haies denses et ouvertures (baies vitrées) sur l’espace privé entièrement clos . Comment en est-on arrivé là?


Enfin, si tu devais formuler une satisfaction et un regret relatifs à ta mission chez IEW?

JK : Côté regret, je pointe le fait de n’avoir pu consacrer plus de temps à la formation citoyenne aux enjeux de l’aménagement du territoire. C’est une matière à la fois extrêmement concrète dans la vie de tous et ardue (et de plus en plus comme je l’ai dit) dans sa législation et ces principes. Côté satisfaction: chaque solution concrète obtenue dans le cadre de négociation avec l’ensemble des intervenants. Par exemple, dans le dossier de la carrière “le tellier des prés”, on s’est entendu sur une solution qui permettait de gagner des hectares de terre agricole. On a réellement construit quelque chose ensemble.