Logistique wallonne : plébiscite contestable mais…

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Il y a un an, un cabinet international de consultance plaçait la Wallonie 1ère région européenne pour la logistique et la distribution. Fait suffisamment rare pour que le monde politique wallon s’enthousiasme. Peu importe que le secteur plébiscité ne soit pas du tout en phase avec les principes de développement durable préconisés par ailleurs. Mais, quelques initiatives récentes montrent que tout n’est pas perdu. Il est regrettable que leur mise en oeuvre soit incertaine.

Décembre 2009 Cushman & Wakefield classait la Wallonie 1ère région européenne pour la logistique et la distribution. La Wallonie surclassait donc ces concurrentes et voisines européennes, à commencer par la Flandre, habituée des premières places. Les édiles régionaux ne manquèrent pas l’occasion de se féliciter. Dans un contexte où la Wallonie est régulièrement pointée du doigt pour ses difficultés sociales et économiques, son faible dynamisme et la charge qu’elle représenterait pour le développement du reste de la Belgique, voilà un classement qui mettait du baume au c½ur des wallons.

Mais, est-ce vraiment flatteur que de caracoler en tête d’un tel classement ? En effet, «classiquement», la logistique n’est pas le domaine d’activités le plus en phase avec les principes d’un aménagement du territoire durable. Ni avec le développement d’emplois de qualité en nombre.

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Un parc logistique pour les automobiles, Kortenberg, Brabant Flamant (images Bing)

Ce qu’en fait exige ce secteur, c’est beaucoup d’espace, des infrastructures de transport pour l’essentiel routières et un peu de personnel peu qualifié. Et, si la Wallonie a su se montrer si attractive ces dernières années en matière de logistique, c’est parce qu’elle est performante sur ces différents points. Y a-t-il là véritablement mérite ?

Espace wallon et logistique

De l’espace, la Wallonie en dispose en quantités relativement importantes. Seulement 14% de son territoire seraient aujourd’hui urbanisés (Etat de l’environnement wallon 2010). Le reste serait constitué pour moitié de terres agricoles et pour un tiers de forêts. Cette disponibilité en espace vierge s’accompagne d’une densité de population relativement peu élevée (205 hab/km²) si l’on compare aux 441 hab/km² de la Flandre, et aux 399 hab/km² des Pays-Bas.

De plus, en puisant simplement dans les réserves foncières – donc sans modifier la planologie actuelle -, les possibilités sont conséquentes. 80% des zones d’aménagement communal concerté n’avaient par exemple pas encore été activés en 2006, et 40% des zones destinées à l’urbanisation sont aujourd’hui encore disponibles à l’habitat (Etat de l’environnement wallon 2010). Si on en vient à inclure les anciens sites industriels à réaffecter, l’espace disponible est énorme. Et ceci, sans prendre en compte la valeur financière de ces terrains. C’est indéniable, les régions voisines (Flandre, Grand Duché du Luxembourg, ou Rhénanie du Nord Westphalie) ne font pas le poids : le sol wallon est, pour la logistique, extrêmement compétitif.

Logistique et infrastructures de transport

Expression d’une volonté historique d’éviter la concentration de travailleurs en ville, les autorités belges ont pendant longtemps développé une politique ambitieuse de construction d’infrastructures de transport. Les investissements dans les routes et le rail ont été massifs.

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Réseau routier wallon (Service Public de Wallonie)

Ce phénomène a été soutenu encore davantage dans l’immédiat après-guerre, quand la philosophie urbanistique dominante est devenue le fonctionnalisme. La ville devait être «administrative»; la population se devait de s’installer en périphérie. Les navettes centre-ville/ périphérie, pour être aisées, nécessitèrent la construction massive d’infrastructures de transport.

Le réseau des routes belges s’est encore densifié par la politique des grands travaux des années septante. Pour lutter contre la crise certaines solutions retenues ont été keynésiennes. Face au chômage de masse, les pouvoirs publics devaient offrir des emplois, et la construction d’infrastructures de transport routier (autoroutes, tunnels, et autres pénétrantes urbaines) venait à point. Elle rencontrait parfaitement le mythe profondément ancré à cette époque de «ma voiture, c’est ma liberté».

Résultat : la Wallonie est une des régions d’Europe au ratio km de routes/habitant le plus élevé. La « densité » de ce maillage routier est correlé à sa situation géostratégique privilégiée. Quelle autre région d’Europe peut se targuer d’être quasi directement connectée aux Pays-Bas, à la Rhénanie du Nord Westphalie, au Grand Duché du Luxembourg, au Nord-Pas-de-Calais, à l’Ile de France et au Greater London ? Situation privilégiée que le SDER avait bien mis en évidence.

Logistique et main-d’oeuvre

Enfin, de la main-d’½uvre, qualifiée et moins qualifiée, la Wallonie en dispose aujourd’hui à foison, le taux de chômage y demeurant conjoncturellement élevé. En Wallonie, la crise des années 1970-80, à la différence des vieux bassins industriels de la Rurh et de Lille, n’est pas loin derrière.

La logistique, une activité vraiment durable ?

La Wallonie serait donc Terre de logistique ! Est-ce là un motif particulier de fierté ? Dit autrement : le développement de la logistique entre-t-elle en résonnance avec les principes de développement durable que la Wallonie, à travers ses élus, a inscrits dans ses déclarations politiques structurantes ? Parmi les défis les plus souvent mis en exergue en Wallonie (Déclaration politique régionale, SDER), on retrouve l’utilisation parcimonieuse du sol (art. 1er du CWATUPE), le développement durable, et l’emploi. La logistique, telle que développée en Wallonie, relève-t-elle ces défis ?

Le ratio emploi / hectare de la logistique est très faible (9,6 emplois / hectare dans la logistique contre 16,6 emplois / hectare dans l’industrie, selon une étude de 2001 de la Région Urbaine de Lyon). Les emplois concernés sont par ailleurs pour l’essentiel très peu qualifiés. Si peu d’emplois pour une telle consommation d’espace : durable ?

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Entreposage de conteneurs à Anvers : des activités très consommatrices d’espace pour peu d’emplois (images Bing)

En wallonie, l’essentiel des opérations que concentre le secteur aujourd’hui se réalise sur la route. Du point de vue du développement durable, ce « tout à la route » est un vrai fléau : ses incidences multiples sur la population et le territoire, aujourd’hui suffisamment connues, en attestent à suffisance.

Force est donc de constater que, globalement, la logistique wallonne n’est aujourd’hui pas à même de faire de notre Région un fleuron du développement durable. Pourtant…

Logistique : une approche durable

Le tableau que l’on vient de brosser de la logistique sur base de son développement wallon est, heureusement, très partiel et il serait injuste (et stupide) de rejeter l’ensemble du secteur sur cette base. Une autre logistique est possible, même en Wallonie. L’exemple de Trilogiport en atteste.
Trilogiport est le nom d’un projet visant à implanter à cheval sur Oupeye et Visé une plateforme multimodale eau/route/rail. Le projet se déploie à 15 km au nord de Liège sur un site de 127 hectares entre la Meuse et le canal Albert. Moyennant quelques menus aménagements, le site sera connecté à la voie d’eau – canal Albert –, au rail – grâce à l’utilisation de la ligne d’Arcelor Chertal – et à la route – autoroute E25 Liège Maastricht. L’objectif principal du projet est de désengorger le port d’Anvers proche de la saturation.

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Le projet Trilogiport, entre canal Albert à gauche et Meuse à droite (Port Autonome de Liège)

Il faut dire que la localisation présente de nombreux atouts. Le delta Escaut/Meuse/Rhin constitue aujourd’hui la 3ème zone d’activité économique au monde. Avec l’élargissement de la 4ème écluse de Lanaye, entre canal Albert et Meuse, Trilogiport sera à même de travailler avec Rotterdam en ayant recours à des bateaux d’une capacité de 9000 tonnes.

L’investissement est certes de taille : 155 millions d’euros : 115 seront amenés par le privé (Euroports, Dubaï Ports World), les 40 restant par le public. La plateforme multimodale en tant que telle fera 81 hectares. Elle comprendra un terminal à conteneurs, une zone de terrains logistiques (conditionnement, assemblage), une zone portuaire et une zone d’activités tertiaires.

De nombreuses infrastructures routières seront en outre développées pour améliorer l’accessibilité du site et réduire les nuisances pour les quartiers riverains : un nouvel échangeur sur la E25, un nouveau pont sur la Meuse et une route de jonction entre le pont et la N618 au nord.

Le site est actuellement une friche peu à peu reconquise par la nature. Une importante colonie de crapauds calamites s’y est notamment installée. La disparition de cette biodiversité donnera lieu à des compensations sous la forme de milieux moins étendus mais plus qualitatifs, dans une zone d’intégration environnementale nouvellement créée.

En termes de création d’emplois, les tenants du projet sont assez ambitieux : ils parient sur la création à terme de 2000 emplois. Ceci pour atteindre un objectif d’exploitation de 875 conteneurs manipulés par jour.

Malgré la multimodalité du projet, les incidences en matière de mobilité sur les axes routiers environnants seront importantes. 3000 passages de voitures et 1750 de poids-lourds sont attendus quotidiennement. Dans le quartier densément peuplé de l’allée Verte et de la rue Marchand au nord du site, le trafic devrait ainsi augmenter jusqu’à 280%, compte tenu du trafic de transit rendu possible par la nouvelle voirie de jonction. Par contre, sur la E25 un axe déjà très utilisé, la hausse de trafic ne devrait pas excéder 10-12% à en croire les auteurs de l’étude d’incidence.

Ce projet censé révolutionner la logistique wallonne et accorder à la Région de nouvelles perspectives de développement pourrait pourtant ne pas aboutir. Les obstacles à sa réalisation sont en effet nombreux. Après de multiples contestations citoyennes provoquées – souvent légitimement – par la création de la nouvelle voirie en direction de l’allée Verte et de la rue Marchand, le projet dernière mouture serait clairement remis en cause par la velléité d’Arcelor de se montrer un peu trop gourmand d’un point de vue financier pour l’utilisation de la voie ferrée traversant son site de Chertal, au sud, utilisation assortie par ailleurs de nombreuses restrictions.

Une convention devait être signée entre d’une part, le Port Autonome de Liège – maitre d’½uvre du projet – et la Région Wallonne – pouvoir subsidiant – et, d’autre part, Arcelor. Une insécurité juridique et économique existe donc dans l’attente de la signature de cette convention, ce qui pourrait amener les opérateurs industriels à reconsidérer leur choix de Trilogiport.

Un ambitieux projet wallon, en phase avec les enjeux sociétaux du moment, serait ainsi remis en cause, alors même qu’il ouvre des perspectives intéressantes de développement à la Région toute entière en envisageant la logistique sur d’autres bases. Dans un domaine d’activités contestable (et parfois contesté) au niveau utilisation du sol, environnement et emploi, Trilogiport se dessinait comme une alternative encourageante.