Méfaits divers (ce que l’« affaire Wesphael » dit de nous)

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Je ne connais pas Bernard Wesphael. Je n’étais pas à Ostende, le jeudi 31 octobre, dans la chambre au 6ème étage de l’Hôtel Mondo où son épouse trouva la mort.
Je ne connais pas Bernard Wesphael, je ne sais rien du drame qui s’est joué dans l’intimité de son couple et je devrais dès lors m’abstenir de commenter une « affaire » qui ne concerne que la Justice. Il m’apparaît cependant impossible de rester passif face au traitement indigne que certains médias réservent depuis plusieurs jours à cet événement et à son protagoniste. Je vais donc, exceptionnellement, consacrer cette chronique à quelque chose n’ayant rien à voir, ni de près ni de très loin, avec « l’environnement » mais qui s’avère par contre emblématique du monde tel qu’il va.

Pour faire un « bon » fait divers, il faut soit un scénario hors du commun, soit un (des) acteur(s) connu(s). Bernard Wesphael a la malchance d’être une personnalité publique et le drame – c’est le seul terme utilisable à ce stade pour qualifier l’affaire avec un minimum d’objectivité et il restera intrinsèquement pertinent quelle que soit la suite des événements – , le drame, donc, auquel il est mêlé ne peut dès lors espérer la discrétion qu’il serait en droit de revendiquer.
Admettons que ce soit la « rançon de la gloire », qu’il faut être conscient en allumant les feux de la rampe qu’on ne dispose pas de l’interrupteur permettant de les éteindre quand on souhaite retrouver l’ombre. Admettons également que relater des événements impliquant un élu, par définition responsable devant ses électeurs, relève du devoir d’informer. Mais au nom de quoi devrait-on admettre de voir l’honneur d’un homme (ou d’une femme) foulé aux pieds par des médias qui se veulent procureurs et/ou déguisent leur voyeurisme en investigation?

La course à l’audience, la satisfaction de la curiosité malsaine d’un certain public, justifient-t-elles le renoncement au respect de la présomption d’innocence et, plus encore, de la sphère intime d’un individu ?
Peut-on, pour le seul plaisir du scoop, abdiquer toute dignité et se complaire dans les sous-entendus nauséeux, les assertions infondées, l’exhibition de « témoignages » qui ne révèlent que le désarroi de ceux qui les portent (pourquoi, autrement, participeraient-ils à cette triste comédie, donnant à leurs « impressions » valeur de vérités ?) ?
Au vu de ce qu’ils diffusent ces derniers jours, certains médias pensent manifestement que oui…

Lorsque je lis sur la même page[[Toutes les citations sont reprises d’articles consacrés à l’affaire par les journaux du groupe Sud Presse (éditions du samedi 2, lundi 4, mardi 5 et mercredi 6 novembre)]] « Son père, un ressortissant grec venu travailler en Belgique voici une quinzaine d’années, est reparti depuis dans son pays. Victor y est allé souvent et comprend le grec mais pourra-t-il désormais repartir en Grèce ? » et « La tante de la victime met aujourd’hui toute son énergie pour soutenir Victor, 14 ans, le fils de la victime. (…) Heureusement, il a encore son papa, prof de religion qui travaille à Bruxelles et vit à Liège. » je m’interroge sur les qualités professionnelles et intellectuelles des « journalistes » aux manettes.
Quand je découvre en titre « La tante de Véronique Pirotton : J’ai vu son corps : elle a été tabassée, ce n’est pas un suicide » ou en manchette de Une « Sa femme ne s’est pas suicidée, c’est un assassinat »[[Pour rappel, un assassinat est un meurtre commis avec prémédiataion et est considéré par le droit pénal comme la plus grave des crimes contre la personne. Ce titre va donc au-delà de l’accusation à prouver qui pèse sur Bernard Wesphael ce qui ne fait qu’ajouter à l’ignominie de la campagne à charge menée par ce journal.]], je m’inquiète de la bonne conscience de l’individu qui cautionne ces assertions en signant un « bon à tirer »…
Et quand des forums sont ouverts sous des articles aussi sensibles que ceux-là, j’échoue à y voir autre chose qu’un mépris obscène envers celui/celle/ceux jetés en pâture à la vox populi qui se révèle en l’occurrence plus rancie que dei.
Pour ce qui est du summum de l’abjection consistant à focaliser le cartoon du jour, pathétique d’humour poussif, sur un homme à terre, ce serait lui faire trop d’honneur que de tenter de le qualifier.

J’ignore ce qui s’est passé le jeudi 31 octobre dans cette chambre du sixième étage de l’Hôtel Mondo à Ostende qui hébergeait Bernard Wesphael et son épouse.
Rien ne me permet de juger si cet homme est coupable de meurtre, de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner… ou victime d’un enchaînement de circonstances qui le dépasse et totalement innocent des accusations qui pèsent sur lui.
Je suis dans l’ignorance la plus totale des faits mais je sais qu’aucune vérité ne pourra venir justifier les pratiques indignes d’une presse qui se devrait d’être d’autant plus responsable et irréprochable qu’elle est « la plus vendue de Belgique francophone »[[Selon les chiffres CIM (Centre d’information sur les médias) portant sur le 3ème trimestre 2013.]]. (A moins, hypothèse loin d’être farfelue au regard de ce qui passionne aujourd’hui les foules, qu’elle ne soit précisément la plus vendue parce qu’elle n’est ni responsable, ni irréprochable…) Une presse qui semble ignorer ou avoir oublié qu’on ne s’improvise pas Bob Woodward ou Carl Bernstein[[Les journalistes du “Washington Post” dont le travail d’enquête a mis à jour le scandale du Watergate.]], qu’il ne faut pas confondre investigation et fouille-merde, enquête et ragot, révélations et supputations… au risque de bafouer les principes déontologiques les plus élémentaires du journalisme et de la conscience humaine.

Selon la formule consacrée, « l’enquête suit son cours »… Si elle doit déboucher sur un procès, il se fera devant un tribunal, dans le respect d’une procédure stricte aboutissant à un verdict – et, le cas échéant, une sanction – motivé. Mais que ce procès ait lieu ou pas, que son issue lui soit ou non favorable, Bernard Wesphael aura déjà été jugé, condamné et privé de son honneur par ceux que François Mitterand qualifia en son temps de « chiens ». Le peu de voix s’élevant pour dénoncer la chose – à l’exception remarquable de Francis Van de Woestyne dans « La Libre Belgique » – interpelle quant à l’état d’engourdissement de l’esprit critique et de la faculté d’indignation de notre société saturée de tout. Mais cela, ce n’est pas vraiment nouveau.

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