Rédemption

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Je vais être franc: j’ai douté… Et pas rien que l’espace d’un instant, comme cela peut arriver aux plus convaincus ou insouciants, pas un de ces doutes éphémères qui se heurtent par mégarde aux certitudes sans les ébranler. Non, mon scepticisme était de celui dont on fait les athées.

Il faut dire que les événements se complaisaient dans le registre mauvaises nouvelles. Des conférences qui, de Copenhague à Cancun, se renvoyaient l’écho de l’échec ; des politiques qui semblaient avoir classé l’affaire au rayon “Cold Case” ; une opinion publique qui avait d’autres crises à fouetter et, surtout, des indicateurs obstinément négatifs: essayez, dans pareil contexte, de vous convaincre que “Yes we can!” et, a fortiori, “Yes, we’ll do it!”…

La veille encore, je m’étais pris de plein fouet une info pourtant ignorée par la plupart des médias: “Emissions de CO2 records en 2010”. Selon un rapport du Joint Research Centre, lequel n’a rien d’une officine propagandiste à la solde des catastrophistes climatiques puisqu’il s’agit du laboratoire de recherches scientifiques et techniques de la Commission européenne, les émissions mondiales de CO2 ont atteint en 2010 trente-trois milliards de tonnes, ce qui constitue à la fois leur plus haut niveau historique et une augmentation de 45% par rapport à 1990.

Sachant que, selon le célèbre mantra, « il nous faut impérativement réduire les émissions mondiales de 50% – et 80 à 95% dans les pays industrialisés – à l’horizon 2050 par rapport à leur niveau de 1990 si l’on veut maintenir le réchauffement global sous la barre de 2°C », mon esprit à la fois cartésien et obtus n’avait pu éviter le KO. Et j’avais beau essayer de le relever en relisant et me répétant que « la récession ainsi que la chute de l’ancien bloc soviétique ont permis aux pays industrialisés de réduire collectivement leurs émissions de gaz à effet de serre au cours des deux dernières décennies et ils atteindront probablement collectivement l’objectif de Kyoto de 5.2% de réduction des émissions en 2012 par rapport à 1990 », il restait dans le cirage noir de noir. Même la petite phrase rappelant que « selon les recommandations du GIEC, les émissions mondiales doivent commencer à diminuer avant 2015 » dans laquelle certains auraient trouvé, à l’instar d’Herbert Léonard, des raisons d’espérer avait sur moi un effet opposé : je nous voyais dans la merde jusqu’au menton.

Considérant que

1. je me situe à 100 en 1990 ;

2. je dois atteindre 50 en 2050 en passant sous 100 avant 2015 ;

3. je me trouve en 2010 à 145 ;

4. 1.340.000.000 de Chinois, 1.210.000.000 d’Indiens, 190.000.000 de Brésiliens et quelques centaines de millions d’autres émergents rêvent d’atteindre le niveau de vie réservé jusqu’ici à 455.000.000 d’Européens, 308.000.000 d’Américains et 127.000.000 de Japonais ;

5. je ne pourrai pas faire éternellement l’impasse sur le devenir d’un milliard d’Africains ;

ai-je plus de chances de concrétiser mon objectif défini en 2. ou de remporter la super-cagnotte de l’Euromillions ?

C’est plongé dans ces considérations peu optimistes que j’ai assisté à l’Université d’automne d’Inter-Environnement Wallonie consacrée à la « transition économique ». Et là, ce fut la révélation. La Pentecôte en octobre. Mes yeux, mon c½ur et mon esprit trop longtemps plombés par l’amertume des illusions perdues s’ouvrirent à une réalité que je me refusais de voir : la révolution est en marche ! Oui, camarades, we’ve got the power et we change déjà the world !

Première bonne nouvelle qui vous avait peut-être échappé et que je suis dès lors ravi de vous annoncer : tout le monde est d’accord, même la Fédération des Entreprises de Belgique, même les industriels de la chimie, « on ne peut pas continuer comme ça, on va droit dans le mur » ! Et comme on n’est pas des imbéciles, on va changer, on va « transitionner ».

(Transition : 1. Manière de passer de l’expression d’une idée à une autre, de lier les parties d’un discours. 2. Passage d’un état à un autre, d’une situation à une autre. MOD. Passage lent, graduel, d’une transformation progressive. – Le Petit Robert)

Donc, on va passer lentement, graduellement, progressivement d’une situation où nous émettons beaucoup, beaucoup, beaucoup trop de CO2 – et ou nous épuisons beaucoup, beaucoup, beaucoup trop les réserves et la résistance de la planète – à une situation où nous en émettrons moins voire même, ô Nirvana suprême, plus du tout. C’est chouette, non ?

Vous vous interrogez sans doute sur le comment de la chose ? C’est simple : en le voulant fort, très très fort, et en unissant dans la démarche des hommes et des femmes acquis à la cause. Fini d’attendre des décisions politiques qui ne viennent pas : le changement sera « bottom-up » ! D’ailleurs, la mutation est déjà en route : la simplicité volontaire, les SEL (Services d’échanges locaux), les AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), les entreprises d’économie sociale sont autant de postes avancés de la transition qui vient. Et des villes comme Louvain ou Gand se sont engagées dans un processus devant les amener à être « zéro émissions » en 2020 et 2030. (Bon, là, j’avoue que mon logiciel neuronal aurait apprécié un minimum d’informations sur le concept et sa concrétisation mais je ne vais pas jouer les peine-à-jouir : c’est sans doute vraiment super…)

L’homme de peu de foi que je fus aurait sans doute ricané, considéré que « transitionner», c’est bien, mais encore faut-il savoir vers où et argué que le caractère « lent, graduel, progressif » de la transformation ne sied guère à l’ampleur du problème et à l’urgence de sa solution. Mais je suis devenu autre et me garderai donc de ces questionnements négativistes qui cautionnent l’immobilisme ! Finis, les appels aux choix politiques volontaristes, aux remises en cause économiques et sociétales, aux plans d’urgence et de mobilisation pour faire face à la situation de guerre à laquelle le Secrétaire général des Nations-Unies s’est risqué de comparer la crise climatique.

Plutôt que de gaspiller temps et énergie dans des approches politiciennes dépassées et caduques, je m’en vais désormais m’investir tout entier dans la résistance active à l’ennemi: développer mes achats de seconde main ; acquérir une part d’éolienne citoyenne et locale ; faire passer la livraison de mon panier bio d’un rythme bimensuel à hebdomadaire ; participer aux ateliers intergénérationnels « couture » et « petites réparations » organisés par les AA (Aînés Actifs) du quartier ; (tenter de) convertir mon entourage à la culture d’usage appelée à remplacer celle de propriété ; demander le divorce pour ne plus être contraint à des vacances hors de nos frontières ; placer mes 1380 euros d’économies chez Triodos.

Car ça, c’est un autre truc vachement important que j’ai appris : pas la peine que nos décideurs politiques de droite et de gauche (classification elle aussi dépassée et caduque) s’écharpent au sujet d’une régulation du système bancaire, ces règles sont inutiles. Là encore, c’est le citoyen – enfin, l’épargnant, ce n’est pas vraiment la même chose ; mais je m’égare… – qui va mettre de l’ordre dans tout ça en privilégiant les placements à haute responsabilité éthique et sociale plutôt qu’à haut rendement. La pression populaire va obliger les banques (que je pensais, manifestement erronément, plutôt réceptives à la pression des fonds de pension) à changer leur stratégie, qu’elles le veuillent ou non. Et que mon ancien moi ne vienne pas rejouer les Cassandre : SI, C’EST POSSIBLE !!! (Enfin, il paraît, c’est le directeur de Triodos qui le dit…)

J’ai décidé de jouer la transparence donc je ne vais pas vous cacher qu’il reste deux-trois détails dans tout ça qui me chipotent le bon sens.

Ainsi, j’ai beau avoir cloué le bec à mon ancien moi deux paragraphes plus haut, force m’est de reconnaître que son scepticisme m’apparaît fondé : je vois mal – et, à vrai dire, même pas du tout – comment ce mouvement basé sur des choix personnels – restant, quoi qu’on en dise et qu’on veut en croire, marginaux – parviendra à répondre dans les délais impartis aux changements radicaux indispensables pour relever le défi climatique.

Il m’apparaît d’ailleurs particulièrement significatif que Peter Tom Jones, l’orateur central de cette Université d’automne, aie pointé le logement/habitat comme secteur-clé affichant les comportements les plus vertueux, devant la mobilité, l’alimentation et, loin derrière, le tourisme. Je peine à voir un hasard dans le fait que les progrès les plus significatifs aient été enregistrés là où les contraintes légales sont les plus fortes… A l’opposé, quand les individus conservent leur totale liberté de choix (l’alimentation et, surtout, le tourisme), le bilan carbone ne semble guère influer sur ceux-ci. Interpellant, non ? (Ceci dit, on peut comprendre… « Dis, Chou, pour la Toussaint, on ne prendrait pas une semaine à Sharm El Sheikh ? » – « Ooooh, j’hésite… C’est vrai que cela nous changerait de cette grisaille et j’ai vu sur Internet des all-in à moins de 700 euros. Mais d’un autre côté, il y a ces émissions de CO2 dont je vais me sentir responsable et coupable si je prends l’avion… Non, je ne peux vraiment pas assumer ça. Allons plutôt à Blankenberg. » – « Oui, eh bien tu iras tout seul ! Pas question que je me gèle à la mer du Nord alors que je peux m’offrir une cure de soleil avant l’hiver pour moins cher ! »)

La décision politique, avec ses corolaires fiscaux et réglementaires sensiblement différents selon qu’ils soient motivés par une pensée « de gauche » ou « de droite », resteraient donc malgré tout au centre du jeu… Mais, je suis en train de rechuter, là, non ?

Allez, à la prochaine. Et d’ici là, n’oubliez pas: “Celui qui voit un problème et ne fait rien fait partie du problème.” (Gandhi)