Le Petit Nicolas fait la révolution

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« Le système économique dominant n’est plus la solution mais bien le problème. » – « Le superflu des uns est sans limites alors que l’essentiel des autres n’est même pas satisfait… » – « Je m’insurge contre ce capitalisme triomphant qui a tout marchandisé. »

Ces déclarations ne sont pas extraites des Actes fondateurs de la IIIème Internationale socialiste, d’un discours du Leader maximo à l’apogée de sa gloire ou d’une diatribe médiatico-passionnelle d’Olivier Besancenot. Elles constituent quelques-unes des sentences sans appel que véhicule « Le syndrome du Titanic », le film de Nicolas Hulot (et Jean-Albert Lièvre, on l’oublie trop souvent).

C’est que le promoteur du Pacte écologique a viré sa cuti consensuelle pour se livrer à un réquisitoire sans concessions à l’encontre de la société telle qu’elle va. Le producteur-animateur d’Ushuaïa semble avoir découvert que derrière les images aussi belles que lisses des merveilles du monde se cache un monde qui n’a rien de merveilleux. Au tournant de la cinquantaine, le Zébulon vibrionnant aux quatre coins de la Planète en quête de chocs naturalo-esthétiques paraît assailli des troubles existentiels qui taraudent habituellement les esprits post-adolescents. Renversant la célèbre formule de Clémenceau – « Celui qui n’est pas révolutionnaire à 20 ans est un égoïste ; celui qui le reste à 40 est un imbécile » – le Petit Nicolas a endossé sur le tard ses habits de guérillero anti-consumériste.
Et le moins que l’on puisse écrire est que cela ne plaît pas à tout le monde. Voire que cela ne plaît à personne Ses contempteurs d’hier ne comprennent pas cette poussée de fièvre révolutionnaire tandis que ses adversaires de toujours y trouvent du nouveau grain à moudre au moulin de leur ranc½ur.

Alors, chacun y va de son attaque plus ou moins franche et opportune contre celui qui a surtout le tort d’être trop populaire pour être crû honnête.
Le Professeur Allègre, qui sait de quoi il parle, le qualifie d’imbécile.
Le très droitier et bien pensant « Figaro » ouvre ses colonnes[[Edition du 13 octobre 2009]] à Jean de Kervasdoué , auteur de « Les chevaliers de l’apocalypse »[[Professeur titulaire de la chaire d’Économie et Gestion des services de santé au Conservatoire national des arts et métiers, ancien directeur des hôpitaux au ministère de la Santé, a été président directeur général de SANESCO, responsable des études économiques à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et maître de recherche à l’école Polytechnique]] dont le pedigree nécessite une note de bas de page[[Editions Plon, 2007]] pour descendre en flêche « (…) le héros de la médiasphère bien pensante », celui qui est « (…) écologiste avec le c½ur, « écologiste politique ». Or, l’écologie politique n’est pas plus scientifique que ne le fut le marxisme, qui pourtant l’a longtemps prétendu et en a retiré, plusieurs décennies, une partie de sa triste légitimité. » Et de considérer que « sa remise en cause de la modernité à l’aide d’images catastrophiques ne peut pas prendre auprès de ceux qui ont plus de 20 ans dans le tiers du monde et plus de 50 ans dans les pays développés. Car les seniors occidentaux savent que depuis la guerre l’espérance de vie en France a augmenté de plus de vingt ans et que ces années furent aussi des années passées en meilleure santé. Nous nous souvenons aussi que le prix de la nourriture a fortement baissé, qu’elle est également d’infiniment meilleure qualité qu’à la fin des années 1950, grâce à la chaîne du froid, aux transports, aux engrais et aux pesticides. Soulignons une évidence qui semble oublier : les pesticides sont destinés à tuer des «pestes», certes on ne peut plus naturelles, mais néanmoins dangereuses pour l’homme car elles produisent des toxines dont la quasi-disparition a fait notamment baisser de manière spectaculaire les cancers gastriques. Peut-on également oublier que nous jouissons aujourd’hui du fait de ne plus avoir chaud ou froid. Qui peut prétendre que la climatisation en voiture par une belle journée d’été n’est pas un confort ?(…) »[[Et le procureur de poursuivre sa logorrhée assassine : « Pourquoi manger bio dans les cantines scolaires, ou chez soi ? Deux études, l’une française, l’autre anglaise, montrent qu’il n’y a aucun bénéfice en termes de santé ou en termes de goût à manger «bio». Chacun sait aussi que non seulement les produits «bio» sont plus onéreux mais qu’ils se conservent mal du fait de la présence de parasites «naturels». Certes les cultures «bio» protègent plutôt bien l’environnement, mais à quel prix ! Il faudra bien nourrir les 2,5 milliards d’humains qui s’annoncent. Ne peut-on pas protéger l’environnement autrement ? Cela est possible, notamment par les améliorations génétiques et les herbicides qui peuvent dès aujourd’hui diviser par neuf le gasoil utilisé par hectare. Mais les croyants aux bienfaits du «bio» préfèrent l’invective au dialogue. On n’est pas dans l’ordre du débat scientifique, mais dans celui des croyances quasi religieuses : les partisans du «bio» excommunient plus facilement qu’ils n’argumentent. (…)De même, la désinformation sur les OGM est considérable. Les Français ignorent ainsi que l’amélioration du traitement des diabétiques vient d’un OGM. Que les cochons nationaux sont nourris au soja américain génétiquement modifié. Mais les porcs ne deviennent pas phosphorescents et il m’arrive d’en manger ! (…)Enfin, faut-il l’accompagner dans son soutien de la taxe carbone ? Supposons (ndla : Admirons au passage ce « supposons »…)qu’il soit urgent et nécessaire de limiter la croissance des gaz à effet de serre. On est alors en droit de se demander si c’est le moyen le plus efficace pour y arriver. On peut en douter. En effet, on sait que chaque milliard de dollars de production en Inde et en Chine s’accompagne d’un rejet de gaz à effet de serre 15 fois supérieur à une production comparable en France. Ne faut-il donc pas mieux aider ces pays plutôt que de taxer les Français ? »]]

Et Daniel Cohn-Bendit poursuit la charge en piétinant pour l’occasion sa défroque de « Dany le Rouge » : « Nicolas Hulot fait partie de ceux qui sont dans une démarche telle que, in fine, la régulation démocratique ne suffit plus puisqu’il y a urgence. S’il continue comme ça, où va le conduire la radicalité de sa pensée ? Dire qu’il y a urgence, cela ne veut pas dire qu’il faut imposer. Le danger d’un certain argumentaire de la radicalité écologique, comme de la radicalité sociale, c’est de mettre entre parenthèses la démocratie. (…) Le propre de toute idéologie – de droite, de gauche ou écologique -, c’est d’être sûre d’avoir raison. Quand on dit « Il n’y a pas d’autre solution », c’est la fin. »[[in « Marianne » n°650 du 3 au 9 octobre 2009]]

Imbécile, passéiste et dogmatique doctrinaire aux frontières de la dictature : la critique ne fait pas dans la nuance ! Et on n’a encore rien dit des « opposants historiques » d’Hulot qui, d’une part, stigmatisent un film produit avec l’argent de L’Oréal (La Fondation Bétancourt), d’un opérateur de téléphonie mobile (Orange, filiale de France Télécom) et du maître d’½uvre de la toute puissante filière nucléaire française (EDF-GDF-Suez) et, d’autre part, dénoncent un homme au double discours dont les revenus auraient peu à voir avec la simplicité volontaire et dont les sympathies chiraquiennes puis sarkozistes – lesquelles témoignent d’une grande ouverture humaine tant ces deux-là s’opposent et se rejettent comme des aimants de même pôle ! – seraient incompatibles avec le discours tenu. Les humoristes trouvent dans tout cela matière à la caricature (trop) facile tandis que les polémistes se gargarisent de grands principes déconnectés du réel.

Essayons dès lors de prendre un peu de recul et de remettre chaque chose à sa juste place, à commencer par ce « Syndrome du Titanic » dont on a trop tendance à oublier qu’il est avant tout un film et doit (aussi, sinon surtout) être considéré sous cet angle cinématographique. Et de ce point de vue, le moins que l’on puisse écrire est que l’½uvre ne marquera pas l’histoire du 7ème art…

Démarche conceptuelle naviguant entre télévision scolaire sous psychotrope et ode visuelle introspective, ces 93 minutes de pellicule constituent un OFNI (Objet filmé non identifié) qui laisse perplexe. Ni documentaire, ni fiction, « Le syndrome du Titanic » ne (dé)montre pas, ne raconte rien ; c’est une mise en images plus ou moins jolies et édifiantes des introspections métaphysico-existentialistes de Monsieur Hulot. Des questionnements débités sur un ton dont on ne sait s’il est habité ou geignard mais qui relève en tout cas d’un nouveau concept : le slow speech. Au final, on se trouve plus prêt de la poésie que du pamphlet et, comme chacun le sait, la poésie, on y est réceptif… ou pas. En ce qui me concerne, j’aurais préféré ici la passion d’un appel à la révolte plutôt que la litanie d’une longue prière incantatoire. Ceci étant acté, il convient de remarquer que « L’incroyable vérité » d’Al Gore tutoyait elle aussi le niveau zéro du cinéma sans susciter de polémique… Alors, pourquoi ce déchaînement de critique(s) ?

Sans doute parce que, pour la première fois, un personnage public jouissant d’un capital popularité et sympathie considérable ose un discours politiquement et économiquement incorrect. On vient de le voir, la forme de sa diatribe peut être contestée mais le fond a le courage des constats qui fâchent et des questions qui dérangent. Il ne craint pas d’attaquer le dogme de la croissance – « Je m’insurge contre ce principe de croissance qui n’a d’autre objectif que lui-même. » – et appelle à l’action contraignante alors que l’on se complaît généralement dans la sensibilisation bien pensante – « Nous sommes inaptes à la limite. Nous devons alors la quémander, supplier les politiques de nous l’imposer. »

Alors, les uns condamnent cette radicalité qui serait non démocratique et passéiste tandis que les autres ne tolèrent pas de voir l’ennemi d’hier et de toujours marcher sur leurs platebandes idéologiques. On opposera aux premiers que la gravité du problème impose des solutions d’exception ; quant aux seconds, on les invitera à une tolérance minimale.

Certes, si l’Homme Nicolas voulait être fidèle à ses principes, il devrait claquer la porte d’une chaîne (TF1) dont le patron historique (Patrick Le Lay) avouait sans pudibonderie proposer des programmes ayant pour vocation première de mettre du « temps de cerveau disponible » à disposition de ses annonceurs publicitaires… et contribuer ainsi à la société de l’abondance et du gaspillage que « Le syndrome du Titanic » fustige. Le citoyen Hulot sortirait grandit d’un coup d’éclat l’amenant à stopper « Ushuaïa » sur une chaîne commerciale pour lancer « Tromsö »[[Alors qu’Ushuaïa (Argentine) est la ville le plus au sud de la planète, Tromsö (Norvège) est celle située le plus au nord.]] sur la télé publique. En attendant cet hypothétique transfert, évitons de tomber dans des postures de vierge effarouchée : le monde est ce qu’il est et il faut faire avec pour le changer. Boycotter le film, comme certains le font et /ou y appellent, relève d’un intégrisme aussi vain que déplacé.

On peut aussi s’étonner, regretter voire fustiger le fait qu’Hulot ne découvre qu’aujourd’hui la réalité du monde, qu’il prenne seulement conscience du fait que les Hommes ne traversent pas la vie dans les mêmes conditions, que quelques-uns voyagent en 1er classe, d’autres en 2ème et beaucoup trop en wagons à bestiaux. Mais faut-il lui reprocher de ne pas être tombé dans le bouillon écologique et social quand il était petit ou au contraire doit-on se féliciter de cette conversion, même tardive ? Après tout, si Jean-Pierre Hanssen (patron d’Electrabel) ou Anne Lauvergeon (présidente du directoire d’Areva, LE groupe industriel français spécialiste de l’atome) se lançaient demain dans une condamnation de l’énergie nucléaire, on se réjouirait de ce retentissant retournement de veste… Non ?

Enfin, on peut regretter la nature des partenariats financiers ayant permis à ce film d’exister mais il faut bien prendre l’argent là où il se trouve. Il eut sans doute été préférable qu’Hulot puisse réaliser son brûlot avec des fonds ne provenant pas du système qu’il dénonce mais faute de cette alternative et pour autant que ses producteurs n’influent pas sur le contenu, on peut (?) s’accommoder de cette concession éthique. Evitons l’indignation sélective : le Chevalier Blanc Michael Moore conduit sa petite entreprise sur des voies pas toujours en phase avec la philosophie de ses pamphlets sans que cela semble choquer quiconque. Et les deux principaux quotidiens de gauches français, « Libération » et « L’Humanité » ne doivent leur survie qu’à des capitaux injectés par ces « grands groupes capitalistes » qu’ils fustigent dans leurs pages, à savoir la famille de Rotschild pour l’un, les groupes Lagardère et TF1 pour l’autre. C’est regrettable, lamentable, déplorable mais c’est ainsi et sans doute préférable à l’extinction définitive de ces voix discordantes. Machiavel reste d’actualité : « La fin justifie les moyens… »

Le « Syndrome du Titanic » a un mérite majeur, à la fois insignifiant et capital, c’est d’exister. Toute cause a en effet besoin de héros, de figures emblématiques, pour triompher. Qu’un people comme Hulot défende la notion de décroissance n’engendrera certes pas une révolution en faveur du concept mais peut l’aider à percoler dans toutes les couches de la société.

Au lieu de s’enfermer dans des querelles de principes aussi stériles qu’infantiles, mieux vaudrait s’unir pour contribuer à enfoncer au plus profond tout coin planté dans l’omniprésence et l’impérialisme de la pensée dominante.

« Hasta la victoria siempre, Che Nicolas ! »

Extrait de nIEWs n° 62, du 16 au 29 octobre.

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