Rénover au lieu de démolir

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Voici une nIEWs pleine de définitions. Rénovation, restauration et réemploi des matériaux sont au cœur de la balise n°5 du Stop Béton. Après quatre balises qui s’occupaient de l’extérieur, en voici une qui fait quelques incursions à l’intérieur des bâtiments. Elle s’autorise même un détour par les chantiers de construction et les buildings. Prendre soin de la masse de constructions déjà installées sur le sol en Wallonie, cela ne sera pas simple, ce sera néanmoins indispensable pour stopper le béton.

Pour rappel, les huit balises du Stop Béton sont :

  1. l’accessibilité piétonne et en transports en commun : « Pourquoi marcher ? »
  2. l’accessibilité aux cyclistes et aux PMR : « Fini les coupures »
  3. l’échelle humaine : « Échelle humaine, en direct du Décodage à Herstal »
  4. le paysage bâti et non bâti : « Faire attention au paysage »
  5. le réemploi des matériaux et la restauration des bâtiments
  6. les aménités existantes
  7. les activités économiques existantes
  8. la végétation et les espaces verts en place – les continuités entre espaces naturels

Nous sommes arrivés à la balise n°5, le réemploi des matériaux et la restauration des bâtiments.

Pivot du dossier d’IEW « Stop Béton. L’aménagement du territoire au service de l’urgence environnementale et sociale », la balise n°5 met le doigt sur une absolue nécessité : s’occuper du bâti existant, l’entretenir et l’utiliser. Arrêter de construire des nouveaux quartiers et des ensembles immobiliers tant qu’on n’est pas capable d’entretenir et d’améliorer les constructions déjà présentes sur le territoire. Cela vaut aussi pour les infrastructures. Pas de nouvelles routes, ni de nouvelles autoroutes, bretelles, contournements. Mais une amélioration du réseau existant par la réfection du macadam et du bitume, l’entretien des trottoirs et des avaloirs, le remplacement des glissières de sécurité et des bermes de type autoroutier par des aménagements plus accueillants pour tous les usagers comme, par exemple, les trottoirs traversants et la transformation en boulevard urbain.

Notre territoire est déjà amplement pourvu de bâtiments, d’ouvrages d’art et de voies carrossables. Mais dans quel état sont-ils ?

En faisant vos promenades à la recherche d’éléments du paysage bâti et non bâti, vous avez certainement déjà repéré quelques bâtisses, carrefours, espaces publics qui auraient bien besoin d’un coup de pinceau ou de truelle. Cette nIEWs s’en occupera, après un petit détour par les chantiers de construction.

Vous avez probablement aussi remarqué des travaux interrompus pour cause de Corona virus. Aujourd’hui, plus de 80 % des chantiers sont à l’arrêt, ce qui implique un énorme manque à gagner et une incertitude anxiogène, tant pour les entreprises que pour les destinataires de ces constructions. La situation, à ne pas prendre à la légère, nous offre l’occasion de mieux comprendre des notions complexes en donnant à voir, derrière les grillages, des aspects techniques qui seront invisibles une fois l’ouvrage parachevé.

Fondations et table rase

Tout commence avec les fondations, une modification du relief du sol qui peut être soumise à permis (CoDT, article D. IV. 4). Les excavations en profondeur permettent d’installer des caves, des emplacements de parking, des vides ventilés ou un radier, et bien sûr les raccordements, notamment au collecteur d’eaux usées. Le bâtiment en devenir va s’appuyer sur cette substructure qui fait table rase de l’existant et nécessite l’évacuation de cubages importants de terres de déblais. Pour installer un tronçon de route ou en effectuer convenablement la réfection, il faut également creuser et égaliser le sol.

Plus les engins de chantier sont massifs, plus les dégagements seront nécessaires, pour faciliter les manœuvres et l’acheminement de matériaux. Même quand une parcelle agricole relativement plane est artificialisée, il y a toujours quelques arbres ou une haie qui gênent aux entournures et qui doivent passer à la trappe. L’aplanissement du terrain a raison des micro reliefs locaux, qu’un aménagement des abords se hâtera de recomposer, pour restituer un caractère pittoresque et individualisé à la propriété ou pour « repaysager » la route.

Lorsque des travaux de fondation ont lieu dans un endroit précédemment habité, les découvertes archéologiques ne sont pas rares… mais elles ne font pas toujours l’objet d’une notification aux autorités et, même dans ce cas, le terrain n’est pas nécessairement fouillé de manière systématique. Si c’est le cas, il s’agit d’une fouille de sauvetage. En Wallonie, les fouilles de sauvetage se raréfient au profit des interventions d’archéologie préventive. Pour l’heure, la crise du Corona Virus a également nécessité la fermeture temporaire des chantiers de fouilles en cours. Entre autres, celui du Parlement de Wallonie, rue Notre-Dame à Namur, l’interruption vient de muter en arrêt définitif des fouilles, un comble ! Honte et consternation.

Murs porteurs

Si vous croisez des chantiers où le bâtiment a déjà commencé à sortir de terre, observez les structures et tentez de distinguer les murs porteurs. Comme dans la chanson de Florent Pagny, ils « tiennent la maison ». Depuis la seconde moité du XXe siècle, les murs porteurs sont souvent faits de béton armé, avec des barres d’acier ressemblant à des câbles striés. Les murs porteurs peuvent être réduits à des supports isolés : colonnes, poteaux et piliers. Dans l’architecture récente, ce rôle est souvent tenu par des poutrelles métalliques en H (c’est la forme dessinée par la section de la poutrelle). Les murs porteurs, les planchers et les charpentes forment l’ossature d’un bâtiment ou d’un ouvrage de génie civil.

Tout le reste n’est pas que décoration : le revêtement des toitures, le parement des façades, les châssis vitrés, sont indispensables pour que la construction fonctionne correctement. Mais si on les enlève, la structure ne s’écroule pas pour autant. Par contre, si vous essayez d’ôter un mur porteur ou d’y pratiquer une ouverture sans dispositif pour soutenir les charges, ouïtche, gare à la casse.

Dans l’exemple photographié ci-dessus, les façades de ces maisons mitoyennes du début du XXe siècle sont revêtues d’un parement de briques, avec des bandeaux décoratifs de pierre et de ciment qui ne sont là que pour simuler la solidité et agrémenter la vision d’ensemble. De même, le soubassement en calcaire des deux maisons est un souvenir de l’épaississement autrefois indispensable pour soutenir une élévation. Il n’a ici d’autre utilité que d’asseoir visuellement la façade. Au-dessus des fenêtres, par contre, les linteaux remplissent un rôle structurel. Ils reprennent les charges pour permettre de dégager les baies. Sans eux, pas de fenêtres ! Le linteau de la maison de droite est une poutrelle métallique. Juste au-dessus, le balcon en encorbellement constitue un autre élément structurel : les degrés arrondis supportent le poids de l’avancée du balcon, en porte-à-faux par rapport à la façade. Les ouvertures de la maison de droite, y compris les fenêtres jumelées de demi-sous-sol, sont dans un même alignement vertical, qui s’appelle travée. En évidant le mur porteur de cette manière ordonnée, on permet aux charges de mieux se répartir. Les évolutions techniques ont fortement modifié l’approche par travée, mais la plupart des constructions actuelles en maintiennent le principe, peut-être pour garder une apparence d’ordre, peut-être pour simplifier la conception des projets.

Intériorisation et mur-rideau

En cours de travaux, un bâtiment révèle son ossature et les étapes d’installation du mur-rideau. Document : energieplus-lesite.be/techniques/enveloppe7/types-de-parois/murs3/mur-rideau/

Dans l’architecture de béton, d’acier et de verre qui s’est généralisée sur la planète entière après la seconde guerre mondiale, les murs porteurs et les supports se sont déplacés vers l’intérieur de la structure bâtie. Les façades sont devenues un mur-rideau, appellation qui souligne un statut plus léger que le mur porteur. Le mur-rideau prend l’apparence d’un parachèvement ultime, fait uniquement de vitres (plus le building est haut, moins elles s’ouvrent) glissées dans des châssis. Le mur-rideau semble presque immatériel, dispensable, fragile. Un coup de maître car c’est précisément grâce à sa solidité, à son étanchéité, à ses qualités de résistance aux écarts thermiques et aux mouvements que le bâtiment va pouvoir s’élever, se déporter latéralement, et prendre des formes inouïes. Vous avez une serre ou une véranda ? Ce sont des constructions qui utilisent le principe du mur-rideau. Comme les gratte-ciels de Dubaï ou de Minneapolis.

S’occuper de l’existant

Pourquoi, dans un article sur la rénovation, avoir fait un tel détour par les chantiers de construction et les buildings ?

Parce que, pour stopper efficacement le béton, il faut assumer TOUT le bâti existant, y compris les constructions de ces cinquante dernières années, y compris celles encore en phase de chantier. Pour stopper efficacement le béton, il faut commencer à s’intéresser à la manière dont tous les bâtiments sont fabriqués – ou préfabriqués – et à la manière dont on peut en prendre soin.

Une première étape serait d’admettre qu’une partie de notre parc bâti, toutes époques confondues, est gérée à la petite semaine, ou abandonnée après avoir servi quelques dizaines d’années. Des visites régulières sur le terrain permettent de se rendre compte que les bâtiment standardisés, avec des éléments répétitifs et simplifiés, vieillissent beaucoup plus vite et plus mal que les bâtiments et les infrastructures qui ont survécu à la seconde guerre mondiale. Ces constructions plus récentes, qui va les entretenir ? Quelle nouvelle fonction leur attribuer, une fois l’usage actuel terminé ? Il faudra redoubler d’attention pour que ces biens immobiliers « faits pour durer » ne soient pas délaissés et mis hors-circuit au profit de nouveaux projets consommateurs d’espace : on n’en veut plus, de ce syndrome kleenex !

En forçant le trait, je pourrais dire : « Si on ne peut pas les assumer et en prendre soin, il ne fallait pas les autoriser ni les construire. »

En restant tempérés, nous devons à tout le moins exiger que soit mené à bien l’inventaire du parc bâti annoncé dans la Stratégie de rénovation régionale : en 2017, elle annonçait qu’un inventaire complet devrait être réalisé dans les cinq ans. Où en est-on ?

Aucune mesure n’est encore prise sur l’état des lieux du parc bâti. La Stratégie est en cours d’actualisation mais le travail semble se concentrer sur le financement plutôt que sur l’évaluation du parc bâti.

Les constructions en voie d’achèvement doivent aussi être inclues dans ce décompte, or de nombreuses surfaces de bureaux, logements et magasins n’ont pas encore trouvé preneurs. Alors pourquoi les construit-on ? Pour en faire des produits d’investissement. Les acquéreurs ne les occuperont pas, ils veulent juste un bon placement financier.

Voilà sans doute ce qui explique au moins en partie l’inadéquation persistante entre l’offre et la demande, tant du point de vue des prix que du point de vue de la typologie des espaces, malgré l’abondance de biens mis sur le marché. Les locataires en savent quelque chose de cette double inadéquation et ils pourraient faire avancer le débat, à condition d’être respectés comme des experts de l’immobilier. Il y a une belle marge de progression pour que leur témoignage soit enfin jugé prioritaire et pertinent.

Précieuses ressources locales

Outre l’inventaire de la masse de constructions déjà installées sur le sol en Wallonie, il est capital de prendre conscience des intrants utilisés pour construire. Les plus courants sont le sable et les granulats. Où va-t-on les chercher  ? Sur quoi repose la surface de roulement de nos voies carrossables ?

Les carrières de notre région pourvoient amplement au secteur de la construction, avec des matériaux de très grande qualité. Mais le problème de l’approvisionnement local s’envenime quand la tranquillité des riverains prend le pas sur l’exploitation d’une ressource pourtant non délocalisable. IEW et FEDIEX (Fédération des industries extractives de Belgique) ont signé en 2018 une charte « Riverains de carrières » pour encourager le dialogue constructif et la meilleure cohabitation possible.

Comme toute ressource naturelle, le sable, les granulats, les pierres ornementales forment des gisements limités. Les mettre en œuvre avec parcimonie, c’est à dire en visant le meilleur usage pour chaque produit, est un objectif primordial pour le secteur de l’extraction, mais aussi pour les associations environnementales qui, de Soignies à Chaumont-Gistoux, côtoient le monde carrier en s’engageant dans des comités de riverains de carrières.

Et si vous n’êtes pas encore tout à fait convaincus de l’importance des matériaux et de leur gestion dans la question du « Stop Béton », regardez cette séquence consacrée au sable par l’équipe de « Et tout le monde s’en fout ». Combien de tonnes de sable pour construire un kilomètre d’autoroute ?

L’avenir du réemploi

Comme le demandent très justement les auteurs de la vidéo que vous venez de regarder, qu’attend-t-on pour mettre au point des matériaux alternatifs ? Pourquoi ne pas recycler davantage les déchets de démolition ?

Dans une Echelle Humaine consacrée à l’économie circulaire, Gaëlle Warnant, chargée de mission Ressources, Eau, Déchets, Economie circulaire chez IEW, propose des pistes pour la construction et la rénovation. Elle remet en question le « tout au conteneur » d’usage courant sur les chantiers, tant privés que publics : « Des filières de récupération plus spécialisées sont aujourd’hui mises sur pied, mais on revient de loin. Pour certains matériaux et produits, on n’est encore nulle part. La requalification des déchets en ressources a une énorme marge de progression dans notre région. Quand un particulier remplace ses châssis, tout va dans le conteneur, gravats, boiseries, vitrages anciens. Alors que, si je me limite au verre, il est recyclable à 100% (…) [De plus], les vitres anciennes sont un produit recherché en restauration ! »

Gaëlle Warnant rappelle que la démolition est un pis-aller, un recours qui devrait être évité au maximum : « La réutilisation d’un bâtiment, c’est dire non au béton. La rénovation, l’entretien, l’adaptation des bâtiments, la continuité de l’occupation, cela coûte globalement moins cher parce que la facture environnementale est moindre que celle d’une nouvelle construction. Concernant la démolition-reconstruction, je suis d’accord avec le constat de Laurent Debailleul et Jérémy Cenci : ‘Quand on sait que le secteur européen de la construction représente, à lui seul, près de 50 % de la consommation des ressources naturelles et 33 % de la production des déchets sur l’ensemble du territoire européen (855 millions de tonnes), et 18 % des déchets wallons (4,4 millions de tonnes), on peut s’étonner de constater que les matériaux de construction issus de la démolition de ces sites, comme d’autres d’ailleurs, sont encore considérés comme de simples déchets, non valorisables. Triste ironie de l’histoire, ces matériaux qui ont servi à bâtir l’histoire d’une région se retrouvent, comme par un acte de déni ultime, broyés et recyclés sous forme de ballast routier, brûlés ou encore compactés dans des déchetteries, appelées centres d’enfouissements techniques.’ »

L’idée, c’est de ne pas jeter. Donc, pas de démolition, mais – si la rénovation s’avère réellement impossible – il faut mener une déconstruction qui sauvegarde les morceaux, une opération de “salvage” comme ça se dit en anglais.

La Wallonie reste en attente d’une véritable filière de réutilisation des matériaux de construction et des ornements architecturaux. Notre association membre Ressources s’y emploie. Rotor mène également un travail remarquable, dans un registre plus commercial. En réalité, ce ne sont pas les acteurs de la récupération qui manquent dans notre région : ferrailleurs, revendeurs de pierres taillées, antiquaires, etc. mais c’est la visibilité et la mise en réseau qui font défaut. On se prend à rêver qu’un vrai réseau de revalorisation voie le jour, et que les particuliers prêts à se débarrasser de matériaux et d’éléments architecturaux de toutes époques puissent y apprendre comment les réutiliser chez eux, comment les remettre en place dans les règles de l’art, au lieu de les jeter ou de les revendre en ligne au plus offrant.

La rénovation du bâti ordinaire

Je m’associe à Sylvain Grisot et Patrick Henry pour dire qu’il est temps de repenser notre rapport au sol urbain et rural. Démolir une bâtisse, c’est gâcher de la marchandise. Vous jetteriez une radio à la poubelle parce que les piles sont épuisées ? Alors pourquoi réduire en débris une maison complète, avec sa forme particulière, ses recoins, sa façon d’être installée dans le paysage et sur la parcelle, ses rapports avec les voisines ? 

L’excuse serait de dire : je démolis des maisons, pour pouvoir en quelque sorte “débétonner” et ensuite, sur l’espace dégagé, construire un nouvel objet architectural. Ca, les amis, c’est ce qui se fait depuis 1946. Vous trouvez que c’est nouveau, de faire un truc qui a septante ans ?

En milieu urbanisé, en ville comme à la campagne, quand il reste des terres agricoles ou naturelles, dites enclavées ou résiduelles, elles sont convoitées pour être bâties. Or, là où rien n’est encore construit, il y a toujours quelque chose. Ce n’est jamais un  » non lieu », surtout sur le plan environnemental. L’air y circule, l’absorption des précipitations s’opère naturellement ; s’il s’agit d’une friche, les animaux et les plantes s’y invitent sans rien demander à personne. Ces lieux non urbanisés offrent de manière très concrète des pauses et des variations dans le continuum urbanisé, non seulement sur le plan paysager, mais aussi en termes de maintien de surfaces non imperméabilisées.

Dès lors, deux comportements complémentaires s’imposent :

  • Arrêter de construire des bâtiments supplémentaires, s’ils sont éloignés de tout, ou insérés au chausse-pied au milieu d’un îlot déjà bâti et habité.
  • Enlever le moins possible de constructions existantes, logeables, adaptables, solides.

La meilleure alternative à l’étalement de l’urbanisation, tant sur le plan environnemental que social, ce n’est ni la démolition-reconstruction, ni la déconstruction, c’est la rénovation. Le gisement est là, sous nos yeux, c’est notre patrimoine bâti ordinaire. Il a déjà bien fonctionné et a su s’adapter. Il ne demande qu’une chose : continuer à servir.

« How buildings learn », de Stewart Brand. Voilà le livre que j’aimerais acheter ou emprunter à une bibliothèque, quand on sortira du confinement. En attendant, des séquences filmées sont disponibles en ligne, ainsi que de nombreux pdf.

Les maisons anciennes sont souvent accusées d’être des « passoires énergétiques ». Tout dépend de la qualité de la construction et des transformations successives. Lorsqu’on fait le bilan en comparant les avantages de la rénovation et de la construction neuve, la rénovation l’emporte toujours. Il faudra s’y faire.

Les bâtiments industriels et les anciens établissements de services publics, comme les écoles et les hôpitaux désaffectés, ont eux aussi besoin d’être rénovés et réutilisés : il paraît qu’on manque de grandes surfaces… Faut-il énumérer tous ceux qui ont fini sous forme de gravats ? Allez, j’en cite deux, juste pour mémoire, la Maison du Peuple de Victor Horta à Bruxelles (démolie en 1965), et la Maternité Reine Astrid de Marcel Leborgne à Charleroi (démolie en 1988). Quelle bêtise, à tous points de vue.

Il existe en Wallonie de nombreux sites désaffectés en attente d’une nouvelle destination. Ces sites à réaménager, ou SAR se retrouvent principalement dans les vallées de la Sambre et de la Meuse, mais pas seulement, comme en témoigne la cartographie réalisée par l’administration régionale. A bien y regarder, seules quelques communes n’ont pas de SAR officiel. Mais cela ne veut pas dire que ces communes n’ont aucun site désaffecté. Parfois, c’est un complexe commercial abandonné, parfois une ancienne fabrique, parfois une église désacralisée ou une ferme en ruine.

Rénover d’anciens lieux d’activité donne un formidable coup de pouce au reste du quartier, qui a souffert de vivre près d’un chancre pendant des années, mais aussi aux métiers de la rénovation, qui déploient un savoir-faire très rarement égalé dans la construction neuve. Curieux à quel point le secteur immobilier manque d’égards quant au travail des architectes et des artisans qui ont conçu ces bâtiments, alors qu’il tient absolument à ce que les autorités compétentes et les clients apprécient sa production architecturale actuelle.

Il n’est plus acceptable (si cela l’a jamais été) qu’un quartier ancien soit qualifié de « tissu vétuste ». Ouvrons les yeux, demandons à des historiens de l’art et à des archéologues passionnés par l’architecture ordinaire et anonyme de nous aider à mieux regarder. Mais arrêtons de démolir sous prétexte que ça coûte moins cher et que ça va plus vite !

Que va devenir ce bâtiment industriel situé à hauteur de la gare de Gembloux ? J’espère que les autorités compétentes sauront apprécier ses qualités architecturales, les grandes baies, les jeux de briques, la cohésion avec les bâtiments voisins.

Faire d’une pierre deux coups (ou trois)

Rénover, c’est réparer, remettre à neuf et, si besoin est, transformer, quand l’entretien régulier a fait défaut ou que les besoins ont changé. Il faut profiter de l’occasion d’un chantier de rénovation pour traiter les failles énergétiques, afin que le bâtiment résiste mieux aux écarts thermiques, dispose d’un meilleur éclairage naturel et que ses occupants puissent jouir d’un meilleur confort sans augmenter leur empreinte environnementale. Les guides à ce sujet ne manquent pas.

Dans son dossier « Climat et logement, plaidoyer pour une approche systémique. Pour une rénovation structurelle, profonde et « en une fois » du bâti », Arnaud Collignon, chargé de mission Climat et Logement chez IEW plaide pour une approche intégrée de l’impact climatique du logement, une approche qui va bien au-delà de la « simple » isolation en prenant par exemple en compte la localisation du bâtiment, l’énergie nécessaire à sa construction ou encore les prévisions démographiques. Ce dossier analyse la Stratégie de rénovation régionale et propose, page 18 et suivantes, un « plaidoyer pour une meilleure connaissance de notre parc de bâtiments ».

La boucle est bouclée.

Si une maison s’avère trop grande pour un seul ménage, et que la configuration du bâtiment permet d’être créatif, l’idéal, pour contribuer au « Stop Béton », serait de tenter de concilier une rénovation énergétique « tout-en-un » avec une opération de division.

Voilà une maison qui, si elle devait être rénovée, se prêterait aisément à une division en plusieurs logements distincts : pourquoi pas trois habitations mitoyennes ? Photo Laurent Olivès.

Le marché immobilier de seconde main, également appelé « second marché » , et le secteur de la rénovation ont le vent en poupe. Selon la CCW (Confédération Construction Wallonne), il y aurait actuellement plus de 5 000 emplois à pourvoir dans les métiers de la construction et en particulier dans les chantiers de rénovation. Peut-on s’attendre à une revalorisation des études techniques et professionnelles associées au bâtiment ?

Ce serait une excellente conséquence du Stop Béton mais c’est aussi, dès à présent, une des conditions indispensables pour réaliser l’énorme chantier de rénovation annoncé dans la Déclaration de Politique Régionale : « En termes de politique sociale et économique, le Gouvernement prendra les mesures nécessaires afin de soutenir le secteur [de la construction] notamment par la lutte contre le dumping social, la pénurie de travailleurs qualifiés, la poursuite des programmes d’investissements, le soutien à la transition énergétique dont la construction peut être un acteur majeur via l’amplification de la rénovation et du renouvellement du bâti existant ou encore la maîtrise des coûts de la construction » (page 37). « Le Gouvernement adoptera un plan de rénovation des 55.000 logements publics non encore rénovés d’ici 2030, reposant sur des mécanismes administratifs et budgétaires optimisés, permettant une réalisation rapide des travaux. Le Gouvernement finalisera le cadastre des logements publics » (page 50). « Le Gouvernement mettra en œuvre, en concertation avec le secteur, un projet d’isolation et de rénovation de 250.000 logements et 2.500 bâtiments publics et écoles, via notamment un mécanisme de tiers-investisseur et de prêts à taux réduit, impliquant des financements privés et publics, et des intermédiaires pour les logements individuels (AIS, syndics, coopératives privées), mobilisant les filières de formation, associant les secteurs pour éviter le dumping social et favorisant le recours à l’écoconstruction, utilisant des matériaux locaux, respectueux de l’environnement, de la santé et des droits sociaux » (page 58).

Ce ne sont là que quelques extraits choisis dans une DPR où « Le Gouvernement s’engage à faire de la rénovation des bâtiments et de l’efficacité énergétique une priorité régionale majeure » (page 57).

Restaurer : utiliser les gestes justes

Peut-on espérer que cette confiance affirmée dans les vertus de la rénovation conduise à mieux protéger le patrimoine ordinaire et exceptionnel ?

La restauration est une opération délicate qui consiste à reproduire les gestes des artisans-bâtisseurs et des artistes originels pour réparer un objet ou un bâtiment du passé, comme une roue à aubes, un bijou, une peinture, ou un talus de fortifications.

La nIEWs « Le pan-de-bois, c’est comme les abeilles : beau, utile, en danger » (https://www.canopea.be/le-pan-de-bois-c-est-comme-les-abeilles-beau-utile-en-danger/ ) braque par exemple les projecteurs sur une ancienne technique d’assemblage de bois. Le pan-de-bois se compose d’une grille de poutres dont les vides sont remplis avec du torchis ou une maçonnerie. Dans cette paroi, des vides peuvent être réservés pour accueillir portes, fenêtres et autres passages.

C’est un système frugal, inventif et sain, autrefois très répandu dans notre région. Considéré comme un mode de construction modeste, il se repère sur des murs latéraux, des façades arrières, sur des annexes, des bâtiments utilitaires ou dans des cours intérieures, rarement en façade principale. Caché sous des couches de papier peint, le pan-de-bois tient aussi lieu de cloison intérieure dans une infinité de nos bâtiments, des plus urbains aux plus ruraux. Il serait urgent de protéger les spécimens authentiques qui ont résisté jusqu’à aujourd’hui, et de remettre en valeur ce précurseur du mur-rideau.

L’art de réaliser des assemblages entièrement en bois, de rigueur pour restaurer une charpente en chêne du XVIe siècle avec le tour de main de l’époque, est un spectacle en soi. Voici donc, sans vis ni colle :

Parce qu’elle a obéi au fil du temps à des doctrines très divergentes, la restauration des bâtiments a sa propre histoire, Durant le XVIIe et surtout le XIXe siècle, les restaurateurs de monuments cherchaient à reconstituer un état historique certain ou imaginaire, en se servant du bâti en place. C’était la restauration comme l’entendait Eugène Viollet-Le-Duc, qui a fait de Carcassonne une cité pleine de charme pour les touristes en supprimant toutes les maisons qui s’étaient construites contre les vieux murs, dans les boulevards de la forteresse et en redessinant complètement l’apparence de cette dernière.

Au XXe siècle, un principe a émergé en opposition au « faux vieux ». Il s’agissait désormais de montrer l’intervention, pour ne pas tromper le public. En somme, de compléter les parties manquantes ou abîmées d’un monument par un ajout clairement nouveau.

C’est peut-être ce principe qui a guidé l’auteur de l’intervention ci-dessous, un remplacement de garde-corps qui ne manque pas d’audace. Blague à part, ceci n’est pas de la restauration, mais de la modernisation. Et comme toutes les modernisations, elle commence à dater.

Un remplacement de garde-corps qui ne manque pas d’audace.

Pour décoder la balise n°5 du Stop Béton, IEW avait organisé en 2019 à Enghien une visite de terrain consacrée à la restauration et au réemploi des matériaux. Un des participants à ce Décodage, Maxime Gabriel, a rédigé un compte-rendu publié dans Échelle Humaine. Parmi toutes les rues anciennes et les monuments restaurés ou en attente de travaux, il y avait des perles d’architecture ordinaire, notamment cet atelier à la frontière entre Enghien et Herne / Hérinnes (Brabant flamand), sur la chaussée d’Enghien, que je voulais vous montrer en clôture de nIEWs. Bonnes promenades près de chez vous !