La Directive « Déchets »: un sudoku institutionnel pour la Belgique!

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La Directive cadre européenne relative aux déchets est entrée en vigueur en décembre 2008. Les Etats membres ont jusque fin 2010 pour la transposer en droit national, sous peine de sanctions financières. En Belgique, s’agissant d’une matière régionalisée, ce sont les différentes Régions qui devraient intégrer les nouvelles dispositions dans leur réglementation. Mais les choses sont loin d’être aussi simple. Le point sur ce texte important et les questions qui subsistent pour sa transposition…

Hiérarchie

La Directive introduit une hiérarchisation des différents modes de gestion des déchets avec un ordre de priorité, ce qui laisse une certaine flexibilité pour la gestion des flux spécifiques. Ainsi, la prévention et le réemploi priment sur le recyclage; le recyclage prime quant à lui sur les installations énergétiques à haut rendement, qui ont elles-mêmes priorité sur les installations d’incinération à faible rendement et enfin, l’élimination en dernier ressort, pour tout ce qui ne peut être valorisé.

Pour pouvoir mettre ces dispositions en application, les pouvoirs publics doivent procéder à une collecte sélective des biodéchets, pour autant que cette démarche soit réalisable sur le plan technique, économique et environnemental. Toute dérogation doit être dûment justifiée par des motifs sociaux, économiques ou écologiques. Elle doit se baser sur les effets du cycle de vie des produits/matières.

L’importance accordée au cycle de vie dans son ensemble se reflète également dans l’article consacré à la responsabilité élargie des producteurs. Le principe du pollueur payeur a en effet été maintenu dans le texte européen : les coûts de gestion doivent être supportés par le producteur de déchets, l’actuel détenteur ou les détenteurs précédents. Mais les Etats membres peuvent décider que tout ou partie des coûts peut être supportée par le générateur du déchet ou les distributeurs, ce qui ce rapproche de la responsabilité élargie du producteur (REP).

Dès lors, questions : en Belgique, entre le Fédéral (compétent pour les produits, l’impact environnemental de leur mise sur le marché et l’impact sur la santé jusqu’à l’utilisateur) et les Régions (compétentes en ce qui concerne la gestion des déchets et ses impacts sur la santé et l’environnement), quelle sera l’interprétation finale cette Directive, la cohérence entre les 3 Régions et le Fédéral et l’articulation avec les pays voisins ?

Prévention

Le texte impose la mise en place de programmes de prévention d’ici 5 ans avec des objectifs et indicateurs précis. La Directive laisse dans un premier temps à chaque Etat membre le soin de définir ses objectifs, et repousse à 2014 la définition d’objectifs de prévention (à atteindre pour 2020), objectifs basés sur le découplage entre taux de croissance du PIB et taux de croissance du gisement de déchets. Il ne s’agirait donc pas nécessairement d’une réduction quantitative des tonnages à traiter, mais d’une simple minimisation du taux d’évolution du gisement. Bien que cette précaution puisse encore se comprendre pour des pays entrés dans la Communauté depuis peu et clamant leur droit à une croissance non entravée, elle témoigne à nouveau d’un principe de prévention qui reste au niveau des bonnes intentions à défaut de se voir appliqué sur le terrain.

Une des annexes de la Directive donne un aperçu des mesures de prévention envisageables. Cet éventail est large: il va des campagnes de sensibilisation et d’information à l’intégration d’exigences en matière de prévention dans le cadre des autorisations écologiques, en passant par le recours à divers instruments économiques destinés à encadrer le comportement d’achat.

Sur ce point, la question de la coordination des actions entre les différentes entités responsables belges va se poser avec une acuité particulière.

Recyclage et Valorisation

Le recyclage est défini comme une opération de valorisation par laquelle les déchets sont retraités pour redevenir des produits. Cette définition ne couvre donc pas la conversion des déchets en vue de leur utilisation comme combustible ni entre autre l’emploi des déchets dans le cadre d’opérations de remblayage d’anciens puits de mine.

La Directive impose un taux de réutilisation-recyclage d’ici 2020 de 50% (du poids global) pour une fraction des déchets ménagers comme le verre, les métaux, le papier et de 70% pour les déchets de construction et de démolition non dangereux. Par contre, rien sur les bio-déchets dont la gestion est laissée à l’appréciation des Etats membres… Ces objectifs ne vont pas au delà des objectifs définis en 1994 par la Directive emballage; ils vont même en deça pour le verre !

Questions : quelles ambitions pour la Belgique, reine du tri, où les flux de ces types de déchets atteignent déjà les objectifs ? Quelle sera la politique de la Région concernant les bio-déchets quand on sait qu’elle aime les incinérateurs et regarde de haut la biométhanisation?

La nouvelle réglementation prévoit que les installations d’incinération de déchets municipaux solides puissent être considérées comme des installations de valorisation dès lors qu’elles atteignent un niveau donné de récupération d’énergie, calculé selon une formule établie par la Directive. Cette re-classification risque de multiplier les possibilités de transferts trans-nationaux des déchets. En effet, le principe de gestion de proximité s’applique pour toute opération d’élimination, mais dès que l’on peut prétendre à une valorisation (matière ou énergétique), les conditions de transferts trans-frontaliers sont plus laxistes et dépendent de fait de règles nationales ou d’accords bilatéraux. Certains incinérateurs surdimensionnés pourraient ainsi devenir de nouveaux aspirateurs à déchets, alimentés par des pays voisins, et entravant l’émergence de filières locales privilégiées par la Directive du fait qu’elle relèveraient d’un niveau supérieur dans la hiérarchie définie.

Questions : comment appliquer concrètement cette formule dans la mesure où diverses interprétations peuvent en être faites? Par ailleurs, la Directive ne définit pas le concept de « déchet municipal solide », ce qui fera inévitablement débat…

Fin de statut de déchets et sous-produits ? (end of waste / by-product)

Les déchets ayant fait l’objet d’un processus de recyclage quittent la catégorie de « déchets » pour entrer dans celle de « matière première secondaire »[[Le texte prend comme exemples les granulats, le verre, le papier, le métal, les pneus, les textiles…]] . Le problème consiste à déterminer précisément où se situe ce point de passage critique. Les autorités européennes ont cherché à fixer des critères définissant la « fin du statut de déchet », c’est-à-dire le moment où un déchet est suffisamment valorisé pour réintégrer le cycle de production en qualité de matière première secondaire. Il faut que pour ces flux de « non-déchets » il existe un marché, qu’ils satisfassent aux normes techniques et environnementales et qu’il n’aient pas d’effets nocifs sur l’environnement ou sur la santé humaine. Ce statut permettra à un «non-déchet» de s’affranchir de la réglementation sur le transfert transfrontalier de déchets.

Questions: Dans les critères, le marché doit-il être déjà en place ? Quid du statut du déchet pendant son stockage en attente d’une valorisation ? La Directive Reach s’appliquera-t-elle à ces non-déchets ? Concernant la pérennité d’un marché: si cette condition vient à disparaître alors qu’elle existait à un moment antérieur, verra-t-on une « requalification » du produit en déchet ?

La nouvelle Directive-cadre établit également des critères de base à satisfaire pour pouvoir qualifier de « sous-produit » un flux de déchets spécifique (et partie intégrante) à un processus de production. La réutilisation de la substance (ou de l’objet) doit être garantie et ne peut causer de nuisances ni sur le plan de l’environnement ni sur celui de la santé, l’utilisation doit être directe, sans traitement supplémentaire autre que les pratiques industrielles courantes. Le secteur de l’agroalimentaire pense par exemple aux drèches des brasseries, aux pulpes et radicelles de betteraves qui vont directement à l’alimentation du bétail.

Questions : qu’entent-on par « pratiques industrielles courantes» ? Les substances commercialisées en qualité de sous-produits sont soumises à la législation relative aux produits : relèveront-elles de la Directive Reach ? Enfin, comment contrôler qu’il n’y ait pas sous ce couvert et ce, pour éviter les coûts d’élimination, la définition d’une application boiteuse pour que ce « produit » ne devienne pas un déchet ?

Pour conclure

Voici une Directive dont la transposition pose énormément de questions et pas seulement en Belgique. Notre Fédération souhaite que des réponses soient apportées à tous les niveaux de pouvoir, du local à l’européen.
La Région wallonne doit se positionner; elle doit aussi travailler de concert avec ses cons½urs tant au niveau national que vis-à-vis de l’Europe. Elle a l’opportunité de réorienter et renforcer son travail, d’alimenter sa réflexion sur le futur Plan wallon des déchets… Elle a aussi la possibilité de montrer l’exemple et d’appliquer le fameux article 176 du Traité de l’Union qui permet à chaque Etat membre d’aller plus loin en matière d’objectifs environnementaux que ce que ne définit la Directive sans pour autant entraver la politique de marché intérieur…

Que de belles opportunités à saisir!!!

Canopea