Nous sommes tous des esclavagistes…

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Ah, elles auront frappé les esprits, ces images de tracteurs épandant leur lait comme du vulgaire lisier à travers les champs de Wallonie et d’ailleurs. Pas sûr, pourtant, que chacun et chacune aient perçu le message véhiculé par cette voie lactée.

Si les consciences se sont émues, c’est plus souvent pour dénoncer un gaspillage jugé intolérable que pour s’associer aux revendications de producteurs poussés dans les cordes du désarroi; l’émotion face à l’acte a pris le pas sur la réflexion quant à ses motivations. Dommage, car cette fièvre qui enflamme le secteur laitier est emblématique d’une dérive affectant l’ensemble de l’économie. Car de quoi s’agit-il ? D’une pression sur les prix contraignant des producteurs à céder le fruit de leur travail en deçà de son prix de revient. Autrement dit, à vendre à perte et donc à creuser chaque jour davantage la tombe de leur activité. Les responsables de première ligne sont clairement identifiés : les laiteries et les enseignes de la grande distribution qui usent et abusent de leur position dominante pour imposer leurs conditions. Mais, in fine et plus globalement, ces pratiques répondent à des comportements d’achat, à des habitudes de consommation privilégiant le « meilleur prix ». Et, là, nous sommes tous parties prenantes du système : nous ne regardons plus au-delà de l’étiquette, nous avons oublié le coût des choses.

Il importe dès lors de se (re)confronter à ce qui devrait être une aveuglante évidence : la bonne affaire que nous réalisons ici est facturée cash par ailleurs. Pour chacun de ces produits que nous trouvons « vraiment pas chers », il y a une addition cachée : un environnement saccagé, une main d’½uvre exploitée, des sous-traitants sous-payés, on en passe et des pires.
Entendons-nous bien, il se ne s’agit pas de jouer les pères la morale et de fustiger celles et ceux qui doivent composer avec un pouvoir d’achat de plus en plus érodé. La quête du prix bas est parfois une véritable stratégie de survie mais elle participe toujours d’une évolution culturelle qui a déconnecté le produit fini de son processus de production et induit que chacun a droit à tout.

Dans cette logique de consommation effrénée, nous sommes tous devenus des esclavagistes. Car hormis quelques campagnes ciblées pour des « vêtements propres » ou contre des ballons de foot cousus mains par des gosses de dix ans, nous cautionnons par nos achats les pratiques peu reluisantes qui nous rendent ces acquisitions accessibles. Que nous importe, lors de l’achat d’un GSM, qu’il ait été produit en Chine dans des usines où le salaire, l’horaire et les conditions de travail nous renvoient à ce qui existaient chez nous au 19ème siècle ? Que nous importe que le Coltan, minerai radioactif entrant dans la composition de cette petite merveille technologique a quelques dizaines d’Euros soit extrait en Afrique au mépris de toutes normes environnementales, dans des mines où la vie humaine n’a de valeur que productive ? De même, en privilégiant la juteuse orange Made in Spain à 2 euros les 5 kilos, nous pensons rarement aux clandestins parqués en hangar de 50, sans eau électricités ni sanitaires, qui en ont assurés la production et la récolte…

Il ne s’agit pas de culpabiliser, juste de susciter la réflexion. Habitués à l’abondance bon marché, nous avons en effet oublié que rien n’est gratuit… Tout a un prix et ce que nous ne payons pas est supporté par d’autres. A nous de savoir si c’est vraiment le modèle que nous souhaitons. Si non, réapprenons le coût des choses et essayons non la privation mais la modération. Cela s’avèrera d’autant plus bénéfique qu’avec le toujours plus, ce n’est jamais assez et c’est donc la frustration assurée !

Billet d’humeur extrait du dernier numéro de nIEWs,

la lettre d’info de la Fédération.

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