Le train à l’heure… des mythes !

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Pour d’aucuns, grande vitesse et réduction d’emploi devraient être les deux mamelles du transport ferroviaire de demain. Deux faits d’actualité viennent illustrer ces modes de pensée qui, selon notre analyse, appartiennent à une époque qui, si elle est encore proche, n’en est pas moins révolue.

Premier élément. En France s’est ouvert ce mardi 04 octobre, pour une durée de trois mois, un « débat public » sur la ligne à grande vitesse Paris Orléans Clermont Lyon (POCL). Un projet d’environ 10 milliards d’euros pour 500 km. Comme l’analyse très justement la fédération France Nature Environnement (FNE) dans le communiqué de presse diffusé à cette occasion, dans l’actuel contexte de réduction des ressources financières, la priorité à ces nouveaux projets se fait au détriment du trafic de proximité et du maintien et du développement des réseaux ferroviaires existants, qui ne sont ni entretenus ni optimisés. Le train permet, en utilisant l’électricité comme vecteur énergétique, de s’accommoder de toute source d’énergie primaire – et sans devoir stocker l’énergie à bord (ce qui constitue la grande faiblesse de la voiture). C’est donc un outil formidable pour répondre, entre autres, au double défi climatique et énergétique. Faut-il, dans ces conditions, recentrer l’offre sur quelques grandes lignes à grande vitesse ? Il est permis d’en douter. Michel Dubromel, Vice Président de France Nature Environnement, livre une analyse qui pourrait être transposée directement à la Belgique : « Il est temps aujourd’hui d’opter pour un modèle ferroviaire qui donne la priorité à l’augmentation des fréquences et de la régularité en investissant dans l’entretien et l’optimisation du réseau existant et en rouvrant des dessertes locales. Les citoyens n’ont pas besoin de trains toujours plus rapides mais bien de trains qui circulent plus souvent et qui, c’est le service minimum, arrivent à l’heure ! »

Deuxième élément. La FEB vient de publier, le 30 septembre, une analyse intitulée « Des gains d’efficience considérables à réaliser au sein du Groupe SNCB ». Ce document de neuf pages entend comparer l’efficience de la SNCB avec celle des compagnies ferroviaires opérant en Suisse et aux Pays-Bas. L’analyse compare le nombre d’équivalents temps pleins nécessaires pour produire une quantité identique de service. Notons d’emblée le caractère très réducteur – pour ne pas dire le biais – de cette approche. Le service considéré, dénommé « l’unité d’output » est le voyageur.km ou la tonne.km. Mais dans quelles conditions ces voyageurs ou ces tonnes sont-ils transportés ? Un voyageur debout vaut-il un voyageur assis ? Un cheminot stressé vaut-il un cheminot serein ? Et, au-delà, ces transports constituent-ils de la « massification » sur des itinéraires principaux, ou sont-ils également relatifs à des transports irrigant plus le territoire. Leur utilité sociale est-elle équivalente ? Cette absence totale de toute considération qualitative, révélatrice de l’approche techno-centrée qui pollue le système des transports depuis des décennies, est malheureusement très réductrice.

Pour la FEB, « Une question que l’on peut par exemple se poser est de savoir si les lignes et les gares qui sont à peine utilisées ne devraient pas progressivement disparaître et être remplacées par des solutions alternatives moins coûteuses ». C’est avec des raisonnements comme celui-ci que l’on a élaboré le plan IC-IR de 1984 à l’occasion duquel 234 gares et points d’arrêts furent fermés d’un seul coup. Une expérience de comptage menée à une échelle très locale dans le Brabant wallon a montré que, à un niveau très local, sur les 70 navetteurs privés de train suite à la mis en place du plan, 17 utilisaient encore, après six mois, les services des « solutions alternatives moins coûteuses » (des bus en l’occurrence). Le reste avait migré vers la voiture… Cette stratégie de démantèlement progressif de l’offre est, fondamentalement, une stratégie qui pèche par manque d’ambition. Rien d’étonnant, lorsque l’on dégrade l’offre, que la demande diminue et se reporte sur d’autres produits et services. La question qu’il convient de se poser aujourd’hui est la suivante : dans l’optique d’une migration vers un système de mobilité qui soit réellement durable, quels services de transports convient-il de développer ? Sur base de la réponse à cette question, on peut redévelopper et calibrer l’offre. La politique à la petite semaine qui consiste à supprimer tel ou tel élément du service pour équilibrer ponctuellement un budget ne devrait plus avoir cours.

La FEB pointe également du doigt le fait que le groupe SNCB recourt relativement peu à la sous-traitance : « Le résultat d’une politique d’insourcing excessive implique quasi toujours un handicap sur le plan de la flexibilité, et donc des coûts plus élevés, sans pour autant que cela s’accompagne d’un meilleur service. Un recours accru à l’outsourcing permettrait en outre d’insuffler une bouffée d’oxygène supplémentaire au tissu économique de notre pays. »

Sans vouloir se substituer aux syndicats, il est difficile de ne pas relever que :

  une politique d’insourcing (en français : faire réaliser le travail en interne plutôt que de le sous-traiter) a le mérite de garantir une stabilité d’emploi, ce qui n’est pas négligeable au niveau social ;

  la sous-traitance se traduit trop souvent par la maltraitance des sous-traitants (de la part des grosses sociétés) et, par effet cascade, de leur personnel par les sous-traitants dans le cas de petites structures où la défense des travailleurs peut se révéler déficiente ;

  l’affirmation selon laquelle le recours accru à l’outsourcing (la sous-traitance) permettrait d’insuffler une bouffée d’oxygène au tissu économique relève d’un dogmatisme mal venu dans un document d’analyse dont le ton prétend au pragmatisme ;

  a contrario, l’effet recherché de la politique de sous-traitance suggérée est une compression de la main-d’½uvre ou du moins sa flexibilisation, donc à sa précarisation (le manque de flexibilité étant justement pointé ici comme une faiblesse des pratiques actuelles).

Enfin, selon la FEB, il est nécessaire de « se préparer à l’inéluctable libéralisation du trafic voyageurs domestique ».
Encore une fois, cette affirmation nous semble relever du dogmatisme. Pourquoi cette évolution devrait-elle être inéluctable ? Ne faut-il pas, sinon remettre directement en cause, du moins interroger l’approche dogmatique de la Commission européenne qui fait l’hypothèse de la meilleure efficacité d’un secteur libéralisé ? Si cette affirmation peut être validée en se référant à l’indicateur PIB, résiste-t-il face aux indicateurs alternatifs (intégrant d’autres dimensions telles que l’éducation, le bien-être, …) dont la plupart des acteurs sociétaux reconnaissent qu’ils devraient prendre le pas sur le PIB ? N’est-il pas nécessaire, aujourd’hui, de refuser de considérer comme inéluctable la libéralisation du trafic de voyageurs domestique, définie il y a plus de dix ans, à une époque où la nécessité de développer des indicateurs alternatifs au PIB n’était pas encore reconnue ?

Développement de lignes à grande vitesse en France, demandes de compression d’emplois et de fermetures de petites lignes et petites gares par la FEB en Belgique. De nombreux acteurs, et non des moindres (ici, un Etat et une fédération nationale d’entreprises) veulent appliquer au transport ferroviaire de demain les recettes qui, utilisées hier, ont concouru à l’affaiblir. Ce dont le transport ferroviaire a besoin, aujourd’hui, c’est d’une vision systémique et prospective sur laquelle bâtir une stratégie de redéploiement dont doivent découler les choix opérationnels.