L’empire d’essence

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God bless the RTBF ! Ce mercredi 22 février 2012 à 8 heures et quelques minutes, notre bonne vieille radio nationale a en effet brisé l’unanimisme larmoyant autour du « prix du carburant qui atteint des sommets » et du « passage à la pompe qui n’a jamais coûté si cher ». Un journaliste intrépide a bravé la pensée unique et défié la vindicte populaire en constatant que, au regard de l’inflation et de l’évolution globale des prix, eh bien, un plein made in 2012 n’était pas plus coûteux que le même plein millésimé 1970. Mieux – ou pire, c’est selon – ce kamikaze des idées reçues acta courageusement que la diminution continue du prix d’achat des véhicules conjuguée à la réduction de leur consommation rendait de facto les cent kilomètres en voiture moins onéreux aujourd’hui qu’au moment du premier choc pétrolier.

sens.jpg Il faut être lucide : ce propos a autant de chances d’être accepté par les automobilistes que j’en ai de devenir Chippendale. L’espèce humaine motorisée semble en effet devenir inapte à la réflexion dès qu’il est question de sa voiture et de son compte en banque. Diverses sorties médiatiques sur ces sujets m’ont ainsi valu une avalanche de mails incendiaires via lesquels certains, s’inquiétant pour ma santé mentale, m’indiquaient les cliniques ou spécialistes à même de me prendre en charge s’il n’était déjà trop tard tandis que d’autres, manifestement peu au fait des pratiques salariales en vigueur dans le non marchand, fustigeaient des positions de « bobo » aussi privilégié que bon à rien…

Faute de calmer la douleur des damnés du réservoir, cette utile mise en perspective devrait permettre aux politiques de relativiser la situation actuelle et leur éviter en conséquence de succomber à la tentation de la générosité bien intentionnée mais inappropriée. Autrement dit, d’actionner les mécanismes permettant de stabiliser le prix des carburants (lesquels, je le précise à toute fin utile et pour désamorcer des attaques que je pressens, servent à faire tourner des moteurs, pas à chauffer des maisons). Car au risque d’éveiller chez certains des fantasmes sadiques voire des envies de meurtre, il me semble que ces prix, loin d’être excessifs, restent trop bas.

Evidemment, en période de crise, de rigueur et d’austérité, pareille affirmation fait tache. Elle ne relève pourtant pas de la provocation mais s’appuie au contraire sur la conviction que la contrainte économique constitue le plus puissant moteur des changements de comportements indispensables pour relever le défi environnemental et sociétal auquel nous sommes confrontés. Car espérer convertir aux vertus de la « sobriété heureuse » ou du « vivre autrement » des foules confites dans le consumérisme, c’est un peu comme attendre qu’en pleine partouze DSK fasse v½ux de chasteté…

Les témoignages recueillis ces derniers jours auprès des automobilistes plaintifs étaient d’ailleurs particulièrement édifiants. Passé le dégoût et la colère envers « l’Etat » qui « s’en met plein les poches sur le dos des citoyens » – Eh, les gars, « l’Etat », c’est vous… Et ce que vous ne payeriez pas là, vous le payeriez par ailleurs, soit à travers une autre ponction fiscale, soit via des services publics passant au privé et là, vous comprendrez vraiment votre douleur. –, nombreux étaient ceux qui disaient leur résignation à renoncer à la voiture pour passer au vélo, au scooter ou aux transports en communs. Ce qui signifie que, pour ceux-là, les alternatives dont on évoque sans cesse l’absence existent bel et bien… mais étaient jusqu’ici dédaignées. Comme quoi, un petit coup au portefeuille vaut souvent mieux que des grands discours à la conscience.

Allez, à la prochaine. Et d’ici là, n’oubliez pas : « Celui qui voit un problème et ne fait rien fait partie du problème. » (Gandhi)