« Sauts de puce » aériens: le vernis et les faits

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Chacun(e) se souvient de « l’affaire des sauts de puce ». Fin 2006, le Ministre wallon en charge de la politique aéroportuaire prenait un arrêté interdisant les vols entre les deux aéroports régionaux (Gosselies et Bierset, distants de 80 km). Cette prise de conscience du caractère parfaitement absurde et hautement polluant de la liaison par avion de ligne des deux « pôles de développement économique » wallons trouvait son origine dans la dénonciation d’un cas bien concret.

Deux scientifiques de l’Université de Liège avaient, en octobre 2006, signé une Carte blanche révélant au public ahuri le projet de la société Jet4You qui avait négocié avec les deux aéroports wallons afin de faire escale à Bierset et terminer d’y remplir son Boeing 737-400 à destination de Casablanca ayant décollé quelque minutes plus tôt de Gosselies.

On était là dans un cas d’école choquant, interpellant, mais ne représentant somme toute pas grand-chose par rapport aux émissions de CO2 générées par les vols internationaux (au niveau de la Région wallonne, environ un millième à la grosse louche) et par rapport aux projets d’intensification (on parle d’un doublement) des activités aéroportuaires voulues par le Gouvernement wallon. Il n’empêche, la mesure fut prise. Et la balle renvoyée au niveau fédéral afin qu’un arrêté royal vienne harmoniser les choses à l’échelle de notre petit pays. Le projet d’arrêté fit long feu : le coup ne partit pas, les choses restèrent en l’état.

Dernièrement, le Ministre wallon en charge de la politique aéroportuaire est retourné au charbon. Sous le titre « Sauts de puce : Antoine enrage », la Libre Belgique du 15 décembre 2009 fait état du courrier envoyé par le susnommé aux commissaires européens concernés (Transport, Energie et Environnement) et au Ministre fédéral du Climat et de l’Energie. Le quotidien précise que le ministre wallon considère que l’interdiction des vols de courte distance en Europe « pourrait être un instrument de premier plan pour atteindre les objectifs environnementaux poursuivis depuis de longues années par la Commission ».

Pour louable qu’elle soit, cette initiative nous paraît toutefois appeler quelques commentaires.

 Premièrement, comme mentionné ci-haut, les vols de très courte distance ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan de CO2 associé aux activités aériennes.

 Deuxièmement : à partir de quand un vol peut-il être qualifié de « saut de puce » ? (en 2008, la moitié des destinations desservies au départ de Gosselies étaient distantes de moins de 1.000 km).

 Troisièmement, une action structurelle sur tous les vols aurait de bien plus grands impacts.

 Quatrièmement, deux outils sont susceptibles de mener à une maîtrise de la croissance débridée du secteur : la taxation du kérosène et l’application de la TVA sur les billets d’avion. Nous en faisons mention dans le dossier « Les limites du ciel », téléchargeable ici, une copie papier pouvant être commandé pour la modique somme de 5 euros.

 Cinquièmement, la taxation du kérosène est réalisable dès maintenant au niveau des vols intérieurs et pour les vols entre deux Etats, pour peu que ceux-ci signent un accord bilatéral. En ce qui concerne les vols internes, ceci constituerait un beau substitut à l’interdiction des sauts de puce dont le Gouvernement fédéral a si difficile d’accoucher.

 Sixièmement, une proposition de taxation des vols (à des niveaux bien plus faible que la TVA, pourtant perçue sur les trajets internationaux en train, bus, bateau) faite au niveau fédéral en octobre 2008 a été violemment rejetée par les Régions (la Région wallonne agitant fièrement son panache blanc en première ligne), sous prétexte que cela porterait préjudice à la croissance des aéroports régionaux.

 Septièmement, quand sortira-t-on enfin de cette schizophrénie ?

L’interdiction des sauts de puces (vols à très courte distance) est une chose nécessaire, indispensable, qui « tombe sous le sens ». Mais dont l’impact positif sur l’environnement est très limité. Et qui est complètement inopérante si l’on continue à promouvoir la croissance des vols à longue, moyenne et courte distance.

En interdisant les « sauts de puces » tout en ambitionnant le doublement des activités des aéroports régionaux, la Région wallonne fait un pas dans la bonne direction – et 1000 dans l’autre…