Prix élevés de l’énergie : « injustifié » selon la CREG !

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Les prix de l’énergie défraient à nouveau les médias : influence des prix énergétiques sur l’indexation trop élevée des salaires qui nuirait à notre compétitivité, nouvelle augmentation des prix à la pompe et du mazout de chauffage, électricité et gaz plus chers que dans les pays voisins, grands froids révélateurs de nombreuses situations de précarité énergétique … Les perspectives paraissent bien sombres et l’accès pour tous à une énergie durable et abordable resterait un idéal inaccessible. Est-ce bien le cas ?

Parmi les éléments qui ont alimenté les débats de ces derniers jours, il y a eu la publication de l’étude de la CREG (Commission de Régulation de l’Electricité et du Gaz) sur le niveau et l’évolution des prix de l’énergie (électricité et gaz) réalisée (seulement en néerlandais pour l’instant) à la demande du Ministre de l’Economie, des Consommateurs et de la Mer du Nord, Johan Vande Lanotte et du Secrétaire d’Etat à l’Environnement, l’Energie et la Mobilité, Melchior Wathelet.

vannemoyen.jpg Les résultats de cette études sont sans appel : le prix total payé par le consommateur résidentiel pour l’électricité est beaucoup plus élevé qu’aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne ou en France. En moyenne, une famille paie en Belgique (en novembre 2010) 216 ¤ / MWh, soit 756 ¤ par an, contre 607 ¤ (-20%) au Pays-bas, 505 ¤ en Grande-Bretagne (-33%) et 468 ¤ France (-38%). Seule l’Allemagne fait pire avec 799 ¤ par an (+6%).
Idem pour le gaz, mais dans une moindre mesure : la facture annuelle pour un consommateur résidentiel type s’élève à 1.398 ¤ en Belgique, contre1.396¤ en Allemagne (-0,1%), 1.349 ¤ en France (-4%) et 937 ¤ en Grande-Bretagne (-33%). Cette fois les Pays-Bas sont plus chers avec 1.500 ¤ par an (+7%).
Pour les grands clients industriels, le prix total pour l’électricité est le deuxième plus élevé, toujours derrière l’Allemagne et celui du gaz se trouve, lui, dans la moyenne des pays voisins.

Comment en est-on arriver là ? La CREG pointe des problèmes dans les 3 composantes principales de la facture : l’énergie elle-même, le transport et la distribution et les taxes.

Du côté de la production d’électricité, la CREG rappelle que les marges réalisées, principalement par Electrabel, grâce à l’exploitation des unités nucléaires amorties et l’incertitude sur leur durée de vie, empêchent la concurrence dans ce segment du marché. La CREG – et nous la suivons sur ce point – recommande d’augmenter la taxe nucléaire de 550 millions d’euros dans l’accord de gouvernement à 1,2 milliard d’euros pour 2012 et ce, afin de créer un level playing field. Lisez, à ce propos, notre article : La rente nucléaire : des cacahuètes LIEN A ACTUALISER !

Du côté de la fourniture, la CREG dénonce l’utilisation de paramètres d’indexation dans les formules tarifaires qui ne reflètent plus les coûts de production ni d’achat tant pour l’électricité que le gaz[[http://www.creg.info/pdf/Presse/2011/compress08042011fr.pdf et http://www.creg.info/pdf/Presse/2011/compress20052011fr.pdf]]. Par exemple, certaines formules tarifaires sur le gaz sont toujours basé sur les prix pétroliers, qui comme on le sait connaissent une tendance structurelle à la hausse, alors qu’il existe un découplage depuis plusieurs années sur les marchés internationaux entre le prix du pétrole et du gaz, suite notamment à l’exploitation intensive des gaz de schiste aux Etats Unis. La CREG recommande de geler les prix pendant 9 mois le temps d’analyser les formules tarifaires des fournisseurs et d’instaurer un filet de sécurité pour contrôler l’augmentation des prix.

Du côté de la distribution (environ 30% du prix final de l’électricité), la CREG demande à revoir certains principes directeurs dans la méthodologie tarifaire qui défendent davantage les intérêts des Gestionnaires de Réseau de Distribution (GRD) et de leur actionnaires que ceux des citoyens. Dans une audition mouvementée en novembre dernier à la Chambre, Guido Camps, Directeur de la CREG, parlait même « d’absence d’efficacité au niveau de la distribution » et de « médiocrité des GRD »[[Article du journal l’Echo du 9/11/11 : « Affrontement verbal entre le PS et la CREG »]]: c’est dire qu’il existe une marge pour l’amélioration. Mais on touche là à un sujet sensible : les revenus des communes, actionnaires des GRD…

Enfin du côté des taxes et prélèvements, là aussi des améliorations sont possibles : affinement et diversification du soutien aux énergies renouvelables, utilisation de la rente nucléaire pour financer l’éolien offshore, limitation des effets pervers des tarifs sociaux,…

Dans cette étude de plus de 250 pages, la CREG développe bien sûr encore d’autres mesures. Un élément essentiel à en retenir est la responsabilité du politique dans la situation que nous connaissons actuellement en Belgique. Les tarifs de distributions élevés qui profitent aux communes, les taxes, obligations de services public et autres prélèvements mais aussi la position dominante d’Electrabel qui bénéficie d’unités de production amorties au temps du marché régulé (et pas que les centrales nucléaires), tout cela relève de décisions politiques. Pour le nucléaire en effet, le choix aurait pu être fait au moment de la libéralisation de mettre entièrement aux enchères l’électricité produite par les centrales pour ouvrir le marché à la concurrence. Ce choix n’a pas été suivi pour aider Electrabel à devenir un acteur clé sur le marché européen de l’énergie comme l’explique très bien, dans son livre « Kernenergie in de wetstraat. Dissectie van de deals », Luc Barbé, ancien chef de cabinet d’Olivier Deleuze lorsqu’il était Secrétaire d’Etat à l’Energie. Une stratégie que les consommateurs résidentiels et les PME ont payé à travers des prix plus élevés alors même qu’Electrabel appartenait déjà au groupe français Suez… Seule une partie des capacités de production nucléaire a été cédée lors des Pax Electrica I et II à SPE.

On ne peut donc que comprendre le nouveau Secrétaire d’Etat à l’Energie quand il déclare : « Je dirais aussi que si l’électricité est si chère en Belgique, c’est aussi en grande partie à cause de l’autorité, qu’elle soit fédérale, régionale, communale ou parapublique. On doit aussi regarder dans notre assiette. ». Il ne s’agira pas là d’une tâche facile du fait de la longue tradition de deals en coulisse qui a dominé dans le marché de l’énergie pendant des décennies et la proximité entre monde politique et économique qui en a résulté.

Au delà de la question des prix, le nouveau Secrétaire d’Etat devra aussi développer une vraie vision à long terme du marché énergétique. Car s’il est important de payer un prix « juste » de l’énergie qui n’autorise pas les profits indus de certains acteurs, il faut aussi préparer l’avenir. Le danger que représentent les changements climatiques et l’épuisement des énergies fossiles nous amène à revoir en profondeur notre manière de produire et de consommer l’énergie.
Les économies et l’efficacité énergétique permettent de répondre à ces défis en réduisant la facture énergétique et les émissions de gaz à effet de serre tout en augmentant notre indépendance énergétique et notre sécurité d’approvisionnement, le tout, en créant des emplois.

Crédit photographique : © herreneck – Fotolia.com

Cécile de Schoutheete

Anciennement: Développement durable & Énergie