La taxe de mise en circulation ? Efficace, donc incontournable !

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Outre son indéniable fonction budgétaire, la fiscalité automobile constitue, en puissance, un formidable outil de pilotage public des comportements de mobilité. Le Gouvernement wallon reconnaissait en 2009, dans sa déclaration de politique régionale (DPR), la nécessité d’utiliser cet outil pour rencontrer des objectifs environnementaux. Sous le titre « Réformer la fiscalité routière de manière environnementale, sociale et équilibrée », il est précisé dans la DPR que : « le Gouvernement s’engage à modifier pour 2011 le calcul de la taxe de mise en circulation et de la taxe de circulation en fonction de l’émission de CO2 et des principaux polluants (micro-particules, dioxydes d’azote, bruit, etc.) ainsi que de la consommation. »

En matière de taxe de circulation annuelle (TC), les travaux – menés conjointement avec les deux autres Régions, conformément à un accord politique de janvier 2011 – avancent à un train de sénateur. Sur le front de la taxe de mise en circulation (TMC), les choses sont plus calmes encore : le Gouvernement wallon n’a, à notre connaissance, pas encore adopté de position quant à l’opportunité même de maintenir une TMC.

Soucieuse d’apporter une contribution novatrice et constructive au débat, IEW a jugé utile d’analyser la manière dont les différents Etats membres européens utilisent l’outil fiscal dans le domaine de l’automobile. C’est pourquoi la Fédération a réalisé un benchmarking afin de comparer les systèmes de fiscalité automobile dans les 27 Etats membres à la lumière des émissions de CO2 des voitures neuves qui y sont vendues[[La Fédération a concentré son analyse sur le CO2 pour diverses raisons dont la principale est l’absence de normes contraignantes sur ses émissions, alors que des normes strictes existent pour les émissions de polluants locaux qui affectent la santé humaine : un véhicule peut être mis en vente quelles que soient ses émissions de CO2, mais ce n’est pas le cas si ses émissions de particules fines ou d’oxydes d’azote dépassent les limites fixées par les normes Euro.]].

Une évidence…

« Un instrument fiscal visant la décision d’achat compense le fait que le consommateur ne prend pas entièrement en compte, au moment de l’achat, les économies de carburant qu’il lui est possible de réaliser après que le véhicule ait été acheté. » C’était, en 1995, l’avis de la Commission européenne, détaillé dans sa stratégie communautaire visant à réduire les émissions de CO2 des voitures particulières et à améliorer l’économie de carburant[[Communication au Conseil et au Parlement européen, COM(95) 689 final, Bruxelles, 20 décembre 1995]].

Cet avis de la Commission – qui sonne comme une évidence à tout qui a consulté quelques études relatives aux comportements d’achat – a des implications très concrètes. Ainsi, dès lors que les autorités publiques veulent guider les citoyens vers l’achat de véhicules consommant moins de carburant (donc moins chers à l’utilisation) et émettant moins de CO2 (dont les émissions sont directement proportionnelles à la consommation), elles ont intérêt à utiliser la taxation à l’achat (taxe de mise en circulation ou TMC) plutôt que la taxation à la possession (taxe de circulation annuelle ou TC). Ce que réfute l’industrie automobile, qui a tout intérêt à ce qu’aucun outil fiscal ne vienne tempérer l’efficacité de ses campagnes publicitaires : c’est sur les véhicules les plus chers, les plus gros, les plus puissants – donc les plus consommateurs – que les marges bénéficiaires sont les plus confortables…

… et des faits ?

Qu’en est-il donc dans les différents Etats-membres européens ? Comment ceux-ci ont-ils – ou non – utilisé les différents outils de fiscalité automobile pour maîtriser les émissions de CO2 des véhicules neufs vendus sur leur territoire ? Telle est la question à laquelle a voulu répondre Inter-Environnement Wallonie.
L’analyse a été menée sur base du calcul des diverses composantes de la fiscalité à l’achat (hormis la TVA) et de la fiscalité à la possession dans les 27 Etats européens, et ce pour 12 véhicules couvrant une large gamme d’émissions de CO2, de prix, de cylindrée, de puissance.
De l’analyse des nombreuses données de base recueillies et de tous les calculs effectués, des conclusions se dégagent clairement, qu’il s’agisse d’évolution des systèmes fiscaux, du poids relatif des outils fiscaux à l’achat et à la possession ou de critères à respecter pour en assurer l’efficacité en tant qu’instruments de pilotage public des comportements d’achat de voitures neuves. (Vous trouverez tous les graphiques et figures illustrant notre démonstration dans ce fichier

Le palmarès CO2

En 2011, c’est au Portugal que les émissions de CO2 des voitures neuves étaient les plus faibles (122,8 g/km). Suivaient Malte (124,5), le Danemark (125,0), les Pays-Bas (126,2) et la Belgique (127,3). La moyenne européenne était de 135,8 g/km et l’Estonie fermait la marche avec 156,9 g/km.
En 2012, les 10 premiers pays du classement étaient les mêmes, mais la Belgique dégringolait à la neuvième place du classement (127,9 g/km) en raison de la suppression, fin décembre 2011, du système de primes fédérales octroyées à l’achat de véhicules émettant peu de CO2.

Evolution des pratiques fiscales

En 2007, 9 Etats n’appliquaient pas de taxation à l’achat ; parmi les 18 qui en appliquaient une, 9 intégraient dans son calcul les émissions de CO2 ou la consommation de carburant. En 2012, il restait 8 Etats n’appliquant pas de taxation à l’achat, et 14 intégraient le CO2 ou la consommation de carburant dans son calcul. Il existe donc en Europe une tendance lourde au maintien de la fiscalité à l’achat et à sa révision pour y intégrer le critère CO2.
Parmi les nombreux critères sur base desquels sont établies les taxes dans les différents Etats européens, les émissions de CO2 (ou la consommation de carburant) sont le critère le plus pris en compte pour la fiscalité à l’achat (avec 14 Etats), suivies du prix du véhicules (11).

Pour être complet dans cette analyse, il convient de commenter le cas du Royaume-Uni où il n’existe pas de fiscalité à l’achat mais où, en avril 2010, a été introduit dans la taxe de circulation annuelle un tarif spécial « première année » plus élevé pour les voitures émettant plus de 165 gCO2/km (tarif croissant en fonction des émissions).

Taxe à l’achat : l’exception belge

16 Etats appliquent tout à la fois une taxation à l’achat (en ce compris des primes et/ou bonus/malus en Belgique et en France) et une taxation à la possession.
Afin de quantifier le poids relatif des deux types d’outils fiscaux dans ces différents pays, le calcul suivant a été réalisé. La moyenne (établie sur notre échantillon de 12 voitures) de la taxation à l’achat et celle de la taxation à l’utilisation ont été calculées pour chaque pays. On a ensuite calculé le rapport entre ces deux chiffres.
La Belgique se distingue par un rapport FA/FP exceptionnellement faible (0,1). Le rapport reste faible (1,2) lorsqu’on ne prend pas en compte l’effet des primes fédérales et des bonus/malus wallons. Seuls trois autres pays ont des rapports semblables. L’Italie (huitième du classement CO2) a un rapport de 1,8 ; la Lettonie (26ème) est à 3,5 et l’Autriche (12ème) à 4,1. La valeur moyenne du rapport sur les 15 pays où le rapport est calculable[[En France, la taxation à la possession ne s’applique que pour des véhicules dont les émissions sont supérieures à 245 gCO2/km (notre échantillon n’en comprend pas)]] est égale à 28,8 (28,9 sans prise en compte des primes en Belgique).

Une taxation à l’achat efficace

Les dix Etats dans lesquels la valeur moyenne des émissions de CO2 des voitures neuves vendues en 2011 étaient les plus faibles relèvent de traditions culturelles et de réalités socio-économiques diverses. L’analyse détaillée des systèmes appliqués dans ces pays permet de dégager deux grandes familles de systèmes de taxation à l’achat efficaces :

  • soit l’application d’un système de primes (BE) ou de bonus/malus (FR, Wallonie) qui a pour effet principal de favoriser l’achat de véhicules peu émetteurs, mais dont les effets sont faibles sur la majeure partie de la gamme ; un tel système s’avère très coûteux pour les finances publiques (de l’ordre de 600 M€ pour les primes fédérales entre juillet 2007 et décembre 2011) ;
  • soit l’application d’une taxe de mise en circulation (TMC – ou autre appellation) répondant à deux critères principaux :
    • des tarifs suffisamment élevés par rapport au prix d’achat de la voiture pour que la TMC soit intégrée par le citoyen dans son processus de décision d’achat ;
    • une progressivité de la taxe en fonction des émissions suffisamment élevée pour inciter le citoyen à acheter, dans le segment sur lequel son choix s’est porté, le véhicule présentant les meilleures performances environnementales. La Commission européenne proposait, en 1995, 45 € par gCO2/km supplémentaire (soit environ 64 € en août 2013) ; les Etats présentant les meilleures performances sont à 100 € par gCO2/km supplémentaire, voire au-delà.

A ces deux critères, il convient d’en adjoindre deux autres afin d’optimiser l’efficacité du système :

  • la lisibilité permet au citoyen de s’approprier l’outil, ce qui implique d’en simplifier le calcul (à titre d’exemple, l’Irlande et l’Espagne appliquent un calcul simple où la taxe est égale au prix du véhicule multiplié par un facteur dont la valeur dépend des émissions de CO2) ;
  • l’information est cruciale pour accélérer l’appropriation par le citoyen tout en améliorant l’acceptabilité sociale de la réforme.

Vers une réforme efficace

Au-delà de la diversité des pratiques fiscales dans les 27 Etats européens, des tendances et des règles de bonne pratique se dégagent donc sans équivoque. La Wallonie, qui devait réformer son système de taxation automobile pour 2011, pourrait avantageusement s’en inspirer. Les lignes de force qu’elle devrait suivre sont, à nos yeux : le renforcement de la taxation à l’achat (et la baisse conjointe de la taxation à la possession), l’intégration du CO2 comme critère déterminant dans le calcul de la taxe de mise en circulation, l’adoption de niveaux de taxation suffisamment élevés et une proportionnalité de la taxe par rapport aux émissions suffisamment élevée pour que le signal-prix envoyé aux citoyens soit clair : leur intérêt financier réside dans l’achat de véhicules dont les émissions sont faibles.