Essence « trop chère » et politique d’aménagement du territoire

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Territoire
  • Temps de lecture :6 min de lecture
You are currently viewing Essence « trop chère » et politique d’aménagement du territoire

L’importance d’une tarification carbone

La Belgique, en tant que signataire de l’Accord de Paris, doit décarboner son économie d’ici 2050. Une telle transition nécessite la mise en œuvre d’une série de politiques et de mesures drastiques coordonnées à différents niveaux, notamment et surtout d’ailleurs dans le transport qui est responsable de 22% de nos émissions de GES.

La tarification du carbone est un des leviers principaux dont disposent les états pour respecter leurs engagements climatiques. Elle a d’ailleurs été mise en place par un nombre croissant de pays dont la France, la Suède, les Pays-bas. L’objectif d’une tarification du carbone est de donner un signal-prix à long terme afin d’orienter les décisions d’investissements et d’orienter les comportements vers des activités à faible émission de carbone. L’idée est aussi d’internaliser les coûts cachés liés à l’utilisation d’une voiture, dont ceux liés aux impacts climatiques. Dans le transport spécifiquement, augmenter le prix du carburant doit nous pousser à utiliser moins notre voiture…

L’ « effet lock in » de l’aménagement du territoire

Mais comme l’a montré l’émergence du mouvement des gilets jaunes observée ces dernières semaines, la mise en place d’une telle politique pourtant nécessaire ne se fait pas sans une contestation sociale parfois forte.

L’émergence de ces mouvements de contestation est à chercher dans la voituro-dépendance croissante d’une part importante de la population. C’est avant tout une question d’aménagement du territoire. Depuis les années 1950, notre territoire s’est structuré autour de l’utilisation de la voiture. La vie de la majorité des wallons est conditionnée par l’usage d’une voiture que ce soit pour leurs loisirs ou leur travail… Nos maisons sont étalées loin de nos lieux de travail ou de loisir parfois dans une logique d’étalement en ruban particulièrement dévoreuse d’espace. Les magasins et les bureaux situés dans des zonings et les centres commerciaux en périphérie sont souvent inaccessibles sans voiture…. En conséquence, le nombre de kilomètre parcourus par chaque wallons a explosé, depuis les années 90, il est passé de 34 à 46 milliards de voyageurs/kilomètre et, si il s’est stabilisé depuis 2009, c’est à des niveaux très élevé. Dans ces conditions, la mise en place d’un système de transport collectif efficace est tout simplement inimaginable.

Il est donc crucial d’inverser la tendance RAPIDEMENT en concentrant d’avantage notre habitat. Sans cela, il sera difficile d’imaginer la mise en place d’un prix du carbone raisonnable. Les nombreux échecs dans la mise en place d’une telle tarification (comme en France il y a quelques années) montrent que les politiques sont frileux à affronter les contestations sociales du type gilet jaune.

Tarification carbone + politique ambitieuse d’aménagement du territoire = billet gagnant

En juin 2018, un groupe de travail rassemblant aussi bien les entreprises que les ONGs ou les syndicats a rendu des recommandations pour la mise en place d’un prix du carbone. Il propose dans son scénario le plus ambitieux un prix du carbone à 100€ la tonne de CO2 émise en 2030, en ligne avec les recommandations faites notamment par le GIEC. Si on compare les prix du diesel dans différents pays européens (voir le tableau plus bas), on peut voir que sans taxe carbone, la Belgique se situe aujourd’hui parmi les pays où les 1000L de diesel reviennent le moins cher (1000L permettent de parcourir 20000KM/an dans une petite voiture faisant 5L/100KM). Mais l’introduction d’une contribution carbone de 100€/ tonne de CO2 augmenterait le cout de 1000 litres de diesel de 263€ à 1328€ (dernière colonne à droite dans le tableau). Nous serions toujours dans ce cas de figure juste en dessous de pays comme la Suede aujourd’hui, ce qui montre qu’un tel chiffre est en ligne avec une politique climatique raisonable.

ac1-2.jpg

Une telle hausse est à comparer avec les augmentations du prix du diesel et de l’essence constatées ces dernières années qui ont pourtant déjà donné lieu au mouvement de contestation social des gilets jaunes limité mais bien présent. Dans le tableau ci dessous, on peut voir clairement que tendanciellement, les prix des carburants sont stables. La hausse constatée en 2017 et 2018 est en fait un rattrapage d’une baisse constatée en 2014. En d’autres termes, la contestation sociale actuelle s’est développée alors que le prix de l’essence n’augmente pas sur le long terme !

ac2-2.jpg

Evolution du prix des carburants

Cette constatation est préoccupante. Elle montre qu’une tarification carbone dans le transport doit s’accompagner d’une vraie politique d’aménagement du territoire bien plus ambitieuse qu’actuellement si elle ne veut se heurter à des contestations sociales la rendant impossible. Elle nous rappelle qu’encore une fois, il n’y a pas de mesure climatique miracle, mais plutôt un ensemble de mesures…

La Wallonie s’est dernièrement dotée d’un nouveau schéma de développement territorial soumis actuellement à consultation qui prévoit entre autre mesure de densifier l’habitat (50% des nouveaux logements sur terrain déjà artificialisés en 2030), d’augmenter l’attractivité des centres urbains ou d’interdire les grands centres commerciaux en dehors des centre villes. C’est assurément positif. Mais le chemin est long jusqu’à la mise en oeuvre des principes et mesures proposées par le SDT.

Et les mouvements de contestation comme les gilets jaunes nous montrent qu’il faut au plus vite diminuer notre voituro-dépendance, et changer la manière dont nous utilisons notre territoire sans quoi, il risque d’être inimaginable de mettre en place de vraies politiques climatiques ambitieuses comme une tarification carbone digne de ce nom …

*Nombre de voyageurs parcourant un kilomètre chaque année