La rénovation selon Anne Nyssen, entrepreneuse

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L’interview d’Annne Nyssen est centré sur la rénovation, thème du Échelle Humaine n°8. Dans chaque numéro d’Échelle Humaine, nous faisons parler une personne qui connaît bien le thème, afin qu’elle s’exprime sur son ressenti. Nous espérons que cette collection d’impressions sensibilisera les membres des commissions communales d’aménagement du territoire et toute personne passionnée par l’urbanisme, l’environnement, l’aménagement et le ménagement du territoire.

Anne Nyssen est implantée à Bruxelles et rénove des bâtiments un peu partout en Belgique. Originaire de Welkenraedt, elle pratique tous les métiers de la construction, du gros œuvre aux finitions. Elle répond à nos onze questions centrées sur son ressenti et son expérience personnelle.

J’aimerais qu’il y ait une émission quotidienne, avant ou après le journal télévisé, pour expliquer le bâtiment aux gens de tous âges 

Quel est ton premier souvenir (ou un très ancien) lié à la rénovation des bâtiments ?

Anne Nyssen : C’est quand je travaillais avec mes oncles. Vers l’âge de quinze-seize ans j’ai commencé à bosser sur chantier. L’un de mes oncles était plombier chauffagiste et l’autre était menuisier. On rénovait. Je ne pouvais toucher à rien, je pouvais regarder. Ca me passionnait, ce qu’ils faisaient. Je trouvais ça génial de pouvoir construire des choses. Je les accompagnais, je portais  les outils, je passais les outils, je préparais certaines choses et puis petit à petit je m’en suis plus mêlée mais voilà, ça a commencé comme ça. C’était à Welkenraedt, Battice, Visé, … j’habitais à Welkenraedt à ce moment-là. L’un habitait à Battice, l’autre à Aubel. Ils venaient me chercher. C’était moi leur aide. A cette époque-là, c’était moins compliqué d’embaucher des jeunes sur chantier. Je faisais ça surtout pendant les vacances. J’aimais bien les vacances tout court, mais j’aimais bien bosser avec eux.

Ton rapport à ton métier a-t-il changé lors du début du confinement et par après ?

Anne Nyssen : Oui. Au tout début du confinement, on était sur une toiture, on était à deux, on ne savait pas comment appliquer les règles, alors on a choisi de faire un versant de toiture chacun. Le calme était extraordinaire : pas d’avions, pas de voitures, personne dehors, et on travaillait en face d’un parc. Il faisait beau, on avait l’impression d’être seuls au monde. On devait rénover la charpente, la renforcer, l’isoler, et puis remettre les tuiles et toutes les finitions.

Depuis, ça a été un peu la catastrophe parce qu’il y eu beaucoup d’arrêts, il y a eu des problèmes de livraison, ça a été difficile de se fournir chez les fournisseurs, les prix ont triplé, voire quadruplé. Cela devient de la folie, les prix dans le bâtiment.

Un outil qui ne te quitte pas ?

Anne Nyssen : Mon Leatherman, c’est un peu comme un couteau suisse. C’est un outil multifonction hypersolide, garanti à vie, ce qui fait que la firme te le remplace. J’ai dû le faire remplacer en tout deux fois. Les bonnes quincailleries le vendent. Il te dépanne pour tout, il y a une petite scie qui peut scier le bois et le plastique, une lime, des tournevis, une pince à dénuder, et même un décapsuleur.

Atelier d’Anne Nyssen, Saint-Gilles, 2022. Photo H.Ancion.

As-tu remarqué une évolution dans la perception de la rénovation, ces dernières années ?

Anne Nyssen : Oui, d’une part, il y a beaucoup de directives, actuellement, en ce qui concerne l’isolation, les valeurs acoustiques et les valeurs thermiques.Cela devient de plus en plus technique et donc le soin que tu dois apporter à l’exécution devient de plus en plus important et c’est très compliqué avec les sous-traitants pour que le travail soit bien fait. D’autre part, les gens sont assez motivés par les primes mais peu sont intéressés par la durabilité des matériaux. Il y a beaucoup de discours pour favoriser l’usage des matériaux durables, mais je constate que de nombreuses isolations de toitures sont encore réalisées en polyuréthane. Or, ce genre de matière « dégaze » et se désagrège avec le temps. Malheureusement, ce temps s’avère être beaucoup plus court que ce qui avait été estimé par les fabricants. Actuellement, en Allemagne, on démonte les premières maisons passives isolées avec des panneaux de polyuréthane. Et il va falloir recycler tous ces déchets.

Personnellement, je ne travaille pas avec ces matériaux, seulement avec le chanvre et la laine de bois ou bois compressé. Avant, je faisais partie d’Eco-Build [le réseau des acteurs de la rénovation et de la construction durables à Bruxelles]. Je me sens plus proche de Rhizome, qui est un groupe de professionnels en éco-construction qui s’engagent à réaliser des chantiers et des projets respectueux de l’environnement et des rapports humains.

C’est indispensable de suivre des formations, mais il faut du temps, il faut pouvoir les financer, on ne peut pas être sur chantier pendant qu’on se forme… donc il y a un manque à gagner. Je suis notamment les formations de la Confédération de la Construction, celles du CSTC, de Bruxelles Environnement. Avant la pandémie, il y en avait une à deux par mois, gratuites, en horaire décalé, le soir. C’était plutôt des informations et c’était très bien fait. Pour les petit.es indépendant.es, il faudrait que ces formations soient gratuites. Les grosses entreprises disposent de chèques-formation, pas nous. Ce serait bien que les TPME puissent aussi bénéficier de chèques-formation. Si on veut progresser, il faut que cela soit gratuit.

Fais-tu attention aux anciens bâtiments, auxquels en particulier ? Donne un ou des exemples de sites qui te touchent.

Anne Nyssen : Par exemple mon bâtiment, qui date de 1912. Il a une façon de fonctionner qui est tout à fait particulière. Dans notre quartier [rue du Canada à Saint-Gilles], toutes les caves sont humides, donc il faut en tenir compte dans la rénovation : vouloir résoudre complètement ce problème revient à créer d’autres problèmes. De plus, dans des bâtiments comme le nôtre, cela ne vaut pas la peine de travailler avec des doubles flux et des choses comme ça. Tu peux très bien t’en sortir, à moindres frais avec une autre hygiène de vie, ventiler toi-même, ouvrir les fenêtres et travailler avec de la chaux, par exemple. Travailler avec des matériaux naturels, qui respirent. A l’intérieur, j’ai tout refait à la chaux. Chaux + chanvre pour l’isolation et puis enduit à la chaud. Depuis que j’ai fait ça, il y a une hygrométrie constante, les murs ont cessé d’être humides. Malgré les dimensions imposantes des pièces, 4m sous plafond, on ne consomme pas plus en chauffage qu’un appartement classique de 80m². J’espère pouvoir faire un jour les façades extérieures également.

J’aime bien les vieux ponts de chemin de fer, c’est toute mon enfance. Les trains de marchandises qui roulaient très lentement et qui étaient kilométriques. Les vieux sites industriels me touchent beaucoup. J’adorais aller jouer dans les usines abandonnées. Toute la région germanophone du pays est très intéressante pour ses sites industriels désaffectés.

Décris ton ressenti à propos des contraintes de chantier, et en quoi elles peuvent constituer des freins à une rénovation de qualité.

Anne Nyssen : Concernant la rénovation d’immeubles divisés en copropriété, c’est capital qu’il y ait un plan global pour l’immeuble. Sinon, non seulement chacune des propriétés est aménagée / isolée / rénovée sans tenir compte de ce qui se passe dans les autres parties, mais quand il faut faire de gros travaux de rénovation sur l’enveloppe, ils peuvent entrer en contradiction avec des travaux déjà exécutés dans les appartements ou compromettre des projets individuels encore à venir.

Je constate qu’on aménage de plus en plus les caves, pour y mettre du logement. Or ces locaux n’ont souvent pas la capacité à devenir des logements à part entière. Ce sont des espaces de services. Il peut y avoir des problèmes de salubrité pour les occupants. En outre, cela prive l’ensemble de la maison d’une forme de respiration, ce qui crée un problème de salubrité plus global. De manière générale, lors de la réfection des trottoirs et des façades, il faut absolument éviter l’erreur de boucher les ventilations de cave ; elles sont indispensables à la santé du bâtiment complet.

De plus en plus, je me rends compte lors des discussions sur chantier, avant exécution, que je dois dessiner tous les détails du rendu, sinon on ne va pas se comprendre et mes collaborateurs vont installer – par exemple – des vannes dans un recoin ou dans une position inaccessible. Pour obtenir une exécution parfaite avec des sous-traitants, il faut éviter de les laisser se débrouiller avec une technique qu’ils ne maîtrisent pas ou ne connaissent pas. Si effectuer une étanchéité à l’air, c’est l’inconnu pour eux, il vaut mieux négocier en aval pour s’assurer des techniques qu’ils maîtrisent, plutôt que de prendre trop de risques, dont celui de devoir tout refaire. C’est clair qu’on n’applique pas nécessairement la technique que j’aurais souhaitée et que je juge la plus adéquate ; il faut faire des compromis. Je l’admets, je ne suis pas souvent contente du résultat final.

Je sais aussi que les clients méconnaissent les techniques que nous installons : chauffage, ventilation, etc. Il y a des risques de mauvaise utilisation, à cause du manque de communication sur les manières d’utiliser une installation. C’est pour cela que nous gagnerions à échanger en amont avec les occupants sur leurs habitudes, pour ensuite concevoir des installations qui seront optimales. J’aimerais qu’il y ait une émission quotidienne, avant ou après le journal télévisé, pour expliquer des choses fondamentales du bâtiment aux gens de tous âges. On ne peut pas compter que sur les entrepreneurs… qui n’ont d’ailleurs pas le temps de faire causette. Le CSTC publie de la documentation très intéressante, je les appelle régulièrement quand j’ai des problèmes techniques sur mes chantiers, cela fait partie des services dont je bénéficie en tant qu’affiliée. Dommage que les clients ne puissent avoir accès à toutes les fiches techniques ! Peut-être serait-ce trop complexe ? 

Autre contrainte, le temps. Le client est pressé, les entrepreneurs sont pressés, la mobilité et le stationnement sont compliqués et nous font perdre beaucoup de temps et d’argent. C’est très difficile de faire venir travailler les gens à Bruxelles de l’extérieur, c’est très coûteux de faire des réservations en voirie. Pour favoriser la rénovation, Schaerbeek ne fait pas payer les réservations en voirie – d’après mes infos. Ce serait la voie à suivre dans toutes les communes !

Fais-nous voyager : pense à un endroit dans le monde où tu apprécies la manière dont le patrimoine ordinaire a été préservé. Quels sont les ingrédients qui y contribuent ?

Anne Nyssen : L’Angleterre et la Bretagne. Tout est plus petit, l’échelle est plus petite. Je ne vois pas pourquoi on a des maisons si grandes. Là-bas, tu as des églises avec des portes de deux mètres de haut, pas plus. Même à Londres, les fenêtres sont placées plus bas, et elles descendent plus bas, avec des appuis de fenêtre à mi-cuisse. Le rapport au corps est totalement différent, et je préfère. La taille des bâtiments est beaucoup plus humaine. La manière d’utiliser les pierres locales est aussi très belle ; il y a beaucoup d’ouvrages en pierres du pays où tout est utilisé, avec des pierres différentes pour les murs, les parements, les encadrements de baies. La silhouette des constructions est plus tassée, avec des toitures qui descendent bas, et peu d’ouvertures. Tu peux aller dans le Somerset, ou en Cornouailles, par exemple, tu verras plein de maisons comme ça.

L’architecture ordinaire me plaît. J’aime bien l’architecture sans architecte, ou alors s’il y a intervention d’un.e architecte, que ce ne soit pas dans la démonstration architecturale ou le concept.

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Soit la moitié du prix d’une maison clé sur porte neuve, sur le même site immobilier !

La nature qui est déjà là : observes-tu des interactions entre la biodiversité et le bâti ancien ? Des relations que tu n’as pas envie de déranger ? Comment rendre les rénovations plus accueillantes pour nous tous, qui que l’on soit ?

Anne Nyssen : Une première interaction, c’est la végétation qui peut aider à rendre un bâtiment plus tempéré. Je prends pour exemple ma glycine. Elle est là pour rafraîchir parce que les murs sont exposés plein sud, avec beaucoup de baies vitrées. Depuis qu’elle est là, on souffre moins des grosses chaleurs l’été. De plus, c’est un abri pour les oiseaux, elle abrite des tas de petites vies, même l’hiver quand il n’y a pas de feuilles. Donc c’est plutôt sympathique. Parmi les plantes grimpantes, il y a le lierre que je verrais d’un moins bon œil, puisqu’il creuse les joints, passe sous les tuiles de couverture.

Une deuxième interaction, c’est la reconstitution de haies, qui permettent le retour des hannetons, des hérissons, de certains oiseaux qui se faisaient rares. Mais ça, c’est plutôt à la campagne. Ici en ville, il y a surtout les mésanges qui viennent manger des insectes, puis le soir les petites pipistrelles qui prennent le relais.

Comment rendre les rénovations plus accueillantes pour la biodiversité ? Souvent, je regrette qu’on doive décrocher la végétation pour remettre un mur de clôture ou de jardin en peinture. Le mieux serait de s’arranger avec ce qui est là, et éventuellement enduire seulement les espaces encore non couverts. Parce que là où il y a une vigne vierge, le mur est en réalité bien protégé. Il se dégrade beaucoup moins vite. Donc, le pire, c’est si les propriétaires me demandent de supprimer toute la végétation… alors qu’on peut la déposer le temps de peindre, puis la ré-accrocher ensuite. En fait, il faut tenir compte de la dépose dans le calcul de la durée du travail, puisque des murs couverts de végétation ne se « découvrent » pas en quelques minutes, le décrochage peut prendre une journée entière.

Concernant les îlots de chaleur et les îlots de fraîcheur, as-tu des propositions, des trucs pour en aménager ?

Anne Nyssen : Allez, il faut re-végétaliser ! Si on veut de la fraîcheur, il faut du couvert. On ne peut pas mettre que de la pelouse, c’est évident. Là où il y a déjà un beau couvert avec des étages de différentes hauteurs, des épaisseurs, des plantes grimpantes, il faut l’entretenir discrètement, le laisser se développer, intervenir le moins possible.

Je trouve ça difficile à comprendre d’avoir un jardin et de ne pas le végétaliser, mais bon… Quand je vois les maisonnettes quatre façades à la campagne, la pauvreté des jardins m’attriste. A part planter une haie de clôture, il y a moyen de faire tellement d’autres choses. Et puis pourquoi ne pas profiter de ces haies pour planter des espèces locales et les laisser pousser un peu plus librement ? Ce serait bien de choisir des espèces qui ne devront pas être remplacées tous les quinze ans. Du sureau, du charme, de l’aubépine, des rosiers, il y a tellement d’arbustes qui peuvent convenir dans une haie. Et puis tu fais monter dedans la fleur qui sent si bon… le chèvrefeuille.

Cela vaut aussi pour les parcs, où l’entretien (tontes, tailles, épéçage) donne des résultats trop propres, linéaires, alors que les lieux de promenade devraient être des espaces de surprise. Pour la biodiversité, je suppose que ce serait aussi bénéfique de laisser pousser. Dès qu’on laisse un peu faire, des fleurs viennent, tu as un tas de verdures très agréables qui se développent.

Une œuvre d’art à laquelle tu as pensé pendant cette interview.

Anne Nyssen : Ah, mais je n’ai pas pensé à une œuvre d’art. Tu veux que je pense à une œuvre d’art ? Moi ce que j’aime bien c’est le Land Art. Ce qui me touche le plus ce sont les interventions discrètes dans la nature, où on se demande « est-ce fabriqué ou pas ? ». Poétique. Je n’ai pas de nom en tête parce qu’il y a tellement longtemps, … c’était un gars qui faisait des pièces avec des feuilles [de plantes]. Il faisait des interventions éphémères.

(Échelle Humaine a retrouvé l’artiste que Anne avait en tête : Niels Udo 🙂

Sinon les cimetières de Bruxelles, comme par exemple le Cimetière de Forest, celui du Dieweg à Uccle, sont très intéressants.

Nils UDO, Feuille de châtaignier, fleurs de spirée, 1986 (https://www.nils-udo.com/art-in-nature/).

As-tu une lecture à nous recommander ?

Anne Nyssen : J’en ai deux, qui vont ensemble :

Baptiste Morizot, « Manières d’être vivant : enquêtes sur la vie à travers nous », Actes Sud, 2020.

Vinciane Despret, « Habiter en oiseau », Actes Sud, 2019.

En savoir plus :

Une vidéo sur le territoire des oiseaux, interview de Vincianne Despret pour l’Université de Namur : « Vinciane Despret : Ce que les oiseaux nous apprennent des territoires »

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