La face obscure des transports

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Sous le titre « Airvore ou la face obscure des transports » paraissait il y a deux ans un ouvrage que j’ai dévoré avec avidité. Une mine d’informations et analyses précieuses. Une bible. N’ayant pas trouvé le temps de présenter ce livre précédemment, je saisis occasion du récent salon de l’auto pour partager enfin mon enthousiasme avec celles et ceux qui n’ont pas encore découvert cet ouvrage incontournable.

Après avoir travaillé près de 10 ans chez Renault, Laurent Castaignède, ingénieur diplômé de l’Ecole Centrale Paris, fondait en 2009 le bureau d’études BCO2 Ingénierie, spécialisé dans l’analyse des projets de bâtiments et de transports. Son livre « Airvore ou la face obscure des transports » présente l’histoire des transports motorisés, analyse notre modèle de mobilité actuel et ses perspectives d’avenir et propose des solutions concrètes pour sortir ce modèle de l’ornière environnementale dans laquelle il est coincé. Souci de la rigueur scientifique, nombreuses références à des sources très variées, approche multidimensionnelle prenant en compte les aspects techniques, sociologiques, économiques, politiques, … capacité à vulgariser caractérisent cet ouvrage passionnant. Il est manifeste que l’auteur maîtrise parfaitement son sujet et que le livre est le fruit de nombreuses années d’expertise et de réflexions.

La première partie de l’ouvrage trace un captivant historique du développement des véhicules motorisés, des premiers « tâtonnements au siècle des Lumières » jusqu’à l’explosion de la mobilité motorisée au cours des dernières décennies. Développement des infrastructures (d’abord fluviales et ferroviaires, puis routières et aériennes), évolutions des techniques de motorisation et massification de la production, consommation d’énergie et de matières premières, reconfiguration du territoire, impacts sanitaires et gestion de la pollution, développement de la société de consommation et obsolescence des produits, concurrence entre modes de transport, gestion du temps, emprise de la vitesse, aspects culturels, attitudes des pouvoirs politiques, … L’auteur développe une analyse systémique abondamment documentée, s’appuyant sur des sources très variées : ingénieurs, géographes, romanciers, historiens, …, revues spécialisées, statistiques officielles, règlements et directives, …

La deuxième partie est dédiée au temps présent et aux perspectives d’avenir. Avec une grande rigueur scientifique, Laurent Castaignède décrypte les techniques et leurs promesses, analyse les stratégies industrielles et financières, s’alarme des tendances actuelles (inflation des performances et des gabarits des véhicules) et des perspectives de croissance du parc automobile. L’auteur s’inquiète de la faiblesse de l’action politique face aux pratiques frauduleuses des constructeurs (cfr dieselgate). Il souligne la fragilité de solutions technologiques dont le bon fonctionnement ne peut être assuré sur le long terme. Il dénonce la croissance des émissions indirectes (« délocalisation » de la pollution). Il démonte le mythe moderne du salut par la technologie (potentialités des voitures autonomes, des drônes, …). Il souligne les enjeux associés à la mondialisation et au libre-échange à l’échelle planétaire… Ici encore, le tour d’horizon est complet, l’argumentation imparable.

Le constat par lequel s’ouvre la troisième partie, consacrée aux solutions, est on ne peut plus clair : « Le modèle de développement actuel des transports est, sur le plan de la diminution des émissions de polluants et de gaz à effet de serre, à bout de souffle. […] A l’image de l’industrialisation de masse dans son ensemble, les transports motorisés pourraient bien être au cœur d’une mégabulle dont le vecteur de spéculation est le projet d’augmenter la production de biens et de services de manière infinie. » Avec la volonté de renverser les logiques à l’œuvre sans entraîner de crise sociale majeure, Laurent Castaignède propose une voie médiane, « entre l’appel « révolutionnaire » à la suppression pure et simple de la majorité de nos moyens de transport modernes et le « messianisme technologique » ». Cette voie intermédiaire se veut un compromis résolument pragmatique, décliné en 7 « clés », les mesures proposées devant être prises à tous les niveaux de pouvoir (de l’international au local). A souligner la troisième clé (la limitation du gaspillage) qui inclut une proposition très proche de celle développée par les partenaires du projet LISA Car (« Les conditions d’accès au marché et les caractéristiques techniques des moyens mobiles particulièrement énergivores se doivent d’être remises en question »).

Je m’en voudrais de conclure sans citer cette recommandation que toute personne intervenant dans les prises de décision politique en matière de mobilité et transport devrait longuement méditer : « Les analyses prospectives sur telle ou telle évolution des caractéristiques et performances des moyens de transport ne peuvent faire l’impasse sur les effets rebond, même s’ils sont difficilement appréciables, au risque d’aboutir à des conclusions fantaisistes ou simplement orientées. Les développements actuels occasionnent, au final, un chapelet d’effets rebond d’un polluant vers l’autre ou d’un lieu d’émission vers un autre, avec parfois un décalage temporel : technologies de moteurs plus économes détournées vers des véhicules plus puissants et plus encombrants, véhicules plus économes parcourant de plus longues distances, améliorations sur cycle anéanties en conduite réelle, technologies réduisant les émissions mais augmentant la consommation, technologies de dépollution complètement contrebalancées par leur totale inefficience une fois le véhicule âgé, transfert des émissions des véhicules vers celles que produit le déploiement de leur infrastructure spécifique, déplacement des émissions à l’échappement vers la fabrication d’électricité, gains réels potentiels anéantis par le mirage de la compensation, etc. 

AIRVORE ou la face obscure des transports, Chronique d’une pollution annoncée, de Laurent Castaignède, éditions écosociété, 2018