Le message grec, la face radieuse du Mondial

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En cette période de torpeur estivale et d’extase footballistique, je m’en voudrais de saper la béatitude ambiante par une chronique s’attachant une fois de plus à constater, déplorer et, in fine, fustiger l’une ou l’autre dérive du monde tel qu’il va. Pour cette dernière avant vacances, je souhaite au contraire m’associer à la ferveur populaire en relevant, saluant et félicitant comme il se doit un des gestes remarquables ayant marqué jusqu’ici la Copa do Mundo de 2014 no Brasil. Car n’en déplaise aux grincheux et aux empêcheurs de s’oublier en paix, cet événement planétaire n’est pas que le grand théâtre des vanités et du fric triomphant qu’ils se complaisent à dénoncer. Oh que non ! On peut aussi et entre autres y savourer les dribbles de Neymar, les headings de Fellaini, les dernières tendances de la coiffure hommes, les arrêts de Tim Howard, l’enthousiasme des Algériens, l’appétit de Suarez, l’abnégation des Costa-Ricains, des ateliers théâtraux consacrés à la chute et à la représentation de la douleur, la qualité du jeu chilien, des teasings pour le prochain Salon du tatouage, la dynamique fédératrice des Diab’Rouges ou encore le savoir-faire des cadreurs à l’affût de demoiselles au physiques physiques pour flatter l’oeil concupiscent du téléspectateur lambda.

Ceux que je souhaite inscrire aujourd’hui à mon tableau d’honneur ne figurent toutefois pas à cet inventaire non-exhaustif. Mes champions à moi ont pour noms Orestis Karnezis, Ioannis Maniatis, Georgios Tzavelas, Vangelis Moras, Alexandros Tziolis, Georgios Samaras, Panagiotis Kone, Konstantinos Mitroglou, Georgios Karagounis, Loukas Vyntra, Panagiotis Glykos, Stefanos Kapino, Dimitrios Salpingidis, Vasileios Torosidis, Lazaros Christodoulopoulos, Theofanis Gekas, Ioannis Fetfatzidis, Sokratis Papastathopoulos, Jose Cholevas, Konstantinos Katsouranis, Andreas Samaris, Panagiotis Tachtsidis. Au cas où il serait utile de le préciser, ils composent l’équipe nationale grecque présente au Brésil.

Je devine la vague d’incompréhension qui submerge vos cerveaux ainsi que les remarques et sarcasmes qu’elle ne manquera pas de laisser derrière elle. Je vous rassure donc : je ne suis pas victime d’un abus de Retsina, Ouzo, Tsipouro ou Metaxa. Mon admiration ne porte pas sur le jeu rugueux et jusqu’au-boutiste déployé par la sélection hellène, ni sur son parcours stoppé en 8ème de finale par « la belle surprise de ce Mondial », le Costa Rica. Ce que je veux mettre ici en exergue, c’est la décision de ces joueurs de renoncer à leur prime de qualification. « Nous ne voulons pas de cet argent. Nous jouons pour la Grèce, pour le peuple grec » ont-ils en effet déclaré en ajoutant ce commentaire qui les grandit encore : « Nous sommes déjà suffisamment bien payés ». Et d’inviter leur gouvernement à utiliser la somme qui leur était dévolue pour financer la construction d’un nouveau centre d’entraînement.

Je suis conscient que ce n’est là qu’une toute petite chose, un geste minuscule à l’échelle de cette Coupe du monde et, plus globalement, de la planète foot mais cet acte me fait un bien fou. Posé là, dans un contexte dont l’actualité va du refus des compagnes de joueurs français d’occuper un hôtel 4 étoiles sous prétexte que leur statut en exige 5 aux rumeurs de transferts chiffrés en dizaine de millions d’euros, il constitue une bouffée d’oxygène à la fois salvatrice et réconfortante. Certains, au cœur de ce grand cirque, restent donc conscients du monde qui les entourent et de leur situation ô combien privilégié. C’est le genre de chose qui vous incite à espérer tant soit peu en l’humanité…

(Et comme je me veux exceptionnellement positif, je ne m’attarderai pas sur le fait que les événements ne tardent jamais à fournir l’antidote à pareille crise de foi. Je mentionnerai donc uniquement « pour info » que, à l’extrême opposé du modèle grec, les joueurs du Ghana ont eux décidé de se mettre en grève et de refuser de s’entraîner aussi longtemps qu’ils n’auraient pas en poche leur prime… payée en liquide. Ultimatum auquel le président ghanéen a répondu en affrêtant illico un avion afin de livrer aux mutins quelque 3 millions de dollars à se partager avant l’échéance fatidique du prochain match. Il ne me semble pas inutile de préciser que ces joueurs sont tout sauf des forçats du ballon rond ; évoluant dans les championnats français, italien, allemand, anglais ou aux Emirats Arabes Unis, ils bénéficient même de conditions financières particulièrement favorables. Avec une 135ème place (sur 187) au classement de l’Indicateur de Développement Humain des Nations Unies, leur pays est par contre dans un état qui aurait dû les dissuader de le rançonner…
Comme quoi, égoïsme contre conscience collective, regard rivé au nombril des privilèges ou attentif à l’état du monde, le théâtre footballistique n’est en fin de compte que le reflet d’une société incapable de renoncer à sa jouissance immédiate et sans entrave pour sauvegarder son avenir. Mais chuuuuut, l’heure n’est pas aux jérémiades! « Oh,ooooo,oh, Oh,ooooo, oh… » – « Tous ensemble, tous ensemble, hé, hé ! Tous ensemble, tous ensemble, hé, hé ! » – « Waar is dat feestje ? Hier is dat feestje ! »)

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