Les accords de branche wallon : un premier bilan intermédiaire

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Mis en oeuvre entre 2003 et 2004 dans le but de maîtriser les émissions de CO2 du secteur industriel, les accords de branche conclus entre la Région wallonne et onze fédérations professionnelles (industries papetière, chimique, cimentière, etc.) sous la forme de conventions environnementales, engageaient ces dernières à réduire leurs consommations d’énergie et leurs émissions de CO2 spécifiques (par unité produite) jusqu’en 2010 ou 2012 selon les secteurs. Ainsi par exemple, le secteur de l’industrie des métaux non-ferreux s’engageait à réduire sa consommation d’énergie et ses émissions de CO2 par unité produite de 11% entre 2000 et 2012. En contrepartie, la Région s’engageait à accorder certains avantages financiers aux entreprises contractantes : financement des audits énergétiques et de la mise en place d’une comptabilité énergétique, exonération de la cotisation fédérale sur l’électricité, réduction des certificats verts exigés à leur fournisseur d’électricité, etc.

Les premiers rapports de suivi de ces accords ont été présentés par les fédérations au conseil économique et social de la région wallonne (CESRW) et au conseil wallon de l’environnement pour un développement durable (CWEDD), lors d’une réunion d’information conjointe qui s’est tenue en début d’année. Bien que les données fournies soient partielles et ne permettent pas de tirer des conclusions définitives, certaines tendances se dessinent clairement. En effet, les résultats présentés sont éloquents (voir les tableaux ci-dessous) : 4 accords de branche sur douze sont déjà respectés et 3 sont sur le point de l’être (plus de 80% de l’ « effort » ayant déjà été consenti), alors que les objectifs étaient fixés pour l’année 2012 ! A titre d’illustration, le secteur des non-féreux avait déjà amélioré, fin 2004, son efficacité énergétique de 14,8% et ses émissions spécifiques de CO2 de 15% ; les objectifs de 11% à l’horizon 2012 sont donc pulvérisés. Si de tels résultats peuvent paraître encourageants, ils trahissent cependant  ce qu’IEW dénonçait dès leur mise en place : une grande laxité dans la fixation des objectifs hypothéquant l’efficacité environnementale de l’instrument.

A l’époque de leur signature, IEW regrettait que les objectifs d’amélioration d’efficacité énergétique fixés dans les accords différaient peu de l’amélioration observée dans les années 90. Depuis les premiers chocs pétroliers en effet, les industries améliorent leur efficacité énergétique (quantité d’énergie consommée par unité produite). Il ne s’agit pas là d’ « efforts douloureux » pour préserver l’environnement, mais bien de mesures rentables destinées à améliorer leur compétitivité. Dès lors, l’utilité des accords de branche est de fixer des objectifs plus ambitieux que les mesures d’économie d’énergie qui seraient de toute façon réalisée sans la mise en place d’un tel instrument. Cette condition étant d’autant plus nécessaire que de tels accords octroient en contrepartie des cadeaux fiscaux et avantages économiques aux industries contractantes.

Alors donc que les objectifs semblaient déjà s’écarter très peu de ce qui était alors considéré comme des mesures « rentables », un élément capital a changé la donne : la montée en flèche des prix du baril (de 10 $ en 1999, ils sont passés à plus de 70$) a augmenté la rentabilité des mesures d’économie d’énergie. Ce qui n’était pas rentable hier l’est donc largement devenu aujourd’hui. Les objectifs des accords, correspondant à quatre ans de retour sur investissement sont donc aujourd’hui complètement caducs. 

L’importance réelle des économies d’énergie réalisées par les industries engagées dans des accords de branche  contraste donc avec les efforts répétés de communication des fédérations industrielles. Les fameux « douloureux efforts consentis pour atteindre Kyoto » assénés à grand coups de communiqués de presse ne sont en réalité que des mesures rentables, les accords de branche n’ayant fait qu’entériner des mesures qui auraient de toute façon été mise en oeuvre. Tout au plus, les audits réalisés aux frais de la Région auront permis de mettre plus rapidement en évidence des mesures d’économies d’énergie dont les industries ignoraient l’existence. A travers les accords de branche, la Région a donc aidé les industries à améliorer leur compétitivité en leur accordant des cadeaux non-négligeables (les avantages de la seule exonération de quotas de certificats verts se chiffreraient à 16 millions d’euros pour la seule année 2005, pourraient atteindre 42 millions(1) d’euros en 2010 !). Et cela ne leur suffit manifestement pas : deux cartes blanches récentes signées par les fédérations industrielles continuent de vanter leurs efforts consentis dans les accords de branche afin de réclamer une réduction supplémentaire de leurs quotas.

Dans un contexte d’incertitude et de volatilité des prix du baril, fixer des objectifs de réduction d’émissions à des échéances si lointaines semble bien être une fameuse gageure. Pour garantir leur efficacité, il conviendrait probablement de lier les objectifs fixés à l’évolution des principaux facteurs influençant la rentabilité des investissements d’économie d’énergie : évolutions des prix énergétiques, des taux d’intérêts, du niveau de déductions fiscales et de primes  pour investissement « économiseurs », … Une façon de favoriser l’adhésion de l’ensemble des partenaires sociaux en garantissant un réel effort, et donc une réelle plus value environnementale des accords. Mais de tels aménagements risquent fort bien de se heurter à la très stratégique « confidentialité des données »,  principe sacré dont les fédérations industrielles ne cessent d’abuser, faisant fi la Convention d’Aarhus ratifiée par la Belgique. En témoigne leurs réticences à ce que soient chiffrés l’ensemble des avantages consentis par les différents niveaux de pouvoir, en contrepartie des fameux accords signés (lire à ce sujet le texte de Coralie Vial dans le présente numéro de nIEWs).

(1) Lire à ce sujet la nIEWs de Thibaud de Menten datée du 31 janvier : « Acheter de l’électricité verte : un acte symbolique ».

(2) Convention du 25 juin 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement.

Tableau 1 – Vue d’ensemble des douze accords signés

Secteur

Nombre d’entreprises

Année de départ

Objectif efficacité énergie 12/2010

Objectif efficacité CO2 12/2010

Fin de l’accord

Objectif 12/2012 déjà estimé

Processus de révision / fixation objectif 2012

2003

Cobelpa papier

8

2000

29/12/12

33 %

cf. article 13

Fedichem chimie

15

2000

30/12/12

16 %

cf. article 13

2004

Agoria fonderies

12

1999

8,7 %

8,3 %

31/12/12

non

oui

Agoria non-ferreux

9

2002

11,0 %

11,0 %

31/12/12

non

oui

Agoria fabrications métalliques et électriques

10

1999

13,5 %

12,8 %

31/12/12

non

oui

Carmeuse

1

2000

1,1 %

0,2 %

31/12/12

non

oui

CBL laiteries

4

2001

5,6 %

5,3 %

31/12/12

oui

oui

Febelcem ciment

3

1999

8,3 %

9,5 %

31/12/10

non

oui

Fevia agro-alimentaire

37

2001

8,2 %

11,3 %

31/12/12

oui

oui

Groupe Lhoist

1

2000

2,8 %

11,0 %

31/12/10

non

oui

GSV Sidérurgie

10

2000

5,6 %

5,8 %

31/12/12

non

oui

FIV verre

7

1999

11,4 %

11,0 %

31/12/12

oui

oui

Tableau 2– Accords de branche exercice 2004 : résultats chiffrés

Amélioration de l’efficacité énergétique

(en %)

Evolution des émissions de gaz à effet de serre par unité produite (en %)

SECTEUR

Objectif final (2010 ou 2012)

Résultat atteint fin 2004

Objectif final (2010 ou 2012)

Résultat atteint fin 2004

Cobelpa papier

-33,00

-18,40

-35,00

-18,40

Fedichem chimie

-16,00

-14,60

-16,00

-15,70

Agoria fonderies

-8,20

-5,20

-8,30

-5,00

Agoria non-ferreux

-11,00

-14,80

-11,00

-15,00

Agoria fabrications métalliques et électriques

-13,50

-12,00

-12,80

-12,20

Carmeuse

-1,10

-1,50

-0,20

-0,40

CBL laiteries

-5,60

-9,11

-5,30

-14,01

Febelcem ciment

-8,30

-4,90

-9,50

-11,10

Fevia agro-alimentaire

– 7,60

-13,00

-10,90

-16,00

Groupe Lhoist

-2,80

-0,30

-11,00

+0,70

GSV Sidérurgie

-5,60

-2,50

-5,80

-7,30

FIV verre

-11,40

-10,60

-11,00

-8,50

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