Pour changer, la peur ou la culpabilité? (volume 1)

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Une bonne vieille petite tentative de culpabilisation ou une bonne peur, c’est quand même très, très, tentant pour amener les citoyens à changer leurs comportements, que cela soit pour leur santé, pour l’environnement ou pour tout autre changement jugé utile.

La peur est plus souvent utilisée pour les comportements en lien avec la santé ou ceux en lien avec les changements climatiques (message sur les paquets de cigarettes par exemple). La culpabilité, quant à elle, nous la retrouverons plutôt pour les comportements en matière de mobilité ou de déchets ménagers (campagne pour des routes propres en Wallonie : ne prenez pas les aires pour des porcheries). Sans remettre en question la nécessité d’avertir sur les dangers de la cigarette, sur l’importance de diminuer les déchets, sur la nécessité de diminuer l’utilisation de la voiture individuelle ou celle de garder nos espaces publics propres, l’utilisation de la peur ou la culpabilité n’est pas pour autant efficiente.

S’il est vrai qu’une certaine dose de peur permet de prévenir des comportements dangereux, ce n’est pas forcement la solution à privilégier. « La peur est une émotion d’anticipation, elle sert à informer l’organisme de la probabilité d’un danger et à prendre les mesures nécessaires pour s’en prémunir. Face à la peur, on peut agir, mais aussi se sentir paralysé, l’éviter ou la nier. Utiliser la peur dans les campagnes de prévention ou pour susciter une réaction de protection de la santé ou de l’environnement, n’est cependant pas toujours une solution adéquate. Tout d’abord parce que la peur est une émotion désagréable, les individus auront vite tendance à vouloir la fuir pour la faire diminuer rapidement plutôt que d’agir. De plus, la peur doit être accompagnée d’une solution plausible pour faire face au danger. Crier au danger d’un tsunami pour que les gens achètent un canot de sauvetage est vain. Il faut non seulement que la menace soit plausible mais il faut également proposer un moyen crédible et sûr qui permet d’éviter le danger. La peur est parfois provoquée par la seule explication des impacts sur la santé d’un comportement ou d’un produit. Nous l’avons expérimenté, malgré nous, lors de conférences d’informations sur les liens entre santé et environnement. L’objectif de la sensibilisation n’est pas de générer de la peur ou de l’angoisse mais de permettre aux participants d’agir. Il est donc important, lors de toutes les interventions de sensibilisation, même si le contenu à transmettre fait peur, de les accompagner de moyens de prévention du danger qui soient accessibles au public, tant sur le plan économique que culturel, social et symbolique.[Valérie Xhonneux, Véronique Hollander, Pierre Courbe, [Pour un environnement sain. Susciter le changement pour diminuer l’exposition à la pollution de l’air et aux perturbateurs endocriniens, Inter-Environnement Wallonie, 2016]] »

La culpabilité est tout aussi désagréable à ressentir et nous aurons tout aussi vite tendance qu’avec la peur, à vouloir la fuir pour ne plus la ressentir, c’est humain. Culpabiliser quelqu’un c’est l’amener à se sentir responsable de quelque chose, ici en l’occurrence la situation climatique et environnementale. Or, si notre responsabilité est réelle, culpabiliser les gens, sans leur donner d’options réalistes et concrètes d’opérer les changements ne les amènera pas à changer. Cela les amènera plus certainement à mettre cette culpabilité le plus loin possible d’eux ; et l’une des meilleures options à leur portée sera de blâmer le culpabilisateur.

« Changer de comportement ou d’attitude demande de modifier, ne fût-ce que légèrement, sa vision du monde et donc une part de son identité. Un changement ne se fait donc pas d’un coup de baguette magique. Entre le moment où l’éventualité du changement est effleurée et le moment où il sera effectif et durable, plusieurs mois ou années peuvent s’écouler. Le changement n’est pas un processus linéaire, il est fait d’allers-retours entre l’envie, la motivation, les coûts, les bénéfices, l’essai, l’abandon, l’influence de l’entourage et les messages reçus, le vacillement de ses convictions et l’ancrage de nouvelles croyances, etc. »

Pour favoriser le changement, il est important de renforcer le lien entre attitudes[[L’attitude est l’évaluation générale, positive ou négative, d’une personne à l’égard d’un objet, qu’il soit concret ou abstrait » Bédard L. et al. 2012]] et comportement, qui sera d’autant plus fort que l’attitude sera :

  • Accessible : l’attitude souhaitée est devenue une idée qui vient facilement en tête. Une personne souhaitant ne plus utiliser sa voiture pour ses déplacements pendulaires, prendra du temps pour intégrer les alternatives disponibles, les horaires des transports en commun ou le temps nécessaire pour rejoindre la gare la plus proche à pied. L’idée de prendre le train plutôt que la voiture deviendra une attitude facilement accessible, lorsque toutes les contraintes seront assimilées.
  • Forte : l’attitude a un degré d’enracinement important. Il dépend, entre autre, de la certitude que nous avons d’être dans le vrai en adoptant cette attitude ou ce comportement, et de l’expérience directe que nous en faisons. Si une personne arrêtant de fumer constate quotidiennement avoir une meilleure haleine, une meilleure qualité gustative, un maintien de ses relations sociales avec ses amis fumeurs ou une respiration plus facile et qu’elle estime que ces bénéfices sont positifs pour elle, elle augmentera la force de son attitude.
  • Intense : c’est ce qui permet de mesurer à quel point une attitude est extrême.
  • Stable dans le temps : plus une attitude est récente, moins le comportement qui en découle est prévisible. Il faut du temps, de la continuité, pour rendre une nouvelle attitude accessible et forte, ce qui lui permettra d’être stable dans le temps.

Au plus ces différentes dimensions sont fortes et associées, au plus l’attitude sera forte et au plus les comportements seront en rapport avec l’attitude. Nous le voyons, l’attitude est multidimensionnelle et le changement d’attitude demande du temps, de la répétition et de l’ancrage. Il est tout aussi important d’accompagner les séances ou campagnes d’informations de solutions qui soient accessibles au public, tant sur le plan économique, culturel, social et symbolique. Il est tout aussi essentiel que les choix politiques soient en cohérence avec les changements demandés aux citoyens.

Volume 2 à paraître: utiliser l’explication rationnelle pour entraîner le changement ?

Véronique Hollander

Fédération, Education permanente