Journée mondiale de l’environnement

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Jeune ado, j’ai été profondément choqué, au cours d’une « visite des tombes » le jour de la Toussaint, par la foule se pressant dans un cimetière habituellement désert. Ayant perdu un être cher quelques mois auparavant et étant allé me recueillir plusieurs fois sur sa tombe, je m’étais généralement retrouvé seul dans ce grand cimetière. Le spectacle de mes concitoyens endimanchés défilant pour « faire leur devoir » (pour la plupart d’entre eux sans guère de conviction) en ce jour de Toussaint me révoltait. Exutoire bizarre à mon indignation : d’une plume rageuse et qui se voulait inspirée, j’avais noté dans mon journal de classe scolaire, à la date du premier novembre : « les hommes, maintenant, pensent à leurs morts UNE fois par an ». Compréhensifs, les enseignants et éducateurs ne m’avaient pas tenu rigueur de ce barbouillage intempestif.

35 ans plus tard environ, une visite sur le site des Nations Unies consacré à la journée mondiale de l’environnement a ravivé ce vieux souvenir. Et soulevé les mêmes interrogations : pourquoi une fois par an ? Pour quoi faire : au-delà des intentions affichées, quelle est la motivation profonde de celles et ceux qui participent à cette journée ? Quelle est la raison de l’indifférence de fait observée durant les 364 autres journées de l’année ?

Certes, on peut considérer ces interrogations comme futiles et faire sienne l’affirmation selon laquelle mieux vaut une journée par an que rien du tout. Que c’est toujours « ça de gagné ». Certes. Mais il semble par ailleurs intéressant de mener l’analyse un peu plus loin, de tenter de déterminer si le bilan est effectivement positif et, s’il l’est, dans quelle mesure. Une première démarche consiste à se renseigner à la source, soit sur le site des Nations Unies.

Comme un sentiment de malaise…

Celui qui porte un regard lucide sur les défis environnementaux (j’ai cette prétention) ne peut sortir de cette visite du site des NU sans éprouver un sentiment de profond malaise induit par le fossé, le ravin, le gouffre, l’abîme séparant l’ambition affichée par les NU et les moyens que mobilise l’institution. Genèse du malaise en trois temps. Premièrement, les elles nous rappellent que la journée mondiale de l’environnement (JME ou WED pour world environment day) constitue le « principal moyen par lequel les NU encouragent une prise de conscience et une action d’envergure mondiale pour l’environnement ». L’ambition est donc grande. Les NU précisent que la JME « transforme les actions individuelles en une puissance collective qui génère un impact positif exponentiel sur la planète ». Diantre ! L’ambition est même très grande. Deuxièmement, le thème de cette année est « consacré aux petits Etats insulaires en développement (PEID) dans le contexte plus large du changement climatique ». Certains Etats insulaires risquant, à terme, d’être en tout ou en partie rayés de la carte par la montée du niveau des mers, l’ambition est, tous comptes faits, franchement titanesque. Troisièmement, les NU suggèrent aux personnes et collectifs intéressés un certain nombre de moyens pour faire entendre leur voix : « l’organisation de campagnes de nettoyage, d’initiatives de réduction du gaspillage alimentaire, de recyclage des déchets plastiques, d’expositions d’art, de plantation d’arbres, de concerts, de récitals de danse, … ». Là, on sent le sol se dérober sous nos pieds. Parle-t-on encore de la même chose ? La confusion mentale atteint son comble quand on découvre, sous l’onglet « actions » du site de la JME, dans la catégorie « sport »… une course moto ! (« Des motoristes et leurs familles se rassemblent pour la JME en collectant des déchets et en s’informant à propos des faits et chiffres de la JME »). Brûler du carburant pour son seul plaisir, c’est lutter contre les changements climatiques ?

NU cherchent lucidité et stratégie, désespérément

Que conclure de cette visite sur le site des Nations Unies ? Que celles-ci manquent cruellement de lucidité (non pas sur l’état de l’environnement, mais bien sur les objectifs qu’il est raisonnable de se fixer) et de stratégie. On est même ici proche du niveau zéro de la stratégie, caractérisé par quelques erreurs classiques, dont principalement : (1) le manque de clarification des objectifs, (2) l’absence de définition des valeurs qui motivent l’action, (3) l’utilisation de moyens de natures très différentes sans analyse de leur adéquation par rapport aux valeurs et aux fins poursuivies (tout est bon à prendre) et (4) le désir de ne heurter personne.

Si l’objectif des NU était de rassurer la population, la JME conviendrait parfaitement, qui ambitionne de générer un « impact positif exponentiel sur la planète  » : dormez braves gens, les NU veillent sur vous. Mais l’objectif ne peut évidemment pas être celui-là. S’il s’agissait de faire entrer dans le débat public un sujet qui en était absent, l’outil « journée mondiale » serait adéquat. Mais l’environnement est déjà – bien que sur un mode mineur – présent dans le débat public. S’il s’agissait de pérenniser une sensibilité à la protection de l’environnement naturel, d’autres moyens, plus structurels, seraient préférables. Dès lors, l’ambition ne serait-elle pas plutôt d’évoquer le sujet sans provoquer de rejet immédiat ? L’outil JME serait alors pertinent, qui accueille favorablement tout type d’action citoyenne. Mais peut-on encore parler « d’ambition » à ce stade ?

En fait, les choses sont plus compliquées, les objectifs annoncés étant d’« encourager une prise de conscience et une action d’envergure mondiale pour l’environnement. »

Quel bilan pour la JME ?

La stratégie – ou l’absence de stratégie – suivie par les NU peut générer de nombreux effets négatifs chez les personnes qui s’engagent à leur suite. Découragement (en constatant que « l’impact positif exponentiel » annoncé n’est pas au rendez-vous). Frustration (de ne pas disposer des balises pour juger des effets de son action, pour s’engager plus avant, …). Dédouanement, enfin, dès lors que l’inadéquation entre les actions citoyennes et les défis à relever n’est pas clairement explicitée. Participer à peu de frais à cette journée mondiale organisée par les Nations Unies peut en effet générer le sentiment d’avoir « fait son devoir » et d’être dédouané de tout effort pour un an. Les plus cyniques pourront le formuler clairement (« ce 05 juin, j’ai sauvé la planète, laissez-moi en paix jusqu’au 04 juin prochain »). Les moins honnêtes avec eux-mêmes refouleront le débat, restant sous l’effet cathartique d’une action qui libère la conscience du poids de l’inertie et refusant d’affronter la dissonance cognitive. La chose n’est pas neuve. Les oboles distribuées à la sortie des églises relèvent de la même logique, qui se manifeste également, par exemple, lors des journées sans voitures. L’analogie avec la Toussaint de mon jeune temps est peut-être moins simpliste qu’il n’y paraît. La mort fait peur. L’état de la nature fait peur. Deux peurs refoulées. Dans le premier cas (visite au cimetière), il s’agit peut-être plus (au-delà du désir de se conformer à la norme sociale) de conjurer la mort que de rendre hommage aux personnes disparues. Dans le second (JME), peut-être plus de se rassurer quant à notre avenir terrestre que de tenter de préserver la nature de nos excès.

La somme des effets négatifs rapidement présentés ci-dessus (découragement, frustration, dédouanement) ne risque-t-elle pas de s’avérer plus lourde que celle des effets positifs de la JME (conscientisation et actions) ? Il n’est bien sûr pas possible de répondre à cette question, mais du moins peut-on reconnaître son bien-fondé.

Un obstacle ignoré – par tous !

Face à la gravité des problèmes environnementaux, deux « écoles » s’affrontent généralement. Certains pensent que les solutions doivent venir « d’en haut », et être mises en place par les pouvoirs publics. D’autres estiment que les solutions doivent venir « d’en bas » et être impulsées par des citoyens conscients et actifs. Ce que les uns et les autres négligent généralement, c’est que les deux approches nécessitent – du moins dans les sociétés occidentales – une profonde modification des consciences, dans le sens d’un « retour » à des valeurs d’amour altruiste, de compassion, de bienveillance, de respect. C’est en effet sur base de ces valeurs que, une fois informé et sensibilisé, un individu ou un organisme peut se mettre en action. Faute de quoi on se trouve dans les conditions actuelles où, face aux problèmes environnementaux et humanitaires, « Il est naturel que les victimes s’en émeuvent, il est inquiétant qu’elles soient les seules à s’en émouvoir. »[[Amin Maalouf : Le dérèglement du monde]] Or, ce sont des valeurs dont s’écartent dangereusement nos sociétés, dans lesquelles sont promues la compétition, la réussite personnelle, l’égoïsme. « Dans un modèle de société individualiste, les personnes se conçoivent relativement indépendantes de la collectivité (famille, groupe, nation etc.). Le nombrilisme amène donc ses « victimes » à percevoir leur environnement et les autres en fonction de ce qui les sépare et les différentie, ce qui peut les conduire à un déficit d’empathie. Cette attitude influe tant sur leurs relations interpersonnelles que sur leur respect de la nature.  »[[Ilios Kotsou : Eloge de la lucidité]]

Système éducatif axé sur la compétition plutôt que la collaboration, exposition quotidienne de la majorité de la population à la violence (notamment meurtres, viols et autres tortures à la télévision), stress au travail, omniprésence de l’incitation à la consommation comme vecteur d’affirmation de soi : les populations occidentales ne sont guère incitées à l’altruisme. « Ce nombrilisme est en particulier induit par notre système éducatif ultracompétitif qui nous place en concurrence avec les autres dès l’enfance. »[[Ibid.]] « La conclusion des organisations de santé publique, basées sur plus de 30 ans de recherches, est que regarder des spectacles violents peut conduire à augmenter les attitudes, valeurs et comportements agressifs, particulièrement chez les enfants. Les effets sont mesurables et de longue durée. »[[Michel desmurget : TV lobotomie]]

Pour me résumer, il me semble totalement illusoire de penser initier un comportement altruiste (et, assurément, la protection de l’environnement au bénéfice principal des générations futures relève du plus pur altruisme) chez un individu baigné dans une culture individualiste. Ce problème étant délaissé tant par les pouvoirs publics que par les ONG, il pourrait y avoir là un beau défi pour les Nations Unies : organiser, en 2015, une JME (journée mondiale de l’empathie) – avec l’objectif clair de faire émerger le débat public à ce sujet.