Prélèvement au kilomètre parcouru: garder le cap !

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Les trois Régions du pays introduiront un prélèvement kilométrique pour les poids lourds (véhicules de plus de 3,5 tonnes) le premier janvier 2016, conformément à l’accord de coopération du 31 janvier 2014. Les travaux préparatoires avancent à grands pas, à Bruxelles comme en Flandre et en Wallonie. L’avant-projet de décret instaurant cet outil fiscal a été adopté par le Gouvernement wallon ce 12 février tandis qu’un projet d’adaptation de l’accord de coopération sera sur la table ce 26 février après une discussion en plénière du parlement wallon la veille. Les fédérations de transporteurs routiers ont, le 12 février, exprimé leur vif mécontentement, dans le but probable d’arracher quelques concessions politiques dont certaines pourraient mettre à mal l’efficacité du prélèvement kilométrique.

Dans un communiqué de presse commun publié le 12 février, les trois fédérations représentant le secteur du transport et de la logistique (FEBETRA, TLV et UPTR) développent un plaidoyer en trois points. Un, le système de prélèvement kilométrique handicaperait « le transporteur belge dans sa lutte contre la concurrence étrangère ». Deux, le prélèvement n’aurait « aucun effet sur la mobilité aussi longtemps qu’il se limite aux seuls poids lourds ». Trois, le secteur demande dès « une concertation approfondie » (qui a déjà eu lieu en amont…) et présente 8 « exigences ».

Le premier point de l’argumentaire des transporteurs est surprenant. La concurrence au sein du secteur routier est en effet féroce. Du fait de l’importance du poste salarial dans la structure des coûts des transporteurs, la différence entre les salaires en vigueur dans notre pays et ceux de certains Etats de l’est de l’Europe est déterminante. Si l’on introduit un prélèvement kilométrique, on modifie la structure des coûts pour les kilomètres roulés en Belgique pour tous les transporteurs (quelle que soit leur nationalité). Le poids du poste salarial en est diminué, réduisant ainsi l’avantage compétitif des camionneurs basés dans des pays où la main d’œuvre est moins chère, contrairement à ce qu’affirment les fédérations. Par ailleurs, le prélèvement kilométrique offrirait l’avantage de participer modestement à établir des conditions de saine concurrence entre les différents modes de transport, la route étant avantagée tant au niveau des conditions sociales appliquées aux chauffeurs qu’au niveau des charges d’infrastructures.

Le deuxième point soulève la question – pertinente en soi – de l’adéquation entre le prélèvement kilométrique et l’objectif politique poursuivi. Encore faut-il ne pas se tromper sur celui-ci, ou plus exactement sur ceux-ci. Les pouvoirs publics entendent en effet (a) faire supporter de manière équitable le coût des infrastructures par leurs usagers ; (b) améliorer la mobilité en incitant les sociétés de transport à opérer un transport plus efficient ; (c) contribuer à l’amélioration des performances du système de transport en tenant compte des spécificités des véhicules. Sachant que le dommage subi par une infrastructure est approximativement égal à la quatrième puissance de la charge par essieu, un camion en charge (10 t sur l’essieu) induit environ 10.000 fois plus de dégâts qu’une très grosse berline (1 t sur l’essieu). Le prélèvement kilométrique répond donc bien au premier objectif. Dans les Etats européens qui ont introduit un système de prélèvement kilométrique (Allemagne, Autriche, Pologne, République tchèque, Slovaquie), on a observé une plus grande efficience se traduisant par un meilleur remplissage des poids lourds et une optimisation accrue des trajets. Voilà pour le deuxième objectif. La prise en compte des caractéristiques environnementales des véhicules (prévue dans l’avant-projet de décret) s’inscrit dans la poursuite du troisième objectif.

Dans le troisième point de leur argumentation, FEBETRA, TLV et UPTR dévoilent leurs 8 « exigences ». Relevons-en deux.

 Affectation des recettes du prélèvement « exclusivement pour l’entretien des routes et la réalisation des chaînons manquants ». S’il semble urgent de dégager des moyens supplémentaires pour assurer l’entretien du réseau routier actuel (approche curative), il est tout aussi urgent de développer les modes alternatifs. Ce qui relève d’une approche préventive : en opérant un transfert modal, on diminue le trafic – et donc la dégradation du réseau routier. Un juste équilibre devrait être trouvé entre ces deux approches complémentaires.

 Limitation du prélèvement au réseau « Eurovignette ». Cette vision minimaliste se justifie manifestement par la volonté de préserver des « itinéraires bis » sur les routes régionales secondaires, voire sur les routes communales pour échapper au prélèvement. Ce qui ne serait pas sans incidences sur ces infrastructures.

Ainsi donc, les fédérations du secteur de la logistique et du transport mènent une lutte qui, si elle est victorieuse aurait pour effet de dégrader l’efficacité du prélèvement kilométrique dont elles dénoncent… le manque d’efficacité. Puissent les pouvoirs publics des trois Régions ne pas céder à ces assauts : dans les Etats européens où un prélèvement kilométrique a été introduit, le cataclysme socio-économique annoncé par les transporteurs ne s’est jamais produit.