Le paysan Paul s’attaque au Seigneur des poisons

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Ce lundi 12 novembre s’est tenu au tribunal de grande instance de Lyon le procès intenté par un agriculteur français, Paul François, à l’encontre du géant de la chimie Monsanto. Gravement malade suite à l’utilisation en 2004 d’un désherbant très dangereux – le Lasso -, il avance que « ce produit présentait un réel danger potentiel. Monsanto ne peut pas dire qu’il ne savait pas« . Un procès de l’amiante bis ? Le délibéré sera rendu le 13 février 2012. Les enjeux…

Une intoxication grave reconnue

Le 27 avril 2004, après le traitement de son champ de maïs, Paul François, agriculteur charentais a nettoyé une cuve, dont se sont échappées des vapeurs gazeuses. Il est tombé dans le coma et a été frappé d’amnésie. De nombreux troubles, notamment neurologique[[La maladie, Paul la détaille, comme pour mieux la combattre. Pourtant, l’écouter dresser la liste des affections dont il a souffert a de quoi vous tourner la tête. D’abord l’amnésie, l’insuffisance respiratoire, les problèmes d’élocution. Cinq semaines après l’accident apparaissent les vertiges. Cinq mois après l’inhalation, il a des absences sur sa moissonneuse-batteuse. « Je n’étais pas cohérent dans mes propos. Mes proches ne me reconnaissaient plus, je devenais irritable. Le matin, je donnais des consignes qui n’étaient pas celles du soir. » Son état empire. Il tombe à plusieurs reprises dans le coma. C’est sa femme, une ancienne infirmière « tenace » , qui pousse les médecins à faire analyser des échantillons d’urine et de sang. Ils trouvent, pratiquement un an après l’accident, du chlorophénol. « On est censés ne pas en avoir », dit Paul. Le corps médical rechigne à établir le lien avec l’inhalation du Lasso. Les médecins pensent plutôt dépression. Au début, il accepte l’idée. Le centre antipoison refuse de le recevoir. Un médecin le soupçonne de se « droguer ». « Cela l’a mis en colère », explique un scientifique. « Je voyais autour de moi une suspicion malsaine », dit Paul. Heureusement, des experts trouvent son cas étrange, lui viennent en aide, l’aident à rédiger ses conclusions. « Il était tout seul, isolé », raconte le toxicologue Henri Pézerat. Sans cette main tendue, ces chercheurs qui ont pris sur « leur temps personnel », il ne sait pas où son combat en serait aujourd’hui. Source, Libération, 27 décembre 2009]], ont persisté et il est aujourd’hui invalide à 50%. En 2008, les séquelles de son accident ont en effet été considérées comme une maladie professionnelle par le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de Charente. Ce qu’a confirmé la cour d’appel de Bordeaux en janvier 2010.

Le produit très dangereux d’un industriel contestable et contesté

Le Lasso, loin d’être l’inoffensif produit censé aider le cultivateur à sauver la terre, est notamment constitué de chlorobenzène et d’alachlore, deux molécules toxiques.
Ce désherbant a été interdit au Canada dès 1985, en Belgique en 1990, au Royaume-Uni en 1992. En France, il ne l’a été qu’en 2007. Selon Maître François Lafforgue (cité par le Monde.fr), Monsanto va s’abriter derrière l’homologation officielle de l’Etat dont bénéficiait son produit avant son interdiction, pour justifier sa commercialisation. Confirmation de la chose par François Veillerette, porte-parole de Générations Futures, qui déclare, au terme de la séance : « Générations Futures était présent lors des plaidoiries et se félicite des nombreux arguments apportés par Maître Lafforgue prouvant la responsabilité de Monsanto dans l’intoxication dont a été victime Paul en avril 2004. En face, la plaidoirie de la partie adverse est apparue bien pauvre. L’avocat de Monsanto n’a su que dire que la firme avait respecté les règles en matière d’information (sur l’étiquette) imposées par l’Etat, que personne n’était présent au moment où Paul s’intoxiquait, et que finalement rien ne prouvait que Paul ne s’était pas volontairement intoxiqué (sic)». Mais, note alors l’avocat, « depuis l’affaire du Mediator, on sait que les homologations ne sont pas à l’abri de désinformation de la part des industriels » (ne manquez pas à ce sujet : Odes aux pesticides : un rapport qui décrédibilise l’agro-industrie !). Le discours selon lequel un pesticide n’est nocif que si on l’utilise mal est le leitmotiv, depuis des années, de l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP) – charmant nom dont s’est affublée la fédération de 20 entreprises qui mettent sur le marché et commercialisent des produits phytopharmaceutiques et des solutions de protection des cultures, dont les biotechnologies et les techniques complémentaires. Leur site vaut le détour, ainsi que l’interview de leur directeur, Jean-Charles Bocquet, suite à la séance de Lyon. Information ou propagande ?

Les ONG ont, quant à elles, montré plus d’une fois que les autorités publiques (principalement européennes) font preuve soit de complaisance pour les industries « puissantes » soit de légèreté dans leurs obligations de garantir une santé publique correcte notamment en affaiblissant les législations susceptibles de réguler correctement la mise sur le marché et l’utilisation de produits dangereux : Produits phytos : quand les dérogations deviennent la règle ou encore Pesticides : l’économique peut primer sur la santé publique !

Briser l’omerta du milieu agricole

Les agriculteurs sont les premières victimes de pesticides (observation de cas de cancers de la prostate, de la vessie et de maladies neurologiques chez des exploitants ou salariés ayant utilisé des herbicides, fongicides, insecticides… pendant de nombreuses années). Cette affirmation vient d’être récemment confortée par le rapport du Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (rnv3p) coordonné par l’Anses, qui avance que les deux tiers des tumeurs observées chez les professionnels des secteurs de l’agriculture seraient dues à une exposition aux pesticides.

Le milieu agricole, lui, se tait. L’une des principales raisons avancées est la culpabilité face aux accusations de plus en plus nombreuses qu’il pollue et est responsable de problèmes de santé dans la population. Les agriculteurs doivent en outre prendre distance face aux discours qui leur ont été martelés avec force persuasion par les représentants de commerce des firmes comme Monsanto, Bayer, Dow chemical etc., discours selon lesquels les produits qu’ils vendent sont inoffensifs, bons pour la terre, qu’ils permettent une amélioration notable de la rentabilité (et donc des revenus) et participent à la lutte contre la faim dans le monde. Il est, c’est un fait, difficile de reconnaître que l’on s’est largement trompé en se faisant manipuler. Alors, et on peut le comprendre (mais pas l’excuser), on se tait.

« Ils passent sous silence leurs problèmes de santé, le nez qui saigne, les yeux qui piquent, le mal de tête… Ils laissent filer, mais les intoxications chimiques finissent par provoquer des maladies graves« , explique Paul François pour qui « des paysans sont en train de crever dans leur coin« .
Aussi, sous son impulsion, fin mars 2011, l’association Phytovictimes fut créée. A l’initiative d’une quarantaine d’agriculteurs, atteints de pathologies graves pour la plupart, ce regroupement national a pour but d’accroître la prise de conscience des pouvoirs publics et d’organiser l’aide aux malades. Sans vouloir tout interdire, les membres de l’association souhaitent avant tout une surveillance plus attentive de ces produits, une meilleure connaissance des conséquences et la reconnaissance de leurs pathologies.

Pesticides et amiante, même combat ?

Cette démarche d’une victime d’un produit dont la toxicité est largement reconnue et qui est- ou a été – l’objet d’interdiction n’est pas sans rappeler le récent procès, en Belgique, intenté et gagné par la famille de Françoise Jonckheeren victime, ainsi que son mari et deux de ses fils de l’amiante. Selon ce jugement qui, espérons-le, marquera un tournant décisif dans ce type de dossier, « il est prouvé à suffisance qu’Eternit a tiré un intérêt personnel de la manière avec laquelle on a tenté de minimiser et de dissimuler les dangers de l’amiante et du fait de combattre les initiatives légales en vue de la protection de la santé publique ». Le tribunal a aussi tenu compte du « cynisme incroyable avec lequel des connaissances scientifiques ont été balayées par appât du gain ». Si l’on peut aisément, sans trop de risques d’erreur transposer ces assertions au cas de Monsanto, rien ne garantit que la justice française suivra le chemin ouvert par son homologue belge.

Et en Belgique ?

Deux éléments d’information récents méritent d’être mentionnés.

 Le député régional wallon, Patrick Dupriez vient précisément, ce 29 novembre de poser une question orale à Madame Éliane Tillieux, Ministre de la Santé, de l’Action sociale et de l’Égalité des Chances, question relative à la prévention des cancers liés à l’utilisation des pesticides chez les agriculteurs.

 Les résultats des actions menées à l’heure actuelle dans le cadre du PRPB (le programme (fédéral) de réduction des pesticides et des biocides) – notamment le projet toxicovigilance – devront être pris en compte dans la mise en ½uvre du plan d’action national par les différents ministres compétents sur cette question. Avec pour objectif non seulement d’affiner les connaissances, mais aussi de réduire de manière significative les risques d’exposition à ces substances, en privilégiant leurs alternatives.

On peut se réjouir que cette préoccupation devienne l’objet d’une attention particulière de nos responsables politiques. En espérant que des mesures très concrètes seront rapidement prises qui contribueront au développement d’une agriculture « saine », càd qui soit au service de la santé du vivant.

Des recours en justice aux campagnes citoyennes

Ces initiatives courageuses de la part des professionnels exposés aux substances toxiques sont essentielles en ce qu’elles constituent une étape importante dans la lutte pour leur interdiction ou leur régulation stricte. Premier pas indispensable mais insuffisant quand on sait que, dans le cas des pesticides, les risques encourus affectent également la santé de l’ensemble de la population et plus particulièrement des femmes enceintes et des enfants.

Pour arriver à mettre à mal les processus mortifères qui, alliant pressions des entreprises et complaisance des pouvoirs publics, sacrifient trop souvent encore la santé publique sur l’autel de la rentabilité économique, tous les outils doivent être mobilisés : recours en justice, (contre)lobbying des associations environnementales et de santé publique (BEE, PAN, IEW, Générations futures…), sensibilisation des acteurs, des professionnels aux citoyens consommateurs (Adalia, Ecoconso, campagne européenne « Sick of Pesticides », Nature et Progrès, les « Semaines sans pesticides« …).

Pour en savoir plus sur les pesticides : le portail sante-environnement