Les Guillemins : vers une solution à échelle humaine ?

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Ce vendredi 18 septembre 2009, il était difficile d’échapper à l’inauguration de la Gare des Guillemins. Flonflons, acrobaties, zakouskis pour VIP encagés derrière des barrières Nadar sur une pelouse semée depuis 24h, tout cela retransmis en direct sur la RTBF, durant le journal de 19h30 et à la faveur d’une émission spéciale. Un feu d’artifice splendide s’est même chargé de réveiller les Liégeois qui avaient perdu l’événement de vue.
Par contre, il était nettement plus ardu de comprendre ce que l’on inaugurait. Les quais? Ils sont praticables depuis 2005 par tout voyageur muni d’un titre de transport valable. L’esplanade? Malgré la pelouse susdite, elle n’a pas encore l’air fort finie. La salle des pas perdus? Le projet n’en prévoit malheureusement pas. La toiture-verrière de 32000 m²? Peut-être. Les guichets? Ca brûle… Le hall? Ah, vous y êtes!

La grande nouveauté du jour consistait à rendre accessible le ventre du bâtiment, le hall de gare situé au niveau des voiries, caché au-dessous des voies ferrées.
Les parois de cet espace tout en clair-obscur sont faites de replis de béton qui révèlent tour à tour les accès aux quais, en alternance avec des commerces logés dans des espaces de dimensions variables où dominent les courbes et l’asymétrie. Situé exactement à l’aplomb du point le plus haut de la gare, ce hall au plafond surbaissé et au sol ultra glissant relie en une ligne droite la ville et la colline de Cointe. Mais que met-il réellement en relation?

Entre une zone urbaine dévastée et un versant largement entamé pour installer un parking destiné aux véhicules individuels, la liste des expropriations est longue. Ils sont nombreux, les habitants qui ont dû vider les lieux pour cause d’utilité publique. Leur sort peu enviable est malgré tout envié des commerçants de la rue des Guillemins. A ceux-ci, il avait été promis que le déplacement de la gare de quelque 600 m vers le sud donnerait la priorité à une chalandise plus mesurée, faite moins d’achats de dernière minute que de fidélité, à la mesure de la qualité des magasins de la zone. C’était sans compter la durée et les nuisances du chantier. C’était faire fi du déplacement concomitant de tous les arrêts de bus, de la station de taxis, puis de la réfection de la rue elle-même[[Pour un historique de la station des Guillemins, voyez par exemple Liège-Guillemins, les quatre gares-et-demie, dans Les Cahiers de l’urbanisme, n°40-41, septembre 2002, p.128-131. Puisque l’article avait été rédigé en 2001-2002, mon approche pour la période récente était limitée aux premiers travaux de la nouvelle gare, à savoir rectification du grill, réduction du nombre de voies, suppression des butoirs, et à un commentaire des tendances stylistico-techniques de Santiago Calatrava Valls, telles que perceptibles dans l’esquisse du projet.]].

Aujourd’hui, cet axe majeur du quartier et de la ville est réduit à une allée poussiéreuse, vidée de ses commerces si ce n’est quelques cafés, nightshops et restaurateurs qui tiennent leur affaire à bout de bras. La bourgeoisie assez aisée des quartiers du Jardin Botanique, de Blonden et de Fragnée fréquente d’autres boutiques et a souvent préféré déménager. Ceux qui n’ont pas les moyens d’aller ailleurs pour faire leurs courses ou pour vivre redoutent la prochaine vague d’expropriations, motivée par l’un ou l’autre projet de « liaison harmonieuse entre les points-clés d’une ville qui bouge ». Ces quartiers, déjà coupés de leurs voisins par les bretelles d’autoroutes et les voies rapides dans les années ’70, chantent aujourd’hui comme un petit air de place Saint-Lambert, de Bavière ou de Longdoz, et même les Liégeois les mieux intentionnés finissent par emprunter – en voiture bien sûr – la liaison E25-E40 pour aller à la gare.

Eviter les travaux et les chancres, ce n’est pas pour autant les oublier. La mobilisation est grande dans l’agglomération, pour une gestion à taille humaine du dossier d’urbanisme des abords des Guillemins. Elle se reflète en particulier dans le travail de la plateforme Guillemins.be, animée entre autres par notre association-membre UrbAgora. La plateforme prône l’arrêt des démolitions et agit en faveur d’un abandon des projets pharaoniques liés à la gare, tel le creusement d’un canal menant à la Meuse[[C’est dans l’intérêt de tous d’enterrer cette lubie : le niveau de la Meuse se situe tellement plus bas que le sol de l’esplanade, qu’un passant aurait peine à y apercevoir son reflet. Quant au positionnement de la darse et au mouvement des eaux du fleuve à l’entrée d’un tel diverticule, ils ne permettraient sans doute pas l’accès au canal à la navigation amateur.]]. Nous ne pouvons qu’insister sur le gaspillage d’énergie que constituent des démolitions, si l’on compare avec le gain humain, architectural et économique d’un maintien ou d’une reconversion du bâti. Inter-Environnement Wallonie rejoint donc ces associations dans leur diagnostic clairvoyant et généreux pour une ville qui a déjà beaucoup donné aux démolisseurs en croyant séduire les investisseurs.

Aux dernières nouvelles relayées par la plateforme Guillemins.be, les autorités communales liégeoises se seraient ralliées à une option plus modeste, elles oublieraient le canal et sa marina pour se concentrer sur la proposition de Daniel Dethier. L’architecte, gagnant du concours d’urbanisme de l’esplanade organisé à un niveau européen en 2003, se démarque par son approche sans fadeur; il a en outre la réputation d’un technicien capable de garder une ligne de conduite ferme dans les négociations. Ces deux avantages augurent d’une solution urbaine qui tiendrait la route face à la monumentalité ondoyante du bâtiment de Calatrava, face aux exigences de la SNCB, face aux enjeux immobiliers. Au lieu de faire reculer la ville en démolissant tant et plus, son projet réconcilierait enfin les constructions encore en place. Il faut être réaliste : malgré sa beauté et son attractivité, la gare ne pourrait parvenir seule à recréer de la vie autour d’elle. Mais ensuite, que décideront les pouvoirs publics pour le parking lunaire du building des Finances? Dans quel type de tour cette administration sera-t-elle relogée? Quelle sera la part de l’offre tertiaire dans les nouveaux bâtiments à front de gare? La plateforme Guillemins.be souligne à très juste titre que les espaces de bureau, peu demandés à Liège, doivent ménager l’espace dévolu aux logements et former avec eux un habitat de qualité.

La ville est une juxtaposition vivante. Il suffit de regarder vers Cologne, dont la Hauptbahnhof (« gare principale ») offre un gros-plan improbable et fascinant sur la cathédrale, ou encore le port de la ville du Cap, en Afrique du Sud, qui mélange les styles, les couleurs, les gabarits, sans chercher à maintenir des distances hypocrites entre bâtiments de statuts différents. Faire la ville, c’est accepter la ville, ce qu’elle a été et ce qu’elle sera, en cherchant à concilier les usages. C’est laisser le quartier de la gare des Guillemins vivre, autrement dit ne pas le centrer sur le rail de manière exclusive et destructrice. C’est ne pas être honteux de sa ville, autrement dit refuser l’esbrouffe « Champs-Elysées » qui sous-tend les tentatives d’agrandissement de la perspective entre la Meuse et la colline. Pour rendre à Liège son caractère plaisant et – mais oui – élégant, il convient de minimiser les écarts critiques qui découragent les piétons et de rompre avec le fatalisme : foin d’une logique spéculative qui attend qu’une zone urbaine se dégrade pour l’acquérir au meilleur prix. La gare s’ouvre dans toutes les directions : comme elle, les autorités impliquées dans le projet en présence doivent regarder large et haut, afin de promouvoir des projets d’architecture créatifs tout en se montrant attentives à l’environnement urbain et aux besoins des habitants actuels et à venir.

Extrait du dernier numéro de nIEWs,

la lettre d’info de la Fédération.

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