Ondes & Santé : 2ème épisode

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Nous allons, en 3 épisodes, développer la problématique des ondes électromagnétiques. Après une présentation de ce qu’elles sont, nous avons passé en revue leurs effets réels et potentiels sur la santé des humains et des autres vivants. (https://www.canopea.be/ondes-sante/) Nous investiguons, dans ce second épisode, sur leur régulation via différentes normes et sur l’efficacité de cet outil classique pour, enfin, dans un troisième épisode à venir, aborder la question très actuelle et sensible de la 5 G dans ses aspects sanitaires, énergétiques mais aussi démocratiques.

Le cadre réglementaire dans l’UE

Avant d’aborder la question des ondes aux yeux de la loi, il est important de nuancer les termes auxquels nous sommes confrontés lorsqu’on se documente sur le sujet. Les « valeurs de référence » figurant dans les rapports de recommandations, les lignes directrices,… indiquent la valeur maximum qu’il est recommandé de ne pas dépasser. Bien que la législation tente généralement de se rapprocher au plus près de cette valeur de référence, on parlera plutôt des limites d’exposition lorsqu’on parle de valeur légale. Celles-ci doivent donc être concrètes (spécifiques à une situation, un produit) et contraignantes (reprises dans la réglementation).

Il existe ainsi des limites d’exposition pour chaque type de rayonnement électromagnétique. Celles-ci sont déterminées à l’issue d’études scientifiques évaluant l’effet du rayonnement électromagnétique sur l’organisme. Ces limites s’assurent que la puissance maximale autorisée du rayonnement évite des effets préjudiciables à la santé. La détermination de ces limites repose principalement sur l’effet thermique qu’engendrent les radiofréquences sur notre corps. Cet effet thermique est caractérisé par le « débit d’absorption spécifique » (DAS, unité W/kg). Cet effet thermique n’engendre des dommages de santé qu’en cas d’intensité élevée. 1

Dans l’UE, les réglementations en matière de normes d’émissions se basent sur les recommandations émises par des comités d’experts regroupés au sein de l’ICNIRP 2. Cette commission établi des lignes directrices à l’échelle internationale pour limiter l’exposition de la population aux ondes électromagnétiques 3. L’UE avait initialement relayé les suggestions de ces comités d’experts dans sa recommandation du Conseil 1999/519/CE. Celle-ci suggérait aux Etats membres de ne pas exposer la population à certaines valeurs limites d’expositions (lignes hautes tension, antennes émettrices, GSM, …).

La réglementation encadrant les produits radioélectriques est une compétence européenne (Politique européenne des produits). La directive européenne RED 4 (Radio Equipment Directive) définit ainsi la conformité des équipements radioélectriques mis sur le marché européen. Tous les produits mis sur le marché européen doivent donc satisfaire aux normes de cette directive européenne afin de ne pas présenter une menace pour la santé et la sécurité de l’usager. La directive est transposée par les États membres en droit national 5. Elle vise avant tout à harmoniser les réglementations des États membres de l’Union européenne afin de permettre la libre circulation des équipements radioélectriques en son sein 6. C’est ainsi que la Belgique acte le 25 mars 2016 l’ « Arrêté royal relatif à la mise à disposition sur le marché d’équipements hertziens ».

Nos appareils radioélectriques et nos réseaux de téléphonie mobile ne sont pas les seuls concernés par la législation. Les installations électriques et des dispositifs de transport de l’électricité (lignes à haute tension, …) émettent des rayonnements de fréquences extrêmement basses (EBF) d’une fréquence de 50 Hz. En Belgique, l’intensité du champ électrique généré par le réseau électrique est plafonnée à 5 kV/m dans les zones d’habitation (ce qui correspond à un champ magnétique de 100 µT à 50 Hz), 7 kV/m lors des surplombs de routes et 10 kV/m dans les autres lieux. Si la législation belge limite l’intensité du champ généré par ces installations, il n’existe néanmoins pas de limite d’exposition du public dans la loi fédérale. La recommandation des 100 µT telle que préconisée par le Conseil européen n’a pas encore été transposée dans notre arsenal législatif. Le Conseil supérieur de la santé (avis n° 8081) recommande quant à lui de limiter l’exposition d’enfants de moins de 15 ans à 0,4 μT (en moyenne sur une longue période), par principe de précaution7.

Les normes de protection actuelles sont-elles suffisantes 8 ?

Les normes d’exposition actuelles, définies sur base des recommandations de l’ICNIRP, visent principalement à prévenir des effets thermiques. Néanmoins, même si une technologie n’entraine pas d’effet thermique conséquent, ce n’est pas pour autant que notre organisme est à l’abri d’interférences biochimiques ou physiologiques 9.

Bien que les recommandations de l’ICNIRP soient acceptées par l’OMS et la majorité des pays, certains collectifs de scientifiques demandent à l’OMS de revoir les recommandations internationales publiées par cette commission 10. Selon eux, les dernières études scientifiques démontrant certains liens de causalité, notamment suite aux expositions sur le long-terme, ne sont pas suffisamment prise en compte. Pour certains, les normes d’émission actuelles ne seraient donc pas assez ambitieuses pour s’assurer que ces CEM sont sans effets pour la santé humaine (particulièrement les enfants) ainsi que celle des autres organismes vivants.

Ces collectifs de scientifiques reprochent principalement à l’ICNIRP de se baser uniquement sur les effets thermiques pour proposer les valeurs-guide11. « Les effets à long terme, par exemple ceux des lignes à haute tension sur la leucémie infantile, du GSM sur le cancer du cerveau, l’hypersensibilité électromagnétique, ne sont en général pas encore suffisamment étudiés pour pouvoir émettre des jugements d’une certaine fiabilité » 12. Selon eux, les vivants ne peuvent pas être considérés comme de simples corps soumis à l’effet thermique uniquement. La réalité est beaucoup plus subtile et complexe que ne le suggère le modèle de l’ICNIRP. Certains effets biologiques apparaissent à des niveaux d’exposition mille fois inférieurs aux seuils imposés par le cadre normatif actuel 13.

Prendre en compte la complexité du fonctionnement des organismes vivants (humains et non-humains) est une nécessité pour protéger le public et l’environnement des effets néfastes.

Outre la remise en question de la seule prise en compte de l’effet thermique, la temporalité des analyses constitue également un sujet de débat légitime. Pour définir des limites d’exposition, les experts se basent sur des effets sanitaires scientifiquement prouvés. Or, la plupart du temps il s’agit principalement d’effets à court terme. Ceux-ci étant beaucoup plus faciles à appréhender que des effets apparaissant seulement sur le long-terme.

Les inquiétudes de cette exposition long terme concerne également les champs EBF (extrêmement basses fréquences) 14. Depuis 2002, les champs magnétiques EBF sont également classés par le CIRC dans la catégorie 2B relative aux cancérogènes possibles pour l’homme 15. Ce classement résulte notamment d’études épidémiologiques ayant associé l’exposition à ces champs avec un excès de risque de leucémies infantiles 16. Des corrélations ont également été établies entre l’exposition prolongée aux EBF et l’augmentation de maladies neuro-dégénératives telles qu’Alzheimer 17.

Selon certains, un autre problème viendrait du fait que « nous sommes incapables de constituer un groupe témoin parmi les êtres humains, car tout le monde est désormais exposé aux ondes. Il n’y a plus de population non exposée à cet « electrosmog » ! Or, le type d’étude scientifique le plus rigoureux consiste à comparer un groupe exposé à un groupe non exposé. Il n’y a plus moyen de pratiquer ce type d’expérimentation scientifique, ce qui explique qu’on travaille notamment sur des rats… » 18. C’est pour répondre à cette dernière préoccupation qu’une étude de cohorte prospective à grande échelle est en cours auprès de 300 000 personnes résidant dans 6 pays (Etude européenne Cosmos). La 5G fait partie des sources d’exposition étudiée dans le cadre de cette recherche épidémiologique 19. Le soutien de ce type d’étude débouchant sur des conclusions de haute fiabilité scientifique sont évidemment à soutenir et encourager sur le long terme.

Certains scientifiques parlent également de censures 20, d’autres parlent de manque de rigueur scientifique dans les études visant à mettre en garde 21. Enfin certains, ne souhaitant pas choisir leur camps au vu des conclusions mitigées, réclament aux politiques des fonds pour la recherche afin d’améliorer la connaissance et de dissiper le doute 22 !

Hypersensibilité individuelle aux rayonnements non-ionisants

Certaines personnes sont intolérantes à une exposition trop intense aux champs électromagnétiques. Un acronyme existe pour décrire ce phénomène, EHS (Electro Hyper Sensibilité). Ceux concernés par ce fardeau éprouvent de fortes gênes en présence de dispositifs sans fil (antennes, wifi, smartphones,…). Les symptômes sont divers ; maux de tête, troubles de sommeil, troubles de la mémoire et de la concentration, acouphènes et troubles du rythme cardiaque.

Si le phénomène reste rarement abordé dans la littérature scientifique et dans les médias, certains se mobilisent pour faire reconnaître l’EHS comme maladie. C’est notamment le cas de l’association belge AREHS 23. En France, cette préoccupation ne stagne pas au niveau du secteur associatif. L’ANSES, recommande une prise en charge adaptée des personnes concernées ainsi que la poursuite des travaux de recherche 24. Selon cette agence française, la proportion de français impactés par les ondes approcherait les 5% 25.

Cette même agence française finance depuis 2017 une étude belge (ExpoComm) pour évaluer l’électrohypersensibilité sur la base d’un protocole d’exposition créé en collaboration avec des personnes se déclarant EHS. Bien qu’à ce jour, aucune étude n’aie permis de démontrer un lien de causalité entre les symptômes déclarés et l’exposition aux CEM, des études complémentaires telle qu’ExpoComm sont nécessaires pour agir en connaissance de cause à l’avenir. Les résultats de cette étude sont attendus en fin d’année 2021. De son côté, l’OMS publiera en 2022 une étude plus large évaluant le risque d’exposition aux radiofréquences sur la santé humaine en prenant en considérations les dernières études sur le sujet.

Les antennes en Belgique, une menace ?

En Wallonie, les antennes de télécommunication font l’objet d’un avis26 a priori émis par l’Institut Scientifique de Service Public (ISSeP). Le cadastre, disponible en ligne, localise l’ensemble des antennes implantées. Il permet également la consultation de la fiche descriptive et du rapport de contrôle sur chaque site.

En Belgique, la fixation des normes pour les antennes émettrices est une compétence régionale. Bruxelles a la norme la plus stricte. A Bruxelles, la norme de 6V/m encadrant l’implémentation de tout type d’antennes est ainsi l’une des plus strictes au monde. Elle est 50 fois plus stricte que ce que recommande l’Organisation Mondiale de la Santé » 27. La norme bruxelloise prend donc au sérieux le principe de précaution et tient compte de cette incertitude et vise à protéger les personnes les plus sensibles, comme les enfants ou les femmes enceintes. En Flandre et en Wallonie, l’ambition est plus discrète. On y applique les recommandations de l’OMS qui se basent sur les suggestions de l’ICNIRP décrite plus haut. Comme nous l’avons vu, ces normes ne sont pas suffisamment protectrices selon l’avis de scientifiques et médecins ayant pris à bras le corps cette préoccupation électromagnétique.

« En Flandre, un arrêté fixe le champ électrique cumulé maximal à 20,6 V/m, c’est-à-dire au même niveau que l’ancienne norme fédérale. Chaque antenne émettrice peut contribuer à ce champ global à raison de 3 V/m. Comme la norme wallonne, cette norme s’applique aux lieux de résidence, de travail et aux terrains de jeux des écoles. »

« En Wallonie, la norme 28 fixe un seuil de 3 V/m, par antenne, et non pour l’ensemble des antennes en un endroit donné. Elle s’applique à tous les lieux « de séjour » (logements, bureaux, écoles, hôpitaux, terrains de sport…), mais exclut les garages, les balcons et terrasses, et de façon générale l’extérieur (voiries, trottoirs…). » Le  champ électromagnétique total n’est donc pas limité en Wallonie 29.

En Wallonie toujours, le cadre normatif entourant cette problématique est actuellement en chantier. Le droit régional wallon intégrera bientôt des limites d’exposition. L’administration wallonne a également lancé une étude pour évaluer l’impact des CEM des lignes à haute tension sur les humains et les êtres vivants en général. Le rapport complet de cette étude est attendu d’ici la fin de cette année 30.

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  1. SPF Santé Publique, « Limites d’exposition »
  2. International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection (ICNIRP) : organisation indépendante d’experts scientifiques
  3. 2020, ICNIRP « Guidelines for limiting exposure to electromagnetic fields (100 kHz to 300 GHz) »
  4. Directive 2014/53/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative à l’harmonisation des législations des États membres concernant la mise à disposition sur le marché d’équipements radioélectriques et abrogeant la directive 1999/5/CE
  5. SPF Santé Publique, « Normes de rayonnement électromagnétique »
  6. ANFR (France), juillet 2020, « Surveillance du marché des équipements radioélectriques »
  7. SPF Santé, octobre 2008, Avis 8081, Recommandations concernant l’exposition de la population aux champs magnétiques émanant des installations électriques.
  8. Le contenu de ce paragraphe est en grande partie inspiré de la synthèse de la littérature scientifique réalisée en juin 2021 par Ondes.Brussels
  9. Bandara P, Carpenter DO. Planetary electromagnetic pollution: it is time to assess its impact. Lancet Planet Health. 2018 Dec;2(12):e512-e514. doi: 10.1016/S2542-5196(18)30221-3
  10. Parmi les alertes scientifiques parues au cours de ces dernières années nous pouvons citer : The EMF Call, EMF Scientist, PHIRE Medical, Electrosmog Appeal Belgium, EMF Conference 2021
  11. IEB, Paul Lannoye, septembre 2019, « Les normes actuelles limitant l’exposition de la population aux champs électromagnétiques protègent l’industrie »
  12. SPF Santé Publique, « Limites d’exposition »
  13. Fédération des Maisons Médicales, 18 juin 2019, Interview du Dr. Magali Koelman, « Sommes-nous tous des cobayes ? »
  14. Voir à ce sujet la nIEWs de Pauline Dessard, « Lignes à haute tension et ondes électromagnétiques »
  15. CIRC, 2013, « Monographs, Volume 102, Non-ionizing radiation, Part 2 : Radiofrequency electromagnetic fields »
  16. ANSES (France), 2017, « Champs électromagnétiques extrêmement basses fréquences : Effets sanitaires et travaux de l’Anses »
  17. Jalilian H, Teshnizi SH, Röösli M, Neghab M. Occupational exposure to extremely low frequency magnetic fields and risk of Alzheimer disease: A systematic review and meta-analysis. Neurotoxicology. 2018 Dec;69:242-252. doi: 10.1016/j.neuro.2017.12.005. Epub 2017 Dec 24. PMID: 29278690.
  18. Interview d’André Vander Vost, « Des ondes, des rats, et des humains. », Kairos, 18 décembre 2019
  19. Région de Bruxelles-Capitale, « Rapport du comité d’experts sur les  radiations non ionisantes 2019-2020 »
  20. Kairos, 17 avril 2019, Interview de Marie-Claire Cammaerts, « La recherche sur les ondes électromagnétiques censurée par l’université ? »
  21. La Libre, 18 juillet 2012, Interview de Luc Verschaeve, « Pas sur la même longueur d’onde »
  22. Le Vif, 09 mai 2020, Carte de blanche, « 5G: un appel au politique en faveur de la recherche » de Dr Jacques Vanderstraeten, Docteur en Sciences de la santé publique, Collaborateur scientifique de l’Ecole de santé publique de l’Université Libre de Bruxelles
  23. AREHS, Association pour la reconnaissance de l’électro hyper sensibilité (site web)
  24. ANSES, (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), « Hypersensibilité aux ondes électromagnétiques : amplifier l’effort de recherche et adapter la prise en charge des personnes concernées »
  25. 2018, ANSES, Rapport d’expertise collective, « Hypersensibilité électromagnétique ou intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques», p.273
  26. Avis relatif à la protection contre les éventuels effets nocifs et nuisances provoqués par les rayonnements non ionisants générés par des antennes émettrices stationnaires, sur base du décret du 03 avril 2009
  27. Bruxelles-Environnement, « Comparer les normes »
  28. Parlement Wallon, 03 avril 2019, « Décret relatif à la protection contre les éventuels effets nocifs et nuisances provoqués par les rayonnements non ionisants générés par des antennes émettrices stationnaires »
  29. SPF Santé, 2011, « Les champs électromagnétiques et la santé, votre guide dans le paysage électromagnétique »
  30. Parlement de Wallonie, février 2021, Questions-Réponses à la Ministre Céline Tellier, « La fixation de normes d’exposition régionales aux champs électromagnétiques »