Pesticides : quand les abeilles découvrent les failles des dossiers…

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L’apiculture encaisse de lourdes pertes ces dernières années dans bon nombre de pays du monde, au point que la survie du secteur est désormais en cause. A l’origine de ces pertes, des mortalités hivernales catastrophiques (jusqu’30% selon les régions).  Si la plupart des discours officiels imputent le problème à des causes multifactorielles (maladies, carence en pollen…), les apiculteurs touchés ciblent quant à eux l’usage de pesticides de nouvelle génération, en l’occurrence des insecticides systémiques apparus sur le marché depuis une quinzaine d’années. La soudaineté avec laquelle le problème survient ou disparaît, la distribution géographique des problèmes, l’absence de signes cliniques de maladies dans les ruches touchées, sont autant d’éléments sur lesquels s’appuie leur conviction.

Ces insecticides, qui sont majoritairement des néonicotinoïdes (molécules qui ‘copient’ la nicotine en la chlorant pour la stabiliser), s’utilisent en traitement de semences. La substance active imprègne toute la plante au fil de sa croissance, y compris les pièces florales et donc le nectar et le pollen (1). Ces produits, qui sont des toxiques du système nerveux, se trouvent ainsi en contact avec les abeilles pendant toute la durée de la floraison. Les apiculteurs les soupçonnent non de tuer les abeilles mais d’en perturber le comportement, ce qui n’en a pas moins pour effet d’entraîner en quelques jours la mort de la colonie, car celle-ci est un système complexe dépendant de l’intégrité des réactions comportementales de chacun de ses membres.

Dans ce contexte, et suite à un arrêt du Conseil d’Etat français, des associations apicoles et d’environnement ont voulu voir dans quelle mesure la protection des abeilles était assurée par la législation relative aux produits phyto et comment elle est mise en œuvre.  Ils se sont enquis du contenu de dossiers d’évaluation, notamment ceux disponibles sur le site de l’EFSA (2). Ils y relèvent un certain nombre de problèmes, notamment l’absence de prise en compte du seuil de sécurité pour l’abeille (Hazard Quotient), élément qui a servi de base à l’arrêt du Conseil d’Etat confirmant l’interdiction en France d’un des produits concernés, à savoir le Gaucho maïs. Ils en concluent que l’interdiction obtenue par les apiculteurs français trouve à s’appliquer sur le territoire de tous les Etats membres européens, car la carence relevée en France existe partout où les produits sont agréés. Ils demandent en outre que les dossiers d’évaluation des pesticides soient complétés par des études de la toxicité chronique, absentes aujourd’hui du dossier, et surtout par des études scientifiques indépendantes.

On ne peut que s’étonner en effet de ce que les études scientifiques présentées dans les dossiers soient exclusivement présentées par le notifiant (c’est à dire l’entreprise phytopharmaceutique qui sollicite d’agrément du produit). Aucune étude indépendante n’est diligentée par l’autorité publique, et le dossier ne contient même pas une revue de la littérature scientifique publiée sur le sujet abordé, même si une telle littérature existe et n’est pas concordante avec les résultats présentés dans le dossier. On croit rêver….

Une vingtaine d’associations, syndicats apicoles de plusieurs pays d’Europe et associations de protection de l’environnement, ont donc écrit à la Commission et au Parlement européens pour solliciter une révision des procédures d’évaluation des pesticides. A l’heure où la directive 91/414, qui régit cette matière, est en cours de révision, ils espèrent obtenir une amélioration de l’évaluation du risque, pour les abeilles en particulier mais aussi de façon plus générale. Cet ensemble de courriers se trouve sur le site d’Inter-Environnement. Il marque un pas de plus dans une problématique dont on n’a pas fini de parler, vu notamment le côté extrêmement symbolique du conflit qui est en train de se nouer entre les phytopharmaciens d’une part, et d’autre part les détenteurs d’une espèce placée par la nature dans un rôle de sentinelle de l’environnement.

Notes

  • Ceci est prouvé par des études scientifiques qui ne sont plus aujourd’hui contestées par personne. Nous pouvons fournir des textes ou des références aux lecteurs intéressés.
  • Voir lien http://www.efsa.europa.eu/fr/science/praper.html, Draft Assessment Reports

Crédit photographique : cari.be

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