Protéger l’environnement, de l’engagement individuel au changement collectif

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Réduire et trier ses déchets ou marcher pour le climat ? Éviter de prendre l’avion ou remettre en cause le capitalisme productiviste ? Entre promoteurs des éco-gestes et tenants d’un changement de système, l’incompréhension et la caricature mutuelle est parfois de mise. Faut-il vraiment opposer ces deux voies ? Nous allons tenter de répondre à cette question à partir de trois profils types d’engagement environnemental.

Trois stades de conscientisation environnementale

De manière simplificatrice, voire caricaturale, nous proposons ici trois profils types d’engagement environnemental, sur base de motivations intrinsèques différentes.

  • Motivation égoïste : « J’isole pour réduire ma facture, parce que c’est intéressant pour moi financièrement, pour les primes et le confort accru. Cela me donne bonne conscience car je sais qu’il y a des problèmes environnementaux. Quand je pollue, je me rassure en pensant à tout ce que j’ai déjà fait en investissant dans l’isolation de ma maison, en installant des panneaux photovoltaïques, etc. et je me dis qu’il serait temps que les pouvoirs publics développent plus les alternatives non polluantes pour les rendre plus avantageuses. Je suis réticent aux messages responsabilisant sur l’impact des choix personnels, que je peux rejeter comme étant culpabilisateurs. Je ne suis pas forcément favorable à une limitation de mes activités polluantes (taxe carbone ou interdiction, normes restrictives), mais je suis favorable aux bonus environnementaux. »
  • Motivation collective : « Je suis conscient que la situation n’est pas bonne au niveau environnemental, qu’il y a une certaine gravité croissante. Je sais qu’il faut des limites imposées collectivement, mais je veux que ce soit juste. Je soutiens une réglementation collective et suis prêt à voter pour, mais je ne me limite que modérément tant que les autres ne le font pas. Quand je pollue, je me rassure en pensant aux gros pollueurs à qui l’on demande trop peu de comptes. Je peux être prêt à payer un peu plus pour être plus vert, mais mon attachement à certains loisirs et certains conforts, associé à une idée d’injustice dans la répartition des efforts, limite mes actions concrètes et ce que je suis prêt à accepter comme changement à mon niveau. »
  • Motivation individuelle forte à portée politique : « Je m’engage personnellement en refusant de participer à des activités qui polluent. Ceci va de pair avec mon message politique en faveur d’une régulation différente, visant à réduire drastiquement les pollutions. Je me sens mal si j’ai un comportement polluant, car j’ai une conscience aiguë de la dégradation environnementale et de ses conséquences. A tel point que j’écarte de plus en plus systématiquement les comportements polluants de mes habitudes, indépendamment de ce que font les autres ou de l’avancée de la réglementation. Ma recherche de cohérence personnelle donne une force puissante à mon message, qui est de nature à faire évoluer la norme sociale. Mon exemple est admiré et inspirant pour ceux sont sensibles aux enjeux environnementaux, mais est dénigré par ceux qui se sentent mis en danger par les changements que je porte. »

Même si cette description est simplificatrice, nous connaissons tous des personnes et des figures qui se trouvent plutôt dans un groupe ou plutôt dans un autre. Nous pouvons chercher à nous situer nous-même, sachant que certains réagiront tantôt selon un mode, tantôt selon un autre, et qu’il peut y avoir des évolutions personnelles.

Quand l’action individuelle vise le changement systémique

Une mise en avant trop exclusive de l’action individuelle peut parfois être utilisée pour masquer le besoin de changements systémiques. Inversement, une mise en avant trop exclusive des changements systémiques nécessaires peut parfois être utilisée pour relativiser à l’extrême toute forme de responsabilité individuelle.

Mais l’idée n’est pas de faire du « tout individuel » ou du « tout systémique ». Les personnes du 3e groupe (motivation individuelle forte à portée politique) sont celles qui incarnent le plus clairement la complémentarité entre l’action individuelle et la dimension politique systémique.

Dans divers domaines, la mise en avant d’engagements individuels forts est souvent une étape indispensable pour pouvoir porter un message de changement systémique crédible et efficace. Pensons à Rosa Parks, refusant de céder son siège et d’aller à l’arrière du bus, dans le cadre de la lutte pour les droits civiques et contre la ségrégation raciale aux USA. Pensons au pacifiste belge Jean Van Lierde, refusant de porter les armes jusqu’à être emprisonné, dans le cadre de la lutte pour la reconnaissance de l’objection de conscience. Pensons à Greta Thunberg, qui a annoncé ne plus vouloir prendre l’avion, ni acheter des produits neufs, et qui demande une action politique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Leur succès pour changer un système qu’ils critiquent démarre par un refus personnel assumé de participer à ce système.

Le sens de ces refus individuels n’est pas de dire que le problème sera résolu par des changements de comportements individuels, le sens est de réclamer, avec d’autres, des changements systémiques, via des lois et via la politique.

Dans l’exemple de l’aviation, la recommandation politique de restreindre l’usage de l’aviation (par une taxe sur les billets d’avion, ou en évitant d’accroître les capacités aéroportuaires, etc.) ne pourra peut-être pas avancer sans que la norme sociale n’évolue. Des exemples et porte-voix tels qu’Olivier de Schutter y contribuent1, mettant leur refus individuel de ce système dans la balance. A Notre-Dame des Landes, les zadistes envoyaient également ce message en s’interposant physiquement contre la destruction du bocage.

Micro-gestes ou macro-engagements ? Au-delà de la réconciliation avec nous-même (réduction de notre dissonance cognitive), qui relève au final surtout d’un confort mental personnel, l’action individuelle trouve sans doute son sens le plus fort quand elle est liée avec la demande et l’espoir d’un changement systémique.


  1. J’ai cinquante ans et voici pourquoi je ne prendrai plus jamais l’avion…,La Libre, 7 décembre 2018