Les agrocarburants, une fausse bonne solution

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Quels changements sont à attendre au niveau des agrocarburants en Belgique et en Europe ? Va-t-on enfin voir une avancée dans la régulation et la sortie de l’utilisation de ces produits, qui pour la 1re génération n’ont de durable que le nom ?

Les agrocarburants de 1re génération sont produits à partir de matières comme le soja, l’huile de palme, le blé, le colza…   Ce sont des produits issus de l’agriculture utilisé pour remplacer les carburants classiques à base d’énergies fossiles. Déjà en 2010 dans une étude commanditée par le Service public fédéral, CETRI1 dénonce les dérives de ces produits : « Il ressort (…) que, à ce jour, l’expansion des agrocarburants a eu des impacts essentiellement négatifs. La gravité des situations décrites et leur très large prévalence relèvent du non-respect des droits humains fondamentaux (…). Ils vont à l’encontre des engagements de la Belgique en matière de biodiversité, d’environnement et de climat »2 .

Ce constat vient du fait que les externalités des agrocarburants ont tendance à être « oubliées » ou sont sous-estimées. Une analyse plus poussée de ces externalités a été produite par la Commission européenne en 20153.  Je vous propose ici les résultats obtenus par T&E en 20164 sur base des conclusions du rapport de la Commission européenne. Les résultats de la figure ci-dessous sont sans appel : sur base de la véritable quantité de CO2 émise par les agrocarburants (surtout le biodiesel), ils sont en moyenne 1,7 fois plus néfaste pour le climat que le pétrole !

La dimension qui n’est jamais abordée par les entreprises est représentée par les parties orange et bleu foncé des bâtonnets de la figure de T&E. C’est ce qu’on appelle l’impact ILUC (Indirect Land Use Change). L’impact ILUC correspond au fait qu’il faut une très grande quantité de surfaces agricoles pour arriver à un volume suffisant d’agrocarburants propres à l’utilisation. Ces surfaces agricoles consacrées à la production d’agrocarburants provoquent une déforestation massive des forêts primaires d’Amérique du Sud et d’Asie. Cet effet est également visible dans nos régions : moins de place à l’agriculture alimentaire et augmentation la dégradation de nos surfaces agricoles. C’est un effet indirect des agrocarburants qui a de graves conséquences sur le dérèglement climatique. Les forêts détruites sont des foyers d’espèces protégées, des zones d’habitats pour des peuples natifs et des lieux cruciaux pour capter le CO2 bien plus efficaces que les gigantesques exploitations en monocultures du secteur des agrocarburants.

Pour vous donner une idée concrète de ce que cela représente : quand vous achetez de l’essence E85, vous achetez un carburant qui mélange de l’essence classique SP95 et du bioethanol ; le bioethanol se trouve à des concentrations à hauteur de 7% d’agrocarburants de 1re génération et 1,7 % d’agrocarburants avancés. Pour ces 7 %, c’est à dire plus ou moins 3.5 litres d’un plein, il a fallu produire, transporter, raffiner et transformer l’équivalent de 10 pains, 3 kg de maïs et 1 kg de sucre.

La Belgique à la traine ?

En Europe, les états en 2020 devaient atteindre un minimum de 10% d’énergie renouvelable dans les transports, cette obligation tombe à 0% au 1er janvier 2021, pour remonter ensuite progressivement jusqu’à 7% en 20305.  La Commission précise bien que cette obligation de 7% ne doit pas être atteinte à partir d’agrocarburants issu de matières premières alimentaires, mais à partir d’autres sources énergétiques comme l’électricité renouvelable, les agrocarburants dits « avancés », etc.

Cependant, les agrocarburants issus de matières premières alimentaires pourront toujours être utilisés par les états qui le décident, dans un cadre limité : une contribution qui ne peut jamais excéder 7% de l’énergie renouvelable des transports, et pour laquelle sera, en outre, mis en place entre 2023 et 2030 un phasing-out progressif des agrocarburants à haut impact climatique (high ILUC).

Les biodiesels de palme et de soja, comme vous le montre la figure de T&E ci-dessous, sont dans le viseur d’une série d’états européens. Notre ministre de l’énergie Tinne Vanden Straeten a bien produit un Arrêté Royal l’année passée, mais des soucis persistent avec le Conseil d’État. Verra-t-on enfin en 2022, un début de démarrage d’un phase out de ces produits exécrables en Belgique ?

Que penser des agrocarburants avancés ?

En observant la figure 1, vous vous dites sûrement qu’ils ont un bien plus faible impact sur le climat. Mais il faut garder un esprit critique : les huiles usagées utilisées en Europe proviennent pour la plupart de Chine, de Malaisie et d’Indonésie. Ces pays n’ont aucune régulation sur les agrocarburants de 1re génération et donc, puiser dans leur stock d’agrocarburants avancés, les pousse à augmenter l’utilisation de produits de 1re génération pour leurs pays. C’est un impact indirect généré par un déplacement de la demande. C’est un bon exemple de l’externalité qui peut se produire dans l’utilisation d’un produit. Certaines entreprises aiment occulter les impacts qui n’arrangent pas l’image de leur produit. Pourtant quand on s’attaque à un problème aussi grave que le changement climatique, on n’a aucune crédibilité quand on n’intègre pas toutes les conséquences.

En conclusion, le problème des agrocarburants est un bon cas d’étude pour appréhender la complexité qu’implique la transition écologique réfléchie et cohérente avec l’enjeu. Il n’y a pas de solution miracle, et si on vous en annonce une, assurez-vous bien que la personne qui vous la propose n’a pas « oublié » de vous parler d’un petit détail en bas à droite.


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  1. Le Centre tricontinental (CETRI) est un centre d’étude, de publication et de formation sur le développement, les rapports nord-sud et les enjeux de la mondialisation en Afrique, en Asie et en Amérique latine.
  2. CETRI, « Étude sur les impacts écologiques et socio-économiques du développement des agrocarburants dans les pays extracommunautaires », Étude commanditée par le SPF Santé, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement, décembre 2010.
  3. The land use change impact of biofuels consumed in the EU : Ref. Ares(2015)4173087 – 08/10/2015
  4. Globiom: the basis for biofuel policy post-2020
  5. L’objectif de 14% d’énergie renouvelable dans les transports n’est pas une obligation pour les états qui choisissent de réaliser moins de 7% d’agrocarburants issus de matières premières alimentaires en 2030. Voir également : “EU ends target for food-based biofuels and phases out palm oil in cars only in 2030”, June 2018, Transport & Environnement