Quand la Fédération Pétrolière Belge salue le travail des climato-sceptiques

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L’industrie pétrolière va dans le mur. Elle peine à prendre la mesure des implications des changements climatiques. Non que ceux qui la dirigent soient plus bêtes que d’autres, mais son business est si intrinsèquement contraire à la sauvegarde d’un climat viable, et les changements nécessaires si radicaux pour les boss de l’Or Noir, qu’il est peu surprenant que ceux-ci développent des stratégies d’évitement.

La Fédération Pétrolière Belge (FPB) se décrit comme « le porte-parole officiel des principales compagnies pétrolières actives dans les domaines du raffinage, du marketing & de la distribution et du stockage en Belgique ». Elle rassemble les grands noms du secteur : Total, Shell, Texaco, Exxon, Lukoil…

Il est peu de dire que ces entreprises ne sont pas les plus progressistes en matière de climat. Rien d’étonnant quand on sait que sauver le climat imposerait qu’elles se détournent drastiquement de leur core-business d’ici quelques années. Une part substantielle des réserves de pétrole qu’elles détiennent doit en effet rester dans le sol si l’on veut garder un climat et une planète vivables, ce qui a provoqué une dynamique mondiale de désinvestissement fossile.

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Selon les chiffres de l’Agence Internationale à l’Énergie (2012), les deux tiers des réserves fossiles prouvées ne peuvent être brûlés pour éviter de franchir le seuil de 2 °C de réchauffement global qui est admis comme la limite avant un basculement chaotique du climat.

Ces compagnies ont été pointées du doigt à de multiples reprises pour leur lobby massif et néfaste, qui diminue et retarde des actions politiques pourtant urgentes. Des révélations récentes ont montré comment Shell a sapé les objectifs renouvelables européens, et s’apprête à poursuivre ses activités dans un monde au climat définitivement déréglé tout en prétendant publiquement accepter la nécessité de lutter contre les changements climatiques…

Et en Belgique direz-vous ? Il n’y a pas de raison que les choses se passent différemment. Dans son mémorandum adressé à nos décideurs politiques peu avant les élections de 2014, la Fédération Pétrolière Belge demandait à ceux-ci « d’éviter tout objectif en matière d’énergies renouvelables à l’horizon 2030 ».

Si l’on peut intellectuellement comprendre que le secteur pétrolier ne souhaite pas que les pouvoirs publics soutiennent le concurrent renouvelable, il est plus difficile de lui trouver des justifications lorsqu’il soutient ceux qui cherchent à mettre en cause la réalité même du changement climatique.

Récemment, une conférence a été donnée par le climato-sceptique Drieu Godefridi, où ce dernier a présenté sa critique habituelle du Giec[Drieu Godefridi s’est montré plus nuancé sur la forme, [lors de ladite conférence, ne réclamant pas cette fois le démantèlement pur et simple du Giec. Mais le fond de son discours est bien resté dans la ligne de jeter sur le Giec le doute et le discrédit : « tous les éléments sont réunis pour qu’on s’engage dans une hérésie scientifique, le lyssenkysme » a-t-il ainsi conclu.]] (critique réfutée par nos soins ici soit dit en passant). Peu après que Drieu Godefridi ait asséné sa conclusion que dans le cas du Giec « tous les éléments sont réunis pour qu’on s’engage dans une hérésie scientifique, le lyssenkysme », nous avons été surpris d’entendre Jean-Louis Nizet, Secrétaire général de la Fédération Pétrolière Belge, souligner la « justesse des vues » du climato-sceptique et lui demander s’il pourrait mieux convaincre le grand public.

Jean-Louis Nizet à Drieu Godefridi :

« Je pense que là où vous avez raison c’est sur l’imposture de présenter [le Giec] comme une organisation scientifique. Et j’annonce la couleur, je suis Secrétaire général de la Fédération Pétrolière, accessoirement ingénieur (…). Mais là où vous vous faites probablement des illusions, c’est sur la capacité à convaincre l’homme de la rue de la justesse de vos vues (…) »

Réponse de Drieu Godefridi :

« Dans toute cette affaire du Giec, j’ai toujours eu l’impression d’être un minuscule petit David contre Goliath (…) je ne peux pas atteindre le grand public (…) Je m’adresse à des leaders d’opinion tels que vous, qui peut-être vont répercuter une ou deux idées intéressantes »

« Gagnez de manière hideuse, ou perdez noblement ». Vraiment ?

On ne peut parler du lobby pétrolier sans évoquer le cas du consultant américain Richard Berman. Des révélations ont montré la « stratégie de caniveau » qu’il a secrètement établit à l’attention de l’industrie pétrolière en 2014 : celle-ci devrait selon lui considérer les relations publiques comme « une guerre sans fin ». Une guerre contre qui ? Contre les environnementalistes, les syndicats, la société civile organisée… Présenter ceux-ci comme « hypocrites » est une bonne manière de les décrédibiliser, affirme-t-il.

Richard Berman monte pour ses commanditaires des organisations écran, telle l’Environmental Policy Alliance, qui leur permet notamment, dans un anonymat garanti, de chercher à salir autant que possible la réputation des défenseurs de l’environnement. Son site Big Green Radicals, dont une page est consacrée à une tentative de discréditer Greenpeace, est illustratif des procédés utilisés. Berman reconnaît que le challenge est difficile, car « tout le monde devrait être en faveur (de groupes comme Greenpeace) », mais cela ne fait pas peur à celui qui fut surnommé « Dr Evil ».

Il insiste aussi sur l’importance de créer du doute, en faisant croire qu’il y a débat (par exemple sur la réalité du changement climatique) : « Vous obtenez un match nul dans l’esprit des gens, ils ne savent pas qui a raison. Obtenez des match nuls, car ils assurent le statut quo ».

En février 2015, fut révélé un nouveau cas de commande et de financement par des compagnies pétrolières de recherches climato-sceptiques. Ces compagnies ont un historique pour le moins trouble en matière de climat : elles semblent vouloir réécrire la science quand celle-ci ne leur convient pas.

Pour Richard Berman, habitué des missions où la fin semble pouvoir tout justifier, et l’éthique ne pas peser bien lourd, les pétroliers doivent choisir : « Gagnez de manière hideuse, ou perdez noblement ». Jusqu’où son conseil sera-t-il suivi ?

Ce cas un peu extrême montre qu’il ne faut pas être naïf, même si l’on peut douter que les « stratégies de caniveaux » soient réellement payantes à terme. Ainsi et fort heureusement, il faut souligner que tous les acteurs industriels ne réagissent pas de la même manière. La stratégie de Berman, par exemple, a été révélée par un cadre d’une entreprise pétrolière particulièrement dégoûté par les méthodes qui lui étaient proposées, ce qui est tout à son honneur. Mentionnons aussi cet ancien dirigeant de Shell qui déclare aujourd’hui que le désinvestissement fossile est parfaitement rationnel.

Par ailleurs, les choses semblent s’emballer pour les pétroliers. Plusieurs d’entre eux viennent de déclarer dans une lettre commune soutenir l’imposition d’un prix pour le carbone. Et certains d’entre eux déclarent maintenant qu’il faut laisser le charbon dans le sol… pour pouvoir brûler le pétrole et le gaz. Ils cherchent à rester dans le coup et à se donner une image publique responsable, mais leurs intentions réelles restent floues. Peuvent-ils sortir de leurs contradictions ?

In fine, la combustion d’énergie fossile est condamnée. Pas parce que les pétroliers sont des affreux ou des méchants – ce sont des hommes et des femmes comme vous et moi –, mais comme conséquence malencontreuse des lois physiques liées au climat et au bilan énergétique de leurs activités. La véritable question à laquelle doivent faire face les pétroliers serait donc plutôt : « Vais-je perdre de manière hideuse, ou perdre noblement ? Et quand me déciderai-je à mettre mes œufs dans un autre panier ? »

Post-Scriptum :

Nous souhaitons donner l’opportunité à la Fédération Pétrolière Belge de réagir et de préciser ou nuancer son analyse du travail des climato-sceptiques. En particulier, nous adressons à son Secrétaire général les trois questions de clarification suivantes, dont nous publierons les réponses :

  1. La FPB reconnaît-elle l’existence d’un changement climatique dangereux d’origine humaine ?
  2. La FPB reconnaît-elle la nécessité de limiter le réchauffement global à 2 °C, ce qui implique de respecter un budget carbone défini et de limiter en conséquence la combustion de toutes les énergies fossiles ?
  3. D’un point de vue personnel, quelle est selon vous la marge de manœuvre d’un responsable de l’industrie pétrolière pour contribuer à la sauvegarde d’un climat et d’une planète vivables ?

Nous sommes également ouverts à recevoir les commentaires et le témoignage de toute personne impliquée dans l’industrie pétrochimique via le formulaire suivant. L’accord de l’auteur sera requis avant toute utilisation, nominative ou anonyme, d’un témoignage.

Update : Suite à la publication de cet article, la FPB nous a répondu ceci.

IEW a publié un dossier sur les impacts des énergies fossiles : « Le livre noir des énergies fossiles »