Le PIB: cache-sexe d’une économie déshumanisante

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Panique à bord. « Le pouvoir d’achat diminue », « l’indice de confiance des consommateurs est au plus bas», « la croissance est en recul, et n’atteint pas les chiffres escomptés ». Ces messages, nous les entendons, lisons à longueur de journées et d’années. Et avec l’augmentation du prix de l’énergie et des produits de première nécessité, la litanie n’est pas prête de s’arrêter… Derrière ces déclarations se cachent une peur viscérale: le recul du Produit intérieur brut ou PIB. Ce fameux indicateur économique, porté aux nues par tous se révèle pourtant bien limité au regard des enjeux sociaux et environnementaux actuels…

La croissance économique, c’est quoi?

Cette sacro-sainte croissance présentée par gouvernements, institutions internationales, économistes, journalistes, syndicalistes…comme un remède miracle est placée de manière récurrente comme objectif prioritaire au nom des peuples et de leur bien-être. Concrètement, la croissance est mesurée par le PIB, indicateur institué dans la plupart des pays après la seconde guerre mondiale afin d’orchestrer l’effort de reconstruction. Le PIB équivaut à la somme de tous les biens et services marchands produits au cours d’une année donnée.

Pourquoi cette obsession de croissance ?

La théorie est la suivante: plus les entreprises produisent, plus elles investissent et embauchent. Avec les revenus supplémentaires des salaires, la consommation augmente et les profits des entreprises de même. Ce phénomène de croissance produit les rentrées fiscales nécessaires pour financer les dépenses et les investissements publics, le budget national est calculé en fonction de la croissance. Une croissance élevée permet de voir l’avenir en rose mais une croissance négative, c’est la récession, le chômage. Tout notre système économique est basé sur ce principe de croissance lié corps et âme à notre capacité à produire et à consommer. Elle dépend donc de notre boulimie à consommer toujours plus.

Les limites de la croissance

Un nombre grandissant d’acteurs y compris politiques reconnaissent les limites (du moins certaines d’entre elles) du PIB. Ainsi par exemple, en octobre 2006, le Conseil fédéral du développement durable organisait un forum intitulé « redefining prosperity : une vision durable sur la croissance et la consommation ». Un an plus tard, le 19 et 20 novembre 2007, la commission européenne, le Parlement Européen, le Club de Rome, l’OCDE et le WWF annonçaient un événement intitulé « Beyond GDP », reconnaissant effectivement que « mesurer le progrès, la richesse et le bien-être requiert des indices aussi clairs et attrayants que le PIB mais plus complet que celui-ci, incluant les dimensions sociales et environnementales ».

Aucune considération qualitative quant à l’effet positif ou négatif de ces productions n’est effectuée. La reconstruction d’un pays après une guerre, un tremblement de terre est comptabilisée positivement par le PIB. Tout comme l’accident de voiture de Monsieur « économicus », les dégâts des eaux survenus dans sa maison, le cambriolage dont il a été victime, puisque pour restaurer, remplacer tous ses biens, il a dû dépenser une somme d’argent considérable. Pas sûr pourtant que son bien-être ait été amélioré… Aux USA, plus de la moitié du PIB est ainsi liée à des coûts de réparation ou à la destruction irréversible de certaines ressources dont l’épuisement est compté positivement[[A. Boutaud, Fracture sociale, fracture écologique : la terre est malade… et si on changeait de thermomètre ? WWF-France]]!

Autre défaut majeur du PIB : il ne comptabilise pas ce qui n’est pas chiffrable comme le bénévolat, les tâches ménagères, les actes de gratuité, la naissance d’un être humain, etc. … autant d’éléments pourtant d’une richesse incontestable pour l’Humain.
Robert Kennedy résumait bien ces deux derniers points: « Notre PIB, (…) comprend aussi la pollution de l’air, la publicité pour le cigarettes, et les courses des ambulances qui ramassent les blessés sur les routes. Il comprend la destruction de nos forêts et la destruction de la nature. Il comprend le napalm et le coût du stockage des déchets radioactifs. En revanche, le PIB ne tient pas compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur instruction, de la gaieté de leurs jeux, de la beauté de notre poésie, ou de la solidité de notre mariage. Il ne prend pas en considération notre courage, notre intégrité, notre intelligence, notre sagesse. Il mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue[[cité dans S. Latouche, Le pari de la décroissance, Ed Fayard, 2006]] ».

Il n’est pas un bon indicateur de bien-être pour notre société comme nombre d’économistes l’affirment pourtant encore. Depuis les années 70, alors que le PIB continue d’augmenter, la « satisfaction de vie »[[évaluation par sondage de la satisfaction globale que lui procure la vie.]] des occidentaux stagne voire même décroît, notamment en Belgique[[Cassiers I., Delain C. « La croissance ne fait pas le bonheur : les économistes le savent-ils ? » Regards économiques, n°38 mars 2006]] , indiquant ainsi un découplage du bien-être et de la croissance économique. Dans le même ordre d’idée, la croissance des antidépresseurs montre une évolution parallèle à celle du PIB.

Quant à l’efficacité de la croissance pour créer de l’emploi et combler les inégalités sociales, elle nous semble aussi particulièrement limitée. En Wallonie, de 1981 à 2005, le nombre de chômeurs complets indemnisés a quasi doublé en passant de près de 110.000 à plus de 210.000 personnes… pendant que la valeur du PIB belge par habitant progressait de 80% durant cette période. On pourra certes nous rétorquer que sans la croissance, la situation aurait été pire mais la richesse des pays du Nord n’ayant jamais été aussi importante, n’aurait-elle pas dû, si l’objectif avait été celui-là, résoudre à tout le moins les problèmes de chômage ?

Les inégalités sociales entre les pays ne cessent de grandir. Selon le PNUD, «l’écart entre riches et pauvres se creuse depuis le début du XIXième siècle: …] la répartition du revenu mondial entre les pays montre que l’écart entre les pays les plus riches et ceux les plus pauvres qui était de 3 à 1 en 1820 passe de 72 à 1 en 1992»[[Rapport mondial sur le développement humain. PNUD 1999]]. Les 500 personnes les plus riches sur la planète possèdent un revenu plus important que les 416 millions les plus pauvres. Ces différences se creusent également au sein même des pays qu’ils soient du Sud ou de l’OCDE[[Selon le [BIP 40 (un baromètre construit sur plus de 60 indicateurs connectés aux inégalités et à la pauvreté), la France a vu ses inégalités augmenté de plus de 25% de1980 à 2004. ]].

Pour des raisons évidentes de limitations des ressources et de finitude du monde, la croissance (et donc le PIB) telle que calculée aujourd’hui est insoutenable et nuisible. « La croissance économique, telle que nous la connaissons aujourd’hui et depuis deux siècles, se nourrit de la substitution de machines au travail humain et animal. Les machines fonctionnent largement grâce aux combustibles fossiles. Or le coût de l’énergie fossile augmente, Et le recyclage est extrêmement gourmand en énergie, ce qui accentue le problème. Ce schéma de croissance n’est pas soutenable.[[Interview de Robert Ayres dans le Soir du 21/05/2007 p. 18]]»

Sortir de l’économisme à tout crin

Comme le souligne Christian Coméliau, nous sommes aujourd’hui braqués sur le compteur kilométrique de notre véhicule (la croissance) en essayant de maximiser notre vitesse plutôt que de réfléchir à l’endroit où nous voulons aller. Quelle société voulons-nous ? Il est urgent d’instaurer un débat démocratique sur cette question fondamentale, de définir une vision commune du futur. L’économie ne peut plus être considéré comme une fin en soi mais doit aider –si besoin est- à servir les objectifs environnementaux et sociaux que l’on s’est fixé. Il est grand temps de sortir de l’économisme à tout crin, du culte de la croissance. Pour réenchanter le monde.