Pourquoi ne peut-on plus compter sur nos centrales nucléaires ?

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« Une énergie sûre et disponible » clame fièrement le Forum nucléaire. « Le nucléaire contribue à assurer la sécurité d’approvisionnement d’un pays » renchéri Electrabel sur son site Internet. L’argument de la sécurité d’approvisionnement qu’est censée apporter l’énergie nucléaire a été au centre des stratégies de communication des promoteurs du nucléaire ces dernières années. Et pourtant aujourd’hui, c’est avec deux réacteurs éteints pour cause de soupçons quand à leur sécurité que nous allons passer l’hiver.

L’intégrité des cuves en acier de Doel 3 et de Tihange 2 est mise en cause. Des mesures ultrasoniques y ont montré la présence de milliers de micro-défauts. Or c’est dans la cuve que l’eau du circuit primaire circule à travers le coeur du réacteur, où elle est chauffée par le combustible nucléaire. Face à ces observations, Willy de Roovere, directeur de l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN), s’est déclaré sceptique sur la possibilité de redémarrer Doel 3. Au total, 22 réacteurs dans le monde ont été livrés par le même fabricant de cuves, dont Tihange 2, et devraient donc être contrôlés.

La Corée du Sud connaît une aventure similaire : les réacteurs 5 et 6 de la centrale de Yeonggwang ont du être arrêtés pour cet hiver suite à la découverte de la présence de pièces non conformes. Ces réacteurs fonctionnent sur une technologie similaire aux réacteurs belges, mais ils sont plus récents puisqu’ils ont été mis en service en 2002. Les 23 réacteurs coréens actuellement en service vont devoir être contrôlés un à un, et le pays s’apprête à faire face à des pénuries d’électricité « sans précédent ».

Une telle vulnérabilité aura surpris beaucoup de monde : nous sommes « habitués » à l’énergie nucléaire, et ne nous posons pas chaque matin de questions existentielles à son sujet. Comprendre cette vulnérabilité est pourtant essentiel. Elle est une conséquence directe du danger spécifique que présente l’exploitation de l’énergie de l’atome. Plus que toute autre, l’énergie nucléaire est dangereuse. Il n’est pas besoin de faire ici de long discours sur les conséquences à long terme d’une catastrophe nucléaire. Cette donnée justifie qu’on ne puisse se permettre le moindre risque, le moindre doute quant au niveau de sécurité. Il n’est pas besoin d’être certain de la défaillance d’un réacteur pour être obligé de l’éteindre, il suffit d’avoir un doute, même ténu, sur sa fiabilité. Une probabilité faible de catastrophe nucléaire reste intolérable.

Comme le montre l’exemple coréen, cette vulnérabilité n’est pas liée à l’âge d’une centrale nucléaire, mais au danger potentiel que cette technologie représente en cas de dysfonctionnement.

Bien entendu, dans un parc nucléaire vieillissant comme le nôtre, qui n’est épargné ces dernières années par des avaries en tous genres (des lézardes de 30 cm de profondeur sont présentes dans l’enceinte en béton de Tihange 2 qui connaît par ailleurs des fuites dans sa piscine de désactivation) la probabilité qu’un doute survienne un jour ou l’autre sur la fiabilité de tel ou tel réacteur est loin d’être négligeable. D’autres fermetures imprévues peuvent être imposées par les circonstances. L’énergie nucléaire fait ainsi peser une lourde incertitude sur notre approvisionnement en électricité. Nous sommes dans la situation d’une famille qui part en vacances avec une vieille voiture, pas sûrs qu’elle ne nous lâchera pas en cours de route.

Pour cet hiver, deux réacteurs nous ont donc lâchés. Une décision sur leur redémarrage ou leur fermeture définitive doit être prise début 2013. A n’en pas douter, de fortes pressions s’exerceront pour les faire redémarrer. Fermer Doel 3 ou Tihange 2 constituerait un précédent difficile à encaisser pour l’industrie nucléaire. Il n’est pas surprenant qu’Electrabel, exploitant des sites incriminés, affirme aujourd’hui que les réacteurs peuvent fonctionner correctement malgré la présence de défauts. De son côté, le Forum nucléaire continue à présenter nos centrales belges comme étant « parmi les plus sûres au monde ». Après tout, les défauts semblent être présents depuis l’origine, entend-on dire, et cela n’a pas empêché nos centrales de fonctionner…

Mais la question n’est pas là. Willy de Roovere, qui sera remplacé à la tête de l’AFCN au premier janvier, considérait déjà la présence initiale des défauts comme l’hypothèse la plus probable quand il a déclaré qu’il serait très difficile de justifier un redémarrage Doel 3. Pour reprendre notre analogie automobile, ce n’est pas parce qu’on a roulé sans problème des années durant sans ceinture de sécurité qu’on ne risque pas de faire un accident mortel en continuant ainsi.