Se passer rapidement du nucléaire est possible (et souhaitable)

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Le week-end du 11 mars, le monde entier a commémoré le triste anniversaire de la catastrophe de Fukushima. Ce tragique évènement a définitivement remis en cause le mythe du nucléaire sûr et a accéléré le déclin de cette industrie qui, faut-il le rappeler, ne représente à l’échelle du globe que quelques pourcents de la production totale d’électricité[[Selon la World Nuclear Association, en 2010, l’électricité d’origine nucléaire représentait 13,8% de la production totale.]]. Cependant, dans notre pays tout comme au Japon, le lobby nucléaire entretient encore certaines peurs présentes chez une partie de la population et notamment celle de l’impossibilité de sortir du nucléaire sans risque de coupures massives d’électricité. Le Japon a pourtant su se passer de ses réacteurs. Comment?

fukumoyen.jpg Peu de temps après l’accident, les compagnies d’électricité japonaises ont lancé une vaste campagne « d’information » pour prévenir la population que, suite à l’arrêt de certains réacteurs nucléaires, l’Archipel risquait à tout moment un blackout. En effet, avant Fukushima, 30 % de la fourniture en électricité du Japon provenait des 54 réacteurs situés sur l’Ile. Depuis la catastrophe, ce pourcentage n’a cessé de diminuer pour tomber, fin janvier, à 3%. Et dans les prochaines semaines, suite à l’arrêt des 2 réacteurs encore en fonctionnement, l’électricité japonaise sera intégralement dénucléarisée[[Au Japon, les réacteurs nucléaires sont arrêtés tous les 13 mois pour être inspectés et ne peuvent être remis en marche qu’avec l’autorisation des autorités locales. Depuis la catastrophe aucune autorisation n’a été délivrée. Les deux derniers réacteurs seront arrêtés en mai pour maintenance.]]. Ce déficit soudain de production a conduit le gouvernement à prendre des mesures pour garantir l’approvisionnement en énergie à la population et aux entreprises. Si les importations de gaz naturel ont augmenté de manière exponentielle pour alimenter les centrales thermiques existantes[[Aucune centrale thermique supplémentaire n’a du être construite pour pallier au déficit de production des centrales nucléaires.]], le gouvernement japonais a également décidé de prendre des mesures en matière d’économies d’énergies.

Ainsi, dès le début de l’été, les Japonais ont vu fleurir dans les espaces publics de grandes affiches incitant aussi bien le citoyen que les industries à économiser l’énergie. Des objectifs conséquents ont été imposés. Les habitants et les entreprises de la région de Tokyo et du Nord-Ouest du Japon ont ainsi reçu pour consigne de réduire leurs dépenses d’électricité de 15 à 25%. La population a alors été invitée à utiliser d’une manière plus rationelle l’énergie, en augmentant de 2C° les climatiseurs, en coupant l’éclairage inutile ou encore en laissant tomber le costume-cravate[[Chaque été, le gouvernement japonais lance l’opération cool-biz qui encourage les Japonais à s’habiller de manière plus légère dans le but de réduire la consommation d’énergie liée aux installations d’air-conditionné.]]. Les entreprises ont quant à elles été conviées à réorganiser le temps de travail avec comme objectif d’éviter les pics de consommation. Ainsi, les usines automobiles ont fermé leurs portes le jeudi et le vendredi pour les rouvrir le weekend ; les bureaux ont ouvert plus tôt… Le résultat a été probant. Alors que la canicule et l’humidité de l’été frappaient le Japon tout entier, la consommation électrique a été réduite de 20% par rapport aux mois de juillet et d’août de l’année précédente. Le visage de Tokyo a évidemment changé : alors que beaucoup ont à l’esprit l’image d’une ville illuminée en permanence par d’énormes écrans publicitaires et des néons aux couleurs criardes, la capitale nippone, plongée dans une douce obscurité qui lui était jusque là peu coutumière, semblait apaisée.

Si certaines de ces actions peuvent sembler a priori dérisoires, c’est bien leur réalisation assidue par l’ensemble de la population qui a permis au Japon de réduire sa consommation aussi drastiquement. Mais au-delà de la réussite de cette politique incitative, le fait le plus marquant est sans doute survenu à la levée de ces mesures d’économie. En effet, lorsque le gouvernement a suspendu les restrictions, la consommation n’est pas repartie à la hausse. Les Japonais ont en effet intégré ces changements et ont appris à vivre un peu différemment sans pour autant y voir un sacrifice pénible.

Néanmoins, le combat contre le nucléaire n’est pas encore gagné. Il devrait se jouer avant l’été, lorsque le pays se préparera aux grandes vagues de chaleur et aux pics de consommation. Car la pression des producteurs d’électricité se fait de plus en plus pressante, sous le forme classique de la menace de blackout, spécialement dans les régions rurales où l’industrie de l’atome est le premier employeur. Mais récemment encore un rapport du ministère japonais de l’économie, du commerce et de l’industrie est venu appuyer la cause des anti-nucléaire. Il prévoit que, même si aucun réacteur ne redémarre pour l’été, il n’y aura pas coupure de courant et il projette même un excédent dans la production d’énergie grâce aux mesures d’économies et au développement du renouvelable.

L’exemple du Japon démontre donc qu’il est possible de se passer de l’atome dans un laps de temps assez court tout en respectant ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre imposés par le protocole de Kyoto[[Les émissions pour l’année fiscale 2011 sont restées identiques à celle de l’année 2010 ; elles ont même légèrement baissé pour la période d’avril à décembre.]]. L’utilisation des deux premiers leviers d’une politique énergétique plus durable, à savoir le changement comportemental et l’utilisation rationnelle de l’énergie, permettent de réduire significativement et rapidement la consommation d’énergie.
Cette réussite japonaise fait écho à deux études récentes sur la sortie du nucléaire en Belgique. La première réalisée par le bureau Climact pour Greenpeace et le BBL, montre que la Belgique peut se passer d’un, voire de deux des trois plus anciens réacteurs nucléaires rien qu’en adoptant des mesures d’économie d’électricité. La seconde portée par le nouveau co-président d’Écolo alors chef de groupe Écolo-Groen à la Chambre, Olivier Deleuze, confirme la possibilité technique de fermer les trois plus anciens réacteurs en 2015 en profitant des économies d’énergie et des installations de production récentes ou à venir. Ces deux rapports confirment donc qu’il est possible de respecter la loi de sortie du nucléaire[[Cette loi votée en 2003 prévoit de fermer les 3 plus anciens réacteurs (Tihange 1, Doel 1 et Doel 2) en 2015 pour arriver à une sortie définitive et progressive du nucléaire en 2025.]] en développant les énergies renouvelables et en incitant les citoyens et les entreprises à réduire leur consommation énergétique.

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