Quel rôle veut-on faire jouer aux associations ?

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Deux situations récentes amènent à s’interroger sur les relations entre les pouvoirs subsidiants et le monde associatif. Il semble en effet que, de plus en plus régulièrement, les premiers voient dans le second un simple exécutant au service de choix politiques et stratégiques qui lui sont imposés. Les voies discordantes et l’indépendance d’action ne sont pas les bienvenues et tout paraît bon pour privilégier des comportements plus dociles. Pareil constat ne manque pas d’inquiéter car la stimulation démocratique impulsée par la mouvance associative constitue une composante essentielle de nos sociétés.

Les deux situations alimentant notre inquiétude sont évoquées ci-dessous. Elles présentent indéniablement de troublantes coïncidences : dans un cas comme dans l’autre, on constate ainsi la création de nouvelles associations pilotées par des personnes proches du pouvoir parallèlement à la réduction des moyens financiers alloués aux structures existantes…
Face à ces éléments factuels, la fédération Inter-Environnement Wallonie (IEW) se pose des questions sur l’existence éventuelle d’une volonté politique qui viserait à museler le monde associatif…

Mais revenons sur les deux situations qui nous interpellent.

La première s’est développée dans le champ de la mobilité douce. Le GRACQ (Groupement de Recherche et d’Action des Cyclistes Quotidiens), actif depuis plus de 30 ans pour la promotion du vélo comme moyen de déplacement, est aujourd’hui menacé de disparition, faute de subsides. Reconnu comme un des partenaires de la Région wallonne en matière de politique en faveur du vélo, le groupement s’est vu signifié en 2005 une réduction de moitié de sa subvention, laquelle devait ainsi passer de 200.000 à 100.000 euros. Après négociation avec le Ministre compétent, le GRACQ parvint à limiter la casse, ramenant la subvention à 150.000 euros, montant que le Ministre s’engagea à verser dans « les plus brefs délais ». Si la première tranche (75.000 euros) fut soldée dans les timings habituels – … sinon raisonnables – (septembre 2005), la seconde semble quant à elle s’être perdue dans les dédales du processus administratif, puisque le GRACQ n’en accusa réception qu’au terme de l’année … 2006 !
Il y a quelques semaines, des bruits de couloir laissèrent entendre que si subvention il y aurait en 2007, celle-ci serait limitée à … 75.000 euros, soit une nouvelle réduction de 50% par rapport à 2005 et 2006. Un appel au secours, reprenant l’historique décrit plus haut, fut alors lancé par le GRACQ auprès des candidats cdH aux élections législatives du 10 juin. En réaction, le Ministre a fait savoir, via Communiqué de Presse [[« La politique d’André ANTOINE en matière de développement du vélo et de sa mise en ½uvre », daté du 8 juin 2005.]], qu’une première tranche de la subvention 2007, soit un montant de 75.000 euros, serait versée sous peu… et que 75.000 autres euros suivraient … dès que le GRACQ aurait adapté son programme d’actions « aux priorités de la Région en matière de développement du vélo et à sa mise en ½uvre ».
En parallèle à ces péripéties, on a vu apparaître une fondation Vélove qui ambitionne, notamment, d’exercer des activités de sensibilisation et de promotion du vélo . Forte des 150.000 euros octroyés (à dater de juillet 2007) par le Gouvernement wallon, Vélove s’est, entre autres, vue charger de redynamiser les quatre vélodromes sis en Wallonie. Autre projet en ligne de mire chez Vélove : l’organisation, à l’horizon 2012, des championnats du monde de cyclisme sur le circuit de Francorchamps.
Sans se prononcer sur leur intérêt, on peut douter que ces activités à caractère récréatif soient de nature à faire la promotion du vélo à des fins utilitaires et quotidiennes, à l’image de ce que fait aujourd’hui le GRACQ [[Le GRACQ a pour objectif de faciliter l’usage utilitaire du vélo. A cette fin, il intervient auprès des pouvoirs publics et privés en vue d’obtenir pour les cyclistes des conditions de circulation et de stationnement plus sûres et plus commodes (valorisation de l’image du cycliste, circulation ralentie, amélioration des conditions de circulation, accès des vélos aux transports en commun, aménagement d’itinéraires cyclables urbains et interurbains, parkings de vélos couverts à l’entrée des services publics et dans les zones commerçantes, etc.),]] … Clairement, Velove a l’avantage de ne pas constituer une menace contestataire vis-à-vis de la politique menée et des priorités définies par le Ministre (qui cultive par ailleurs des liens étroits avec plusieurs administrateurs de la fondation…)

La seconde situation a pour cadre le secteur de l’énergie.
Créée le 17 avril 2006, l’association Energie Facteur 4 (EF4) vise à promouvoir l’offre et la demande d’énergie de sources renouvelables ainsi que l’utilisation rationnelle de l’énergie. A cette fin, elle développe diverses activités : [[« activités d’information, de sensibilisation et d’éducation à l’énergie ; (…) ; activités visant à renforcer l’utilisation rationnelle de l’énergie et le développement de la technologie de production associée aux énergies renouvelables ; activités de formation et de conférences ; (…) »]]
Ces activités et missions sont en fait étonnamment comparables à celles définies dans les statuts de l’APERe [[« L’APERe est une association indépendante qui travaille pour le développement des énergies renouvelables (ER) dans un contexte d’utilisation rationnelle de l’énergie (URE) et d’évolution soutenue d’activités humaines »… mission que l’APERe réalise par le biais d’activités : (1) d’information et sensibilisation, (2) d’expertises et d’études d’intérêt collectif, (3) de formations, conférences et éducation à l’énergie, (4) de soutien au développement des énergies renouvelables (www.apere.org).]], association de promotion des énergies renouvelables fondée en 1991, et d’EDORA [[« EDORA est une fédération professionnelle indépendante qui a pour but d’étudier toutes les mesures propres à assurer la défense des intérêts généraux du secteur de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables (E-SER) et à promouvoir ces intérêts.
Créée le 25 novembre 2003, EDORA est constituée de membres titulaires : producteurs d’électricité de source renouvelable, et de membres observateurs : bureaux d’étude, fabricants, distributeurs, associations et centre de recherche. En terme de représentativité, EDORA couvre plus de 90 % de la production E-SER en Wallonie et à Bruxelles. » (www.edora.be)]], fédération professionnelle indépendante de l’électricité renouvelable !
L’étonnant devient intriguant lorsqu’il apparaît que, lors d’un appel d’offre visant à désigner un « facilitateur photovoltaïque » [[Cette démarche s’inscrit dans le cadre du réseau de Facilitateurs (opérateurs privés ou associatifs, choisis par la Région wallonne) organisé tantôt en fonction des publics cibles, tantôt en fonction d’une technologie, mis en place par la Région wallonne. Les Facilitateurs « sont des opérateurs privés ou associatifs, choisis par la Région pour leur compétence. Ceux-ci, chacun dans leur domaine de compétence, ont pour tâche de conseiller toute institution, entreprise, investisseur, … qui développe une démarche d’investissement et/ou d’amélioration des performances énergétiques de ses installations » (http://energie.wallonie.be). Afin de renforcer la dynamique mise en place, un Facilitateur « photovoltaïque » a récemment été désigné par la Région.]], le Ministre a fait l’impasse sur l’APERe, pourtant acteur historique et reconnu en matière d’énergies renouvelables (en ce compris le solaire photovoltaïque). Le marché fut attribué à … EF4 qui s’est ainsi vu offrir une opportunité exceptionnelle d’acquérir un know-how qu’il n’avait pas.
Une explication de cette procédure pour le moins étrange réside peut-être dans le fait que l’APERe joue parfois un rôle d’entité revendicatrice vis-à-vis du politique, rôle qu’EF4 n’entend manifestement pas endosser, décidée au contraire à se tourner exclusivement vers des activités de services, voire commerciales, en fin de compte très proches de celles d’un bureau d’études traditionnel. Se serait-elle dès lors constituée en asbl uniquement pour pouvoir capter des subventions publiques ? C’est un procès qu’on se gardera de lui faire. Il n’en reste pas moins vrai qu’on ne lui connaît aucune activité tournée vers l’animation de ses membres ou l’élargissement de ceux-ci, seul élément qui distingue fondamentalement une « association » des autres formes d’organisation collectives possibles.

Quand de « fausses » asbl sont mises sur pieds pour capter les moyens financiers jusqu’ici dévolus à des acteurs établis et compétents, l’optimiste peut y voir un souhait de création de biodiversité associative. L’observateur lucide peut lui y déceler une volonté d‘essaimer des espèces invasives, destinées à tuer les espèces indigènes…