Morne in the USA

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Les urnes ont donc rendu leur verdict : Barack « Happy Face » Obama triomphe sans gloire de Mitt « Smiley » Romney et se lancera le 21 janvier 2013 dans un second mandat à la tête des United-States of America. Bravo, on est content pour lui et God bless him ! Mais par-delà les politesses d’usage, le désenchantement de l’expérience prime sur l’enthousiasme de l’espoir. Certes, les minorités raciales, sexuelles et sociales souffriront sans doute moins sous la présidence du démocrate que ce n’aurait été le cas si le candidat républicain, otage des ultra-libéraux radicaux et réactionnaires du Tea Party, avait investi la Maison Blanche. Pour le reste, toutefois, c’est King Burger et Burger King : avec l’un comme avec l’autre, libéralisme et capitalisme sont et doivent rester les mamelles de l’America über alles. Ce qui limite grandement leurs divergences politiques mais aussi leur marge d’action. Dans « L’illusion Obama »[[Editions Les Arènes, 2012]], John R. MacArthur, directeur du très engagé Harper’s Magazine et analyste sans concession de la présidence d’un homme pour qui il avoue pourtant « une certaine sympathie », dénonce d’ailleurs la « pensée unique américaine » et son illusion de débat démocratique « (…) qui sert à assoupir le grand public plutôt qu’à élargir les choix et ouvrir les esprits. Dans le pays juridiquement le plus libre de la planète, nous avons les médias et les politiciens sans doute les plus conformistes du monde ».

(J’ouvre ici une parenthèse pour mettre en exergue une des nombreuses découvertes opérées à la lecture de cet ouvrage foisonnant. En décembre 2009, deux sénateurs – une démocrate de l’Etat de Washington et un républicain de l’Arizona – proposèrent la restauration de la loi Glass-Steagall, réforme de l’époque du New Deal qui séparait banques commerciales et banques d’affaires afin de freiner la folle spéculation destructive des années 1920 et de protéger les comptes des petites gens. Etrangement, la Maison Blanche s’opposa à cette mesure. L’histoire prend une saveur plus particulière encore quand on sait que le sénateur républicain en question se nommait… John MacCain, l’adversaire malheureux d’Obama à la Présidentielle de 2008. Fin de la parenthèse.)

Cette pensée unifiée autour des dogmes de l’économie de marché et du culte de la croissance influe directement sur la politique environnementale défendue par les candidats puis le Président élu. Cette politique ne saurait en effet porter atteinte de quelque manière que ce soit aux veaux d’or de l’american way of life. Alors, en ces temps agités où l’économie traverse zones de turbulences et tempêtes à répétition, on la joue discrète, très discrète. Pour la première fois depuis 1988, le thème de l’environnement fut ainsi absent des trois débats télévisés entre les deux prétendants ; enjeu majeur sinon central dans la campagne 2008, il disparut quasiment du millésime 2012, seule une plongée profonde dans les programmes des candidats permettant d’en trouver une trace.

Au lendemain d’une ère Bush marquée par le mot d’ordre « Notre mode de vie ne peut être négocié », la première élection d’Obama avait éveillé des espoirs grandiloquents. On allait voir ce qu’on allait voir ! Ce Président ne marquerait pas seulement l’Histoire par la couleur de sa peau, son mandat se distinguerait également par le caractère résolument « vert » des choix opérés. L’enthousiasme et l’attente s’avéraient d’autant plus grands que l’homme arrivait au pouvoir alors que l’enjeu climatique était au cœur des préoccupations – ou à tout le moins de la hype politico-médiatique : Al Gore et le GIEC venaient de recevoir le Prix Nobel de la Paix et le Sommet de Copenhague se profilait à l’horizon en arborant son étendard « Rendez-vous de la dernière chance ». Oui, vraiment, on allait voir ce qu’on allait voir ! Alléluia, mes frères, times are changing, un monde nouveau s’ouvre devant nous, l’avenir nous appartient et on y sera bien, ô oui, très très bien. D’ailleurs, on n’avait pas le choix, on l’avait assez répété : c’était maintenant ou jamais. Et comme Barack était beau, grand, intelligent, courageux, visionnaire et tout et tout, il n’allait pas laisser la planète en rade.

Malheureusement, la beauté, la grandeur, l’intelligence, la vision et tout et tout ne suffirent pas : l’Amérique resta timorée, incapable de revoir ses positions pour débloquer les négociations et montrer la voie vers un accord. Et pour ce qui était de voir, on vit : Copenhague se solda par un fiasco total qui allait marquer plus ou moins explicitement la rupture entre l’opinion publique et la question climatique.

On explique/justifie souvent l’inaction d’Obama en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre par le système politique américain qui ferait du Président l’otage d’une majorité parlementaire hostile. En clair, Obama aurait été victime du rejet de sa politique en la matière par un Chambre majoritairement hostile. C’est toutefois oublier que les représentants démocrates furent en position de force jusqu’en 2010 et que leur poulain eut donc pendant deux années toute latitude pour légiférer avec ambition et conviction. Sauf que…

Si le programme du candidat énonçait bien que « les changements climatiques représentent la plus grande menace de notre génération » et annonçait une volonté forte de s’attaquer au phénomène, le Président et sa majorité se trouvèrent rapidement confrontés à ce qui leur apparut comme une opposition frontale entre protection de l’environnement (et spécifiquement lutte contre les émissions des gaz à effet de serre) et essor de l’activité économique. Et les puissants lobbies qui avaient soutenu le candidat Barack à coup de centaines de millions de dollars n’étaient guères disposés – et surent le faire comprendre – à voir le Président Obama adopter des mesures environnementales susceptibles de nuire à leurs intérêts. Ce qui déboucha sur une politique minimaliste amenant Al Gore à considérer que « le Président n’a pas su profiter de sa fonction pour imposer des mesures audacieuses contre les changements climatiques »[[In « Rolling Stone », 22 juin 2011]].

Ce dilemme marquera les quatre années de présidence et prendra une dimension plus forte encore lors de la campagne 2012. Ainsi, Obama hésita à donner son accord pour la construction du pipeline « Keystone XL » censé transporter le pétrole des puits de l’Alberta vers les raffineries du Texas. Tiraillé entre l’opposition au projet des environnementalistes et le soutien des milieux économiques et syndicaux qui y voient tant un outil au service de la sécurité énergétique du pays qu’un gisement d’emplois pour la construction, il finit par se prononcer en faveur de la mise en œuvre de la partie sud du pipeline… réservant sa décision quant à la partie Nord. Et aussi: longtemps favorable au développement des sources d’énergies renouvelables au détriment des énergies fossiles, il finit par reprendre l’expression « All of the Above » chère aux républicains et qui désigne l’augmentation de la production domestique de toutes les formes d’énergie. Ou encore: mesure phare de son programme 2008, l’instauration d’un marché du carbone baptisé « Cap and trade » – auquel les républicains sont farouchement opposés – recalée par le Sénat lors du premier mandat a disparu du programme 2012 du candidat. Un programme où le point principal de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre est la création de 600.000 emplois dans… l’exploitation du gaz de schiste ! Le fait que celui-ci se substituera au charbon, plus polluant, semble constituer un argument suffisant pour faire fi des innombrables nuisances environnementales et dangers divers liés à l’exploitation de ce gaz.

Il serait de mauvais compte de ne pas inscrire au crédit de la présidence Obama une augmentation significative des capacités de production d’électricité de sources éolienne et solaire ainsi qu’une amélioration des niveaux de pollution dans les vingt-cinq principales villes du pays. Mais, pour reprendre le jugement de Gore, ces victoires sont « importantes mais pas fondamentales ». Le bilan est sans conteste décevant et le mandat qui s’ouvrira en janvier ne devrait guère le bonifier.

Certes, Mitt Romney affirma-t-il lors de la Convention républicaine qui se tint fin août à Tampa (Floride) : « Le président Obama a promis de ralentir la montée des océans et de guérir la planète. Ma promesse est de vous aider vous et votre famille ». Ce à quoi le candidat/président répliqua lors de la Convention démocrate de Charlotte (Caroline du Nord) : « Les changements climatiques ne sont pas un canular. Plus de sécheresses et plus d’inondations et de feux de forêt ne sont pas une blague. Ils sont une menace pour l’avenir de nos enfants. » Mais in fine et de facto, par-delà ces petites phrases à destination de leurs publics-cibles respectifs, la seule véritable opposition entre les programmes environnementaux des deux candidats en lice lors de cette élection 2012 résidait dans le fait que les républicains souhaitaient supprimer les subventions aux énergies renouvelables afin de « laisser faire le libre marché » (ce qui ne les empêchaient pas de prôner dans le même temps le maintien de l’aide publique à l’industrie pétrolière qui se monte à quelque 4 milliards de dollars par an !) alors qu’a contrario les démocrates se prononçaient pour la fin du « cadeau » aux pétroliers et le maintien du soutien aux renouvelables.

Tout cela témoigne de l’indifférence qui aujourd’hui, aux Etats-Unis (et ailleurs), entoure la question environnementale dans l’opinion publique et, conséquemment, dans les programmes et discours des politiques qui cherchent à la séduire ou convaincre. Pour Tangi Quéméner, correspondant de l’AFP attaché à la Maison Blanche et auteur de « Dans les pas d’Obama »[[Editions Jean-Claude Lattès, 2012]] : « Les questions écologiques touchent essentiellement les jeunes, de toute façon acquis à Obama. L’environnement ne constitue donc pas un enjeu de campagne majeur. »

J’écrivais dans ma précédente chronique : « Alors que nous disposons aujourd’hui d’un accès quasi illimité à la connaissance qui devrait contribuer à faire de nous des citoyens plus critiques et responsables, la surinformation et le zapping permanent ont brouillé nos repères, nous enfermant de facto dans une forme de passivité intellectuelle consentie. Les flots médiatiques nous submergent de vérités et contre-vérités qui semblent toutes avoir la même valeur. Il n’y a plus de temps pour l’analyse, le décryptage et l’explication ; l’ère est au commentaire dont la pertinence importe moins que l’extravagance. Et tout cela forme un kaléidoscope dont on ne perçoit plus la spécificité et l’importance des divers éléments… »

Ce propos se référait au bouillon idéologique dans lequel les esprits marinent aujourd’hui, bouillon où on ne distingue plus que le morceau de viande de la pensée unique, tout ce qui s’en éloigne constituant un agglomérat indifférencié passé à la moulinette de l’à-peu-près et du n’importe-quoi. Il est transposable mot pour mot au phénomène qui a frappé l’enjeu climatique. Un enjeu que l’attention puis le désintérêt des médias et des politiques ont fait passer sans transition de « vital » à « marginal ». Réussir Copenhague était quasiment une question de vie ou de mort de « la Planète ». On l’a magistralement foiré sans que cela ne semble émouvoir grand monde, pas même ceux-là qui insistaient tant sur l’échéance à ne pas/plus dépasser, la dernière chance à saisir, le caractère implacable du compte-à-rebours, etc. Puis on a remis le métier sur l’ouvrage comme si de rien n’était, sans plus de résultats mais cela semblait tout à coup dépourvu d’intérêt et d’importance. Comment, dès lors, s’intéresser encore à la chose, se mobiliser pour un enjeu dont on ne comprend même plus ce qu’il est ?

D’autant qu’entre-temps, d’autres crises bien plus « directement » concrètes sont venues compliquer la donne : crise financière, crise économique, crise sociale. Des crises dont on nous répète à l’envi que la solution réside dans la relance de l’activité économique et de la croissance… qu’on nous affirmait hier devoir ralentir si on voulait éviter la catastrophe climatique !!! Allez y comprendre – et, a fortiori, faire – quelque chose… D’autant que plus personne au(x) plus haut(s) niveau(x) ne semble vraiment concerné par l’affaire.

Le logiciel accumule les bugs mais on n’envisage même pas de le changer, on gaspille notre énergie à (essayer de) corriger ses erreurs aussi longtemps que nous ne seront pas pris de court et/ou de vitesse. Il est vrai que le modèle adopté occupe une position archi-dominante sur le marché et que les alternatives doivent se chercher voire s’inventer. Alors on danse. Ou plutôt, on encaisse et on pense à autre chose. Ce ne sont pas les « jeux » qui manquent et tant qu’il reste un peu de pain, le peuple ne demande pas plus.

Mais pendant ce temps-là, les Shadocks pompaient, pompaient et la situation se dégradait, se dégradait.

Le physicien Dennis Meadows, co-auteur du fameux rapport « Halte à la croissance » publié par le Club de Rome en 1972, estime ainsi qu’il est trop tard pour encore agir contre les changements climatiques et qu’il faut désormais se concentrer sur le travail de résilience qui permettra de s’y adapter : « Je n’avais jamais vraiment pris le temps de comprendre les changements climatiques. Alors j’ai construit un modèle avec un maximum de variables qui s’influencent entre elles. C’est très complexe. Les boucles de rétroactionBoucle de rétroaction = effet boule de neige sont nombreuses, inattendues et rendent le système très instable. J’ai compté au moins douze boucles de rétroaction. Au point où nous en sommes, on peut faire ce que l’on veut, cela ne fera plus aucune différence. Il y a tellement de paramètres qui changent que le climat est aujourd’hui en train d’évoluer de manière autonome. »[[In « Imagine », n°91, mai-juin 2012]]

Même le très sérieux et peu suspect de catastrophisme cabinet PricewaterhouseCoopers n’entretient plus d’illusion et estime dans son dernier rapport[[« Too late for two degrees ? Low carbon economy index 2012 », novembre 2012]] que « limiter le réchauffement global à 2° (cap à ne pas franchir selon le GIEC) est devenu impossible. On peut, sur base des tendances récentes, tabler sur une augmentation de 6° en 2100. » « Même en doublant notre taux de « décarbonisation » actuel, nous irions quand même vers un réchauffement de +6°C à la fin du siècle» estime Leo Johnson, associé en charge du développement durable et du changement climatique chez PwC. Et de conclure, à l’instar de Meadows : «Nous avons passé un cap critique. Il est temps de se préparer à un monde plus chaud. »

Des prévisions qui ne semblent pourtant pas de nature à booster l’action de la communauté internationale. Ainsi, Bettina Laville, avocate, ancienne haute-fonctionnaire et coordinatrice pour la France du sommet de Rio de 1992, affiche clairement la couleur (sombre) à quelques semaines de la prochaine Conférence internationale sur le climat de l’ONU, qui se tiendra à Doha (Qatar), du 26 novembre au 7 décembre : « La conférence de Doha était prévue à l’origine afin de permettre aux Etats de négocier la suite du protocole de Kyoto – seul outil juridique contraignant existant à ce jour pour limiter les émissions de gaz à effet de serre – qui expire fin 2012. En réalité, cette conférence sera virtuelle. Il n’y aura pas de décision, ni au Qatar, ni lors des rencontres suivantes. De manière générale, il ne se passera plus rien pendant la « période intermédiaire » de sept ans qui a été actée à Durban. Lors de la conférence sur le climat de décembre dernier, les Etats ont en effet décidé de reporter à 2020 l’éventuelle mise en œuvre d’un nouvel instrument légal sur les gaz à effet de serre qui remplacerait le protocole de Kyoto. Les négociateurs disent notamment attendre, pour prendre des décisions, le prochain rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui doit évaluer les nouveaux risques liés au changement climatique et qui sera publié en 2014 ou 2015. En réalité, cet attentisme revient à donner un pseudo-support scientifique à une incapacité d’agir. Nous allons donc traverser sept années de « no-climate land ». Le pire, c’est que les négociations climatiques vont très certainement se terminer en engagement volontaire et c’est dramatique. Au lieu d’être contraints par des objectifs décidés par tous, les Etats pourront donc choisir de réduire leurs émissions s’ils le souhaitent, dans les proportions qu’ils désirent et par rapport à l’année de référence de leur choix. » Pour elle, « la solution ne pourra venir que de la société civile ». Ce qui, sachant ce que l’on sait et voyant ce que l’on voit, ne prête pas vraiment à l’optimisme !

Allez, à la prochaine. Et d’ici là, n’oubliez pas : « On ne pile pas le mil avec une banane mûre. » (Proverbe africain)