Pourquoi je ne serai jamais libéral

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« Consacrer à chacun un « droit à » revient forcément à exiger à d’autres un « devoir » d’honorer corrélativement ce droit, ce qui n’est pas éthiquement défendable d’un point de vue libéral. »[« Ce qui nous sépare des socialistes », [opinion de Corentin de Salle publiée sur LaLibre.be]]
C’est dépourvu d’état d’âme et d’humanité, bouffi d’arrogance et de cynisme mais ça a le mérite de ne souffrir d’aucune ambiguïté : la solidarité, car c’est bien de cela qu’il s’agit, est éthiquement incompatible avec le libéralisme. Comme on disait dans le temps à la télé, « autant savoir »[[« Autant savoir » était un magazine d’information créé par la RTBF en 1977 et diffusé jusqu’en juin 2004. Il fut parmi les premiers à attirer l’attention sur les dangers de l’amiante ou, plus tard, la maladie de la vache folle.]]… D’autant plus qu’il ne s’agit pas ici du blabla badin d’un politologue de comptoir mais du discours d’un éminent intellectuel, licencié en droit, docteur en philosophie et directeur scientifique du Centre Jean Gol – le think tank du MR. Même réalisée « à titre personnel », son exhibition décomplexée des préceptes clés du « libéralisme authentique » qu’il vénère met très utilement à nu quelques arguments dont ses coreligionnaires tentent généralement de masquer l’indécence derrière un cache-sexe siglé « social ».

Sans doute suis-je un naïf utopiste, un apostat non-affranchi de la rhétorique de culpabilisation ayant fondé son éducation judéo-chrétienne, un de ces pénitents adeptes de l’auto-flagellation dont Pascal Bruckner a fait le fond de commerce de son entreprise de caricature philosophique[[Voir, entre autres, « Le Sanglot de l’homme blanc : Tiers-monde, culpabilité, haine de soi » (Seuil, 1983) ; « La Tyrannie de la pénitence : Essai sur le masochisme occidental » (Grasset, 2006) ou encore « Le fanatisme de l’apocalypse. Sauver la Terre, punir l’Homme » (Grasset-Fasquelle, 2011)]]. Sans doute… Peut-être. Qu’importe ! L’octroi à chaque humain d’un « droit à » corrélé à un « devoir » pour tous les autres de le mettre en œuvre constitue le noyau dur de mon éthique personnelle et, par-delà, de ma philosophie existentielle, en un mot de ma « morale ».

Car n’en déplaise à M. de Salle, l’humain n’est pas une variable d’ajustement, une marchandise sans âme répondant aux règles du marché. Ces « droit à » et « devoir de » qui lui répugnent tant sont ceux qui unissent une espèce réputée « supérieure » (?) composée d’enfants, de femmes et d’hommes, êtres de chair, de sang et de sentiments réputés « égaux en droits » et pouvant légitimement prétendre, ici comme ailleurs, à la solidarité de leurs semblables.
Par ailleurs, être (théoriquement) « égaux en droit » n’implique pas et n’impliquera sans doute jamais une réelle « égalité des chances » et encore moins de potentiel (physique, intellectuel, psychologique… sans parler du « capital culturel » cher à Bourdieu) ; la société – la collectivité des individus – et l’Etat – son émanation – ont dès lors le devoir d’intervenir pour réduire les différences, accompagner les plus fragiles, aider les plus démunis… Dans cette optique, considérer que « consacrer à chacun un « droit à » revient forcément à exiger à d’autres un « devoir » d’honorer corrélativement ce droit, ce qui n’est pas éthiquement défendable d’un point de vue libéral » et, plus encore, que « pour un libéral, il n’y a nulle injustice « sociale » à réparer : ce que gagnent les gens traduit, dans un marché non faussé, la valeur de la demande qu’ils satisfont » relève ni plus ni moins de l’obscénité.

Il est des enjeux qui dépassent les clivages politiques et doctrinaires, des enjeux qui relèvent de notre conscience, de notre « humanité » et qui devraient faire consensus. La solidarité est de ceux-là et s’en laver les mains en ânonnant qu’un marché parfait – entendez « dont le bon fonctionnement ne serait pas entravé par les initiatives de l’Etat » – conduirait au meilleur des mondes constitue une escroquerie intellectuelle et une faute morale.

Et la sortie en cause recèle malheureusement bien d’autres motifs de révolte et d’inquiétude notamment pour les services publics – admis uniquement dans les cas où « le marché ne peut pas satisfaire (ou pas aussi bien que l’État) » – et pour l’environnement confronté aux dogmes de la croissance et de la consommation mis… librement, ça va de soi, au service de « besoins humains quasi illimités ».

On doit espérer que l’air du temps empli de repli sur soi et d’individualisme n’empêchera pas le plus grand nombre de percevoir les relents nauséabonds et viciés de pareilles théories…

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