Nos voitures roulent-elles à la nourriture ?

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Dans un plein d’essence moyen en Belgique, il y a du blé, du maïs et de la betterave, en quantité suffisante pour faire 10 pains, 3 kg de maïs et 1 kg de sucre. Et le Gouvernement planifie une forte augmentation de ces quantités dans les années à venir. Avec d’autres ONG belges[1], Inter-Environnement Wallonie publie une troisième « Évaluation de la politique belge d’incorporation d’agrocarburants ». Elle est basée sur les données les plus récentes de l’administration concernant l’origine des matières premières et la composition des agrocarburants mis à la consommation en Belgique.

Dix faits marquants :

1.         Les agrocarburants sont produits à partir de nourriture. La quasi totalité (97%) des agrocarburants utilisés en Belgique sont toujours produits à partir de matières premières alimentaires. La notion d’agrocarburants “avancés”, mise en avant depuis plus d’une décennie par les promoteurs des agrocarburants, recouvre une réalité tout à fait marginale.

2.         L’utilisation d’agrocarburants produits à partir de nourriture augmente. Depuis 2015, la quantité de maïs brûlée dans nos moteurs a doublé, la quantité de blé a triplé. La quantité de soja a également été décuplée entre 2017 et 2018. Les 240.000 tonnes de blé consommées dans le bioéthanol vendu en Belgique en 2018 auraient permis de produire l’équivalent de 25 kg de pain pour chaque Belge, soit la moitié de notre consommation annuelle.

3.         Les agrocarburants belges correspondent à la nourriture de plusieurs millions de personnes. En 2018, plus de 800.000 tonnes de matières premières alimentaires ont été consommées dans les agrocarburants vendus en Belgique. Les céréales transformées en bioéthanol correspondent à la consommation annuelle de céréales de 2,3 millions de personnes et les huiles végétales transformées en biodiesel correspondent à la consommation d’huile de 17 millions de personnes .

4.         Un superficie équivalente à deux provinces belges est nécessaire pour produire nos agrocarburants. Il aura fallu en 2018 plus de 5000 km2 de surface agricole productive pour cultiver les céréales, sucres et huiles végétales utilisés pour produire les agrocarburants vendus en Belgique. Cette superficie est supérieure à celle des Provinces de Namur et du Brabant wallon réunies.

5.         La Belgique ne produit pas ce qu’elle consomme. Moins de 3 % des matières premières (céréales, plantes sucrières, huiles végétales) servant à la production des agrocarburants vendus en Belgique viennent de notre pays. Plus de la moitié de ces matières premières proviennent de pays hors Union européenne.

6.         Un quart des agrocarburants belges vient de pays où l’on déforeste à tour de bras.  Sur les 800.000 tonnes de matières premières alimentaires utilisées pour produire les agrocarburants vendus en Belgique en 2018, 26% viennent de pays frappés par la déforestation massive liée aux cultures industrielles de soja et d’huile de palme (Brésil, Argentine, Paraguay, Indonésie et Malaisie).

7.         La Belgique ne tient pas compte du Rapport du GIEC sur l’utilisation des sols. Le GIEC confirme que la production à grande échelle d’agrocarburants a un impact négatif sur la sécurité alimentaire mondiale et la pauvreté. Le GIEC indique aussi que certains agrocarburants de deuxième génération peuvent également contribuer à la dégradation des sols.

8.         Le bilan climatique des agrocarburants belges est largement négatif. En 2018, les émissions belges de gaz à effet de serre ont augmenté de 875 ktCO2eq du fait de l’usage d’agrocarburants pires encore que le pétrole d’un point de vue climatique (biodiesels en particulier).

9.         Les agrocarburants ne remplacent que 5,5% du pétrole consommé par les transports en Belgique. La contribution des agrocarburants à notre mobilité reste faible.

10.       La Belgique risque d’augmenter fortement le recours aux agrocarburants alimentaires (Essence E85, Plan énergie climat 2030). La Ministre de l’énergie Marie-Christine Marghem souhaite introduire sur le marché belge l’essence E85 (qui peut contenir jusqu’à 85% d’éthanol) d’ici la fin 2019 . Le projet de Plan Energie Climat 2030 du Gouvernement prévoit par ailleurs d’augmenter la part des agrocarburants de 5,5% à 14%.

Contexte politique

L’usage d’huiles végétales comme matières premières pour la production de biodiesel (mélangées au diesel) et de céréales et plantes sucrières pour la production de bioéthanol (mélangées à l’essence) est une conséquence directe de la législation actuelle visant à stimuler l’usage des agrocarburants. Une loi belge[2] oblige les distributeurs de carburants à procéder à l’incorporation d’agrocarburants dans les carburants fossiles. Quelles que soient les marques des distributeurs et quel que soit le type d’essence ou de diesel, ces carburants contiennent un pourcentage, souvent variable, d’agrocarburants, qui représentait en moyenne en 2018 environ 5,5% d’un plein (en énergie). 

Pour le consommateur, le mélange est peu visible et totalement inévitable. Peu de citoyen·ne·s sont conscient.e.s de rouler partiellement avec des agrocarburants . En faisant un plein, le consommateur ne sait pas précisément quel agrocarburant il utilise.

Suite aux impacts néfastes de ces agrocarburants issus de matières premières alimentaires, la réglementation européenne a été revue[3] pour permettre l’arrêt total de leur utilisation dès 2021.

Malheureusement les autorités belges prévoient d’augmenter fortement l’utilisation de ces agrocarburants, dans le cadre du projet de Plan Energie Climat 2030 (PNEC), en allant même jusqu’au maximum autorisé par l’UE. Dans ce Plan, le Gouvernement belge envisage en outre de mettre sur le marché le carburant E85, à forte teneur en bioéthanol. Le PNEC doit être validé d’ici la fin de l’année 2019.

Il est urgent de changer la position de nos gouvernements pour éviter de renforcer le dérèglement climatique, la déforestation, les menaces sur les droits des paysan.ne.s et l’insécurité alimentaire mondiale.

Recommandations

Les organisations à l’origine de cette analyse appellent :

•          Les autorités belges à revoir totalement leur copie en ce qui concerne le recours aux agrocarburants dans le cadre du Plan National Énergie Climat 2030, afin d’être cohérentes face à leurs engagements en matière de changement climatique, de développement durable et de respect des droits humains :

•          Les agrocarburants issus de matières premières alimentaires doivent être éliminés ;

•          Le projet d’arrêté royal visant à introduire le carburant E85 à forte teneur en éthanol doit être retiré ;

•          Les agrocarburants dits « avancés » doivent faire l’objet d’une approche réaliste et prudente, basée sur une évaluation objective et complète de leurs impacts environnementaux, économiques et sociaux.

•          Les régions à prendre leurs responsabilités pour aller résolument vers une mobilité durable, sans chercher à reporter les efforts sur le niveau fédéral. Leurs politiques de décarbonation du transport devraient cibler prioritairement :

•          La réduction du trafic automobile (fin du système de voitures « salaires ») et le développement des alternatives (transports en commun, mobilité douce, véhicules partagés, co-voiturage etc.) ;

•          Pour les voitures restantes, utiliser les leviers normatifs et fiscaux pour réduire les émissions, la masse et la puissance des véhicules mis sur le marché (voie royale pour diminuer leur consommation énergétique). Dans ce cadre, favoriser également le passage des voitures à l’électricité renouvelable.

•          Mettre en place un scénario clair d’élimination progressive des voitures essence et diesel pour ne plus vendre de nouvelles voitures de ce type au plus tard en 2030.

•          Les autorités belges à développer plus rapidement l’électricité renouvelable.

Télécharger l’étude complète en PDF

Lien vers nos précédentes études sur les agrocarburants (place croissante du soja, rôle de l’huile de palme)


[1] CNCD-11.11.11, Inter-Environnement Wallonie, 11.11.11, Oxfam en Belgique, FIAN Belgique,  Greenpeace Belgique, Bond Beter Leefmilieu, Natuurpunt

[2]       Loi du 17 juillet 2013 relative aux volumes nominaux minimaux de biocarburants durables qui doivent être incorporés dans les volumes de carburants fossiles mis annuellement à la consommation.

[3] La nouvelle directive énergie renouvelable (RED II) définit des objectifs nationaux à atteindre à l’horizon 2030 en termes d’énergie renouvelable dans les transports. En ce qui concerne les agrocarburants, la situation change de manière fondamentale : dès le 1er janvier 2021, les agrocarburants issus de matières premières alimentaires (huile de colza, de palme, de soja, éthanol de froment, de maïs, de betterave, de canne à sucre, etc.) disparaissent du régime obligatoire. Leur utilisation reste permise mais est plafonnée.