Le marketing nous sauvera !

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Si nous ne voulons pas mettre en péril la survie des sociétés humaines, nous devons diminuer drastiquement et immédiatement nos émissions de CO2 et nous devons, non seulement enrayer l’érosion de la biodiversité mais aussi restaurer la nature. Nous savons que nous devons le faire, mais nous ne le faisons pas. Il n’est plus temps pour des petites actions, il est urgent de changer fondamentalement nos comportements et donc aussi notre façon de consommer.

Le marketing, en français la commercialisation, est, en très gros, la stratégie d’une entreprise pour mettre sur le marché un produit ou un service. Cette stratégie veillera à bien définir son produit ou son service, à lui donner le prix qu’est prêt à payer le futur consommateur sans pour autant casser le marché, etc. La publicité est une composante de la stratégie de marketing.

L’objectif reste bien, quelle que soit la stratégie, de créer des bénéfices pour les actionnaires en répondant aux besoins réels ou créés des futurs consommateurs. Et le marketing excelle à sentir d’où vient le vent et à se redéfinir en fonction de l’air ambiant. Et donc, sans rougir et sans ciller, il surfe sur la vague environnementale en proposant une panoplie de messages qui tentent de démontrer qu’ils sont environnement-friendly. Côté voitures nous avons eu droit à peu près tout, jusqu’à cette marque qui fait plier le bélier sur la route ;

côté alimentation, c’est carrément l’affirmation qu’une planète B existe (+image) qui nous est proposé par un magasin « tout bio », sans aucune gêne envers le mouvement environnemental dont un des slogans est qu’il n’y a pas de planète B !

Un petit peu de la faute aux sciences humaines ?

Jusque dans les années 1970-1980, le modèle explicatif de l’action humaine qu’avaient les économistes et qui leur permettait de prédire les comportements des hommes sur les marchés, se limitait au marché. Et, bien que leur théorie des comportements humains fût largement partielle, elle leur était suffisante pour réguler les marchés. Et les économistes laissaient aux philosophes, sociologues, psychologues le soin d’expliquer les comportements humains dans les autres sphères de la vie.

Le dérapage dangereux s’est produit dans les années 70-80, lorsque les économistes ont voulu universaliser leur modèle explicatif du comportement humain, soutenant que l’homme est un calculateur économique soucieux de maximiser ses richesses. Ce qui est surprenant, c’est le laisser-faire des autres branches des sciences humaines, qui ont été pour certaines jusqu’à abonder dans cette vision étroite de l’homme.

Là où pourtant les autres disciplines des sciences humaines mettent en œuvre des protocoles et des expériences d’observation scientifiques des comportements humains (Ash, Milgram, Darley&Latané, etc.), l’économie ne repose sur aucune recherche de ce type. Et si le principe de l’homo oeconomicus est suffisant pour comprendre et donc prédire les comportements sur le marché, l’universalisation de cette théorie est dangereuse. « Si effectivement nous faisons l’hypothèse que nous ne sommes que des sujets individuels, égoïstes, calculateurs, indifférents aux autres, alors le seul mode de coordination possible entre les sujets humains est le marché généralisé et c’est ça que nous vivons depuis 30 ans1 ». Mais l’homme n’est pas uniquement un animal économique et ne l’a pas toujours été. En 1925 déjà, Marcel Mauss (anthropologue français 1872-1950) a démontré, par ses observations des sociétés archaïques que le fondement des sociétés humaines est le don, c’est-à-dire la triple obligation de donner-recevoir et rendre. Et ce modèle s’applique facilement à nos sociétés actuelles et au monde de l’entreprise : « N’importe quelle entreprise qui marche c’est celle dans laquelle les différents groupes professionnels acceptent de se faire confiance les uns aux autres, de se donner des informations, des savoir-faire, des coups de main, du soutien psychologique ou affectif, etc. Et ça ne marche que si les salariés acceptent de se donner, de s’adonner en quelque sorte à l’esprit ou à l’objectif de l’entreprise. Une entreprise qui marche est une entreprise qui coopère, et donc où s’entrecroisent de multiples relations de dons et de contre-dons2 ».

La manière très réductrice d’envisager les rapports humains propre aux économistes a donc progressivement colonisé l’inconscient collectif. Celles et ceux qui, sur base d’une observation objective de diverses sociétés humaines et d’une abondante littérature scientifique, tentent d’éveiller les consciences aux dangers de cette approche très réductrice sont moqués, décrédibilisés, catalogués comme rêveurs, utopistes. Les dangers qu’ils dénoncent sont pourtant nombreux et nous pouvons en observer diverses manifestations: développement de l’égoïsme, du repli identitaire, de la haine de l’autre, consommation effrénée sans prise en compte des impacts sociaux et environnementaux, …

Mettre nos valeurs en actes est une porte de sortie de la surconsommation

Tous les êtres humains ont besoin de sentir de la cohérence entre leurs pensées, leurs actes et leurs paroles. Le marketing tente de nous faire croire que nos actes d’achat sont en cohérence avec nos valeurs éthiques en surfant sur la protection de l’environnement, sur le besoin de naturel (n’oublions quand même pas que ce qui est naturel n’est pas spécialement bon pour la santé, le cyanure reste naturel mais je vous déconseille d’y goûter), ou plus simplement sur le droit à se faire plaisir.

Le tout à l’économique tue la transition environnementale et sociale. N’achetons plus nos valeurs en achetant des biens de consommation, mettons plutôt nos valeurs en actes.

Nous ne sommes pas tout à fait dupes, lorsque le marketing et la publicité qui l’accompagne nous vendent nos valeurs, en nous disant qu’acheter cette marque c’est participer à une planète bio, même si le bio n’est pas local et de saison ; que la voiture propre existe… nous savons bien que c’est du vent destiné à nous porter à l’achat quelles que soient les conséquences environnementales.

La transition environnementale et sociale a besoin pour se réaliser d’une société humaine qui développe et met en actes des valeurs de coopération et d’altruisme. Mettre ses valeurs en actes est souvent inconfortable, cela va nous demander de nous impliquer dans la vie sociale et politique et de renoncer à des libertés que nous nous sommes données, à un mode de vie que nous connaissons et que nous aimons la plupart du temps, à un confort matériel inégalé dans l’histoire de l’humanité. Ce sera en partie du renoncement, mais voyons aussi le verre à moitié plein, s’entraîner et mettre en actes les valeurs de coopération et d’altruisme ce sera aussi une augmentation qualitative sans précédent du confort relationnel, affectif, moral et environnemental de chacun.

La Saint Nicolas et les fêtes de fin d’année qui arrivent sont une occasion de commencer. Changeons de cadeaux et offrons du temps avec des bons pour une journée en forêt, pour visiter une ville belge, pour se détendre en bord de mer, pour une calinothérapie, etc. Offrons des services : garde des petits enfants pour des soirées « parents en amoureux », de l’aide pour des travaux dans la maison, des repas préparés maisons à mettre au congélateur. Echangeons, recyclons et partageons ce que nous possédons. Ce sera un bon départ pour, en 2020, intégrer des valeurs de coopération et d’altruisme dans nos modes de consommation.


  1. Alain Caillé – professeur émérite d’économie et de sociologie à Paris X, Nanterre
  2. Alain Caillé – professeur émérite d’économie et de sociologie à Paris X, Nanterre

Véronique Hollander

Fédération, Education permanente