Plan de secteur, un cadre clair ? Non ! La preuve par Louvain-la-Neuve

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Une législation abondante serait garante de procédures administratives sûres et incontestables ? C’est loin d’être le cas en aménagement du territoire, et en particulier en matière de révision de plan de secteur. Démonstration par la révision du plan de secteur à Louvain-la-Neuve.

Etre membre d’une commission consultative – CRAT (Commission régionale d’aménagement du territoire) et autre CWEDD (Conseil wallon de l’environnement pour le développement durable) – exige du travail, mais est passionnant. On y touche à une multitude de dossiers, planologie et projets confondus. On y passe ces dossiers au crible de l’environnement et du bon aménagement. On peut y peser significativement sur des processus d’élaboration. Bref, on y joue un rôle réel dans le développement de notre territoire.
Une mission qui n’est cependant pas des plus aisées… Elle exige des compétences larges, de la mobilité à l’égouttage en passant par la biodiversité et le développement économique, ou encore la restructuration de la métallurgie et les projets de centres commerciaux tout en étant versé dans les schémas de structure et autres permis d’urbanisation. C’est là le quotidien des membres de commission et c’est à partir de leurs « visions expertes » qu’une bonne part du développement régional va être orientée.

Ce travail nécessite une expertise réelle mais aussi une part certaine d’intuition. Omniscients, les membres de commission ne le sont définitivement pas. Ceci est d’autant plus vrai qu’ils avancent souvent en terra incognita de l’environnement et de l’aménagement du territoire voire même du droit. Si ce n’est pas le CWEDD par exemple qui va arrêter la jurisprudence wallonne en matière d’environnement ou de planologie, il participera tout de même indéniablement à la réflexion. Ne serait-ce qu’en posant des questions.
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Vue de Louvain-la-Neuve. La « promotion du RER » prendra place essentiellement dans l’espace agricole entre les axes de la RN4 et de l’E411 à l’est de la ville (crédits : Bing)

Le projet de révision de plan de secteur de Wavre Jodoigne Perwez « en vue de promouvoir l’usage du RER aux alentours de la gare de Louvain-la-Neuve », passé dernièrement en séance, atteste de cette complexité et du caractère « mouvant » de la loi.

Réviser le plan de secteur, un moment clé de l’aménagement

Les révisions des plans de secteur constituent une part non négligeable de l’actualité de l’aménagement du territoire. Très virtuelles en amont (sur papier ou plans numérisés), ces révisions transforment pourtant à moyen et long terme assez radicalement l’espace.

Une révision de plan de secteur en bonne et due forme reste un acte fort de l’aménagement du territoire. Car, qu’on l’adore ou qu’on le maudisse, ce plan demeure incontournable. Un très bon projet, s’il ne respecte pas les affectations au plan de secteur, ne sera pas autorisé. La valeur du plan de secteur est telle qu’il semble même devenu « inabrogeable », révolution du CWATUPE ou pas.

Indifférent à la stigmatisation récurrente dont il est l’objet, il incarne la vraie constante du système planologique wallon. Trois décennies de réformes permanentes du CWATUPE ne l’ont en définitive pas plus marqué que ça. La création du Code de Développement Territorial (CoDT) ne devrait pas modifier ses lignes de partage. Car, si on fait table rase de tous les documents, plans et règlements à valeur obligatoire du code, on épargne le plan de secteur, qui seul continuera à définir impérativement là où on peut faire des maisons et là où on ne peut pas, là où on peut faire des champs de patates et là où on ne peut pas…

Une révision de plan de secteur, au sens classique du terme, ne devrait pas s’opérer n’importe comment. Un ensemble de procédures comme autant de garde-fous doit être respecté. C’est ce que prévoit le CWATUPE en son art. 46. Mais le CWATUPE – et c’est peut-être aussi pour ça qu’au Gouvernement Wallon on a décidé d’en changer une énième fois – ne prévoit pas tous les cas de figure et toutes les procédures n’y apparaissent pas des plus claires. Ce qui suscite de grosses interrogations voire de grosses polémiques dans le traitement de certaines révisions. Le projet de révision pour promouvoir l’usage du RER aux alentours de la gare de Louvain-la-Neuve le confirme donc, et c’est précisément ce que nous allons maintenant aborder.

Plus de terrain à bâtir pour le RER à Louvain-la-Neuve

Les objectifs de cette révision de plan de secteur tels qu’annoncée consistent en :

  1. favoriser l’implantation d’activités de niveau régional ayant un profil de mobilité ferroviaire
  2. augmenter le nombre de résidents à proximité de la gare
  3. densifier les nouvelles zones destinées à la résidence.

Autant de besoins dont l’étude d’incidences démontre la pertinence.
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Révision du plan de secteur de LLN : en substance, d’épais bandeaux d’activités économiques déroulés le long de la RN4 et de l’E411, face à tout un chapelet de compensations éclatées dans l’intra-muros néo-louvaniste et l’au-delà de l’E411 (crédits : Aries)

Quand une révision de plan de secteur vise à rendre urbanisables (zone d’habitat, zone d’activité économique…) des terrains jusque là non-urbanisables (zone agricole, zone naturelle…), elle doit prévoir des compensations. Si originellement, respect de l’équilibre territorial oblige, cette compensation devait être planologique – pour un hectare rendu urbanisable, un hectare devait être rendu non-urbanisable –, cela a changé, à l’épreuve des réalités.

Aujourd’hui, les compensations peuvent aussi être « alternatives ». Il s’agit alors de compenser par des aménagements adéquats les impacts environnementaux liés à la révision. Mais sans balises juridiques claires pour encadrer ce mécanisme, la jurisprudence nous renseigne des compensations alternatives parfois assez insolites : aménagement d’un rond-point, construction d’une route de contournement, implantation d’un stade… Autant d’aménagements dont on perçoit parfois mal la pertinence environnementale. Autant d’aménagements dont on comprend mal qu’ils soient réalisés par un acteur privé.

Un principe tout de même pour cadrer leur utilisation : la compensation planologique doit être prioritaire ; et ce n’est que si celle-ci a démontré ses limites qu’on pourra aller puiser dans des compensations alternatives, et encore, de manière parcimonieuse. Car l’objectif premier à conserver en ligne de mire, c’est de maintenir l’équilibre territorial wallon : un petit 1/5 urbanisable face à un gros 4/5 non-urbanisable.

La révision du plan de secteur de Louvain-la-Neuve prévoit :

L’inscription de :
1) une zone d’habitat de 30,8 ha sur le territoire de la commune d’Ottignies-Louvain-la-Neuve à la place, pour partie, d’une zone d’activité économique mixte déjà équipée et, pour l’autre partie, d’une zone agricole
2) deux zones d’activité économique mixte assorties de respectivement 7,9 ha et 17,8 ha sur le territoire de la commune d’Ottignies-Louvain-la-Neuve à la place d’une zone d’activité économique industrielle et pour une faible partie, d’une zone agricole
3) une zone d’activité économique mixte sur le territoire de la commune d’Ottignies-Louvain-la-Neuve à la place d’une zone agricole
4) une zone d’activité économique mixte sur le territoire de la commune de Chaumont-Gistoux à la place d’une zone agricole
5) une zone d’aménagement communal concerté de 10,4 ha sur le territoire de la commune d’Ottignies-Louvain-la-Neuve à la place d’une zone d’activité économique industrielle non mise en œuvre
6) une zone d’aménagement communal concerté de 5,54 ha sur le territoire de la commune d’Ottignies-Louvain-la-Neuve à la place d’une zone agricole
7) une zone d’espaces verts assortie d’un périmètre d’intérêt paysager de 3,1 ha sur le territoire de la commune de Chaumont-Gistoux à la place d’une zone agricole.

Et, au titre de compensation planologique, l’inscription de :
1) quatre zones de parc et de deux zones d’espaces verts sur le territoire de la commune d’Ottignies-Louvain-la-Neuve. Ces zones ont une superficie totale de 25,9 ha
2) une zone naturelle, de deux zones agricoles et d’une zone forestière sur le territoire de la commune de Chaumont-Gistoux. Ces zones ont une superficie totale de 16,5 ha.

En résumé, 42,2 hectares de nouvelles zones non destinées à l’urbanisation inscrites en zones actuellement destinées à l’urbanisation viennent en compensation de 50,2 hectares de nouvelles zones destinées à l’urbanisation inscrites en zones actuellement non destinées à l’urbanisation. Le projet concerne également les transferts de zonages suivants : 44,9 hectares de nouvelles zones destinées à l’urbanisation inscrites en zones déjà destinées à l’urbanisation et 3,1 hectares de nouvelles zones non destinées à l’urbanisation inscrites en zones déjà non destinées à l’urbanisation.

Soit, un projet de révision de plan de secteur qui suscite de nombreuses questions, tout en restant, du moins en apparence, irréprochable juridiquement.

Une révision du plan de secteur qui pose vraiment question

Petit florilège de ces nombreux questionnements, assez illustratifs des bizarreries voire des aberrations qu’une révision de plan de secteur peut impliquer sur base d’un CWATUPE lacunaire :

  • Les compensations planologiques sont incomplètes

    Sur une opération de 50 hectares, 8 hectares ne sont pas compensés. Pour combler le solde, l’auteur de projet recourt aux compensations alternatives. Mais son recours est très maximaliste. Ce qui est criticable, d’autant que le périmètre d’étude retenu pour localiser les compensations est très limité : communes d’Ottignies-Louvain-la-Neuve et de Chaumont-Gistoux.

    Pour réviser le plan de secteur, il faut se mettre au niveau géographique du plan de secteur, c’est-à-dire au niveau du secteur de territoire wallon – la Wallonie en compte 23 – voire même au niveau régional. Ce qui permet, dans la localisation des compensations, de davantage respecter les dynamiques de développement des territoires. Car si l’équilibre territorial wallon doit être maintenu, le développement plus fort de certains territoires – le triangle Ottignies Louvain-la-Neuve Wavre par exemple – ne doit pas être freiné.
  • On crée des ZACC et on ne compense pas

    L’auteur de projet crée plusieurs ZACC (zones d’aménagement communal concerté) à la place de zones agricoles. Et, se fondant sur le statut non défini au CWATUPE de la ZACC – ni urbanisable, ni non-urbanisable -, ne les comptabilise pas comme zones à compenser. Si les ZACC sont, il est vrai, des espaces dont l’affectation n’est pas définie, il suffit en l’état du droit d’un « simple » rapport urbanistique et environnemental pour que ce ne soit plus le cas, et lancer alors leur urbanisation et en faire des zones urbanisables en bonne et due forme. En plus, soyons honnêtes, une commune « sacrifie »-t-elle souvent ses ZACC, en les transformant, comme elle le pourrait, en espaces verts ou en espaces naturels ? S’il y a création de ZACC – ce qui est totalement absurde, voir point suivant –, elles doivent être formellement compensées à l’image de toute autre zone urbanisable.
  • Créer des ZACC ou à quoi bon continuer à faire de la planologie ?

    Le principe de changer la planologie pour créer des ZACC est assez abscond. Si on modifie l’équilibre du plan de secteur, ce doit être parce qu’on a une vision de développement en tête. Si on n’a pas de vision de développement en tête, on ne doit pas faire de la planologie, et donc ne pas créer de zones dont on ne sait que faire…
    La ZACC est un outil très particulier qui a été créé dans un contexte donné, celui de la prise de conscience du trop-plein de zones urbanisables en Wallonie. En bref, dans la volonté de limiter l’urbanisation, on a alors reversé une partie de ce trop-plein dans un nouveau machin, la ZACC, en attendant de voir ce qu’il en adviendrait.
    Créer aujourd’hui des ZACC à l’endroit où on ne pouvait jusqu’à présent rien faire – zone agricole – apparaît très hypocrite ; en effet, soit on souhaite lancer une nouvelle urbanisation et on a des projets identifiés mais on ne souhaite pas le dire, soit on souhaite éviter par une astuce juridique, la création de ZACC, l’obligation de devoir compenser.
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    Quelques-unes des compensations « espaces verts » et « zones naturelles » de la révision de plan de secteur de LLN : des confettis d’un nouveau genre pour le plan de secteur (crédits : Aries)
  • Compensations planologiques et confettis verdurés ne sont pas la même chose

    Au titre des compensations planologiques, le projet de révision de plan de secteur « valorise » des espaces verts isolés dans les quartiers de Louvain-la-Neuve : jardins publics, espaces interstitiels verdurés, talus verts… toute une série d’espaces verts aujourd’hui en zone d’habitat comme le reste de la ville de Louvain-la-Neuve.

    Drôle de manière de faire… En effet, la définition de la zone d’habitat (art. 26, CWATUPE) est très large. L’habitat ne se confond pas avec le résidentiel. Si habiter c’est résider, c’est aussi commercer, circuler, se récréer, s’aérer… Dans cet ensemble, une place en particulier est prévue explicitement pour les espaces verts. Le projet de révision de plan de secteur méconnaît clairement cet aspect là des choses, et ce faisant galvaude considérablement la doctrine. La ville wallonne, c’est de l’habitat, mais de l’habitat où dans le rouge du plan de secteur, on trouve aussi du vert, et du vert bi
    en réel.

    En outre, compenser en formalisant au plan de secteur une situation de fait, qu’est-ce l’environnement y gagne ? Fondamentalement rien. Et donc, où est la compensation ?