Soigner oui ! … mais sans intoxiquer l’environnement

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La pharmacovigilance permet d’investiguer les effets indésirables des médicaments sur les humains ou les animaux qui les consomment. Si c’est une pratique bien établie, ce n’est que récemment (dans l’histoire de la médecine) qu’on s’intéresse aux effets des substances pharmaceutiques libérées dans l’environnement. Health Care Without Harm Europe lance une campagne pour appeler les décideurs européens, les professionnels de la santé et les citoyens à agir contre cette pollution environnementale.

Le marché pharmaceutique a connu une forte croissance ces dernières décennies et on trouve aujourd’hui plus de 3000 ingrédients pharmaceutiques actifs (IPA) autorisés sur le marché européen. L’Européen est le deuxième plus gros consommateur de médicaments après l’Américain même si la consommation moyenne varie par Etats membres : entre 50 et 150 gramme par an et par habitant. Les rejets des unités de productions pharmaceutiques sont strictement réglementés et les résidus émis dans l’environnement sont considérés comme négligeables même si des pollutions ponctuelles ne sont pas à exclure. La voie principale de rejet dans l’environnement est la consommation de médicaments dont une partie des molécules actives sont excrétées par voies naturelles. Des recherches établissent ce rejet entre 30 et 90% de la dose administrée, et ce pour les médicaments humains et vétérinaires. Une autre voie de pollution est l’excédent d’aliments donnés en aquaculture contenant des substances médicamenteuses et retrouvés dans les sédiments marins[[Persistence and Stability of Teflubenzuron and Diflubenzuron When Associated to Organic Particles in Marine Sediment https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26662043]] . Par ailleurs, de nombreux citoyens élimineraient encore leurs médicaments périmés ou non utilisés simplement en tirant la chasse des toilettes. On estime qu’en Europe 50% des produits pharmaceutiques non utilisés ne sont pas collectés par des circuits appropriés. Consommés ou non, des résidus de nombreux produits médicinaux se retrouvent in fine dans nos eaux usées, dans les eaux de surfaces et souterraines, dans les sols ou encore dans les organismes vivants.

Le comportement des substances actives dans l’eau ou le sol dépend de nombreux facteurs propres à la nature de la molécule et aux conditions de dégradation. Ainsi l’Ibuprofen (anti-douleur très répandu) serait relativement bien dégradé (de 60 à 96%) dans les stations d’épuration tandis que la Carbamazepine (anti-épileptique et psychotrope) est beaucoup plus persistante.

Si on peut détecter des substances actives (à condition de les chercher…), il est beaucoup plus difficile d’étudier leurs impacts à moyen et long terme dans l’environnement. Mais il est certain que leur simple présence et leur persistance impacte les écosystèmes. Les exemples sont nombreux comme la présence d’estradiol qui affecte la reproduction des poissons. A plus long terme, l’exposition chronique à faible dose d’antibiotiques, anti-fongiques ou autres molécules anti-cancer, diminuerait leur efficacité à combattre des agents ou cellules qui nous rendent malades en favorisant leur résistance. On estime que d’ici 35 ans, 300 millions de morts prématurées pourraient survenir en conséquence de la résistance aux antimicrobiens[[Review of antimicrobial resistance (février 2015) – https://amr-review.org/sites/default/files/Report-52.15.pdf]].

Ces préoccupations ne sont pas neuves mais les données font souvent défaut pour avoir une vue globale et comprendre les effets des substances médicinales dans l’environnement et leur interaction avec les écosystèmes. Une étude parue en 2013 pour le compte de l’Agence exécutive pour les consommateurs, la santé et l’alimentation dressait un état de lieux du sujet et pointait une série de facteurs législatifs et non-législatifs influençant les émissions de produits pharmaceutiques dans l’environnement. Elle recommandait entre autre de rendre les résultats des évaluations des risques pour l’environnement plus contraignants dans le processus d’autorisation de mise sur le marché des médicaments. S’ajoute à ce constat que le problème que ces analyses de risques ne prennent pas en compte l’effet cumulatif des molécules actives dans l’environnement.

De nombreuses études s’intéressent aux impacts de molécules pharmaceutiques. Aussi une nouvelle base de données établie par l’agence fédérale allemande à l’environnement (UBA) compile les résultats de centaines de publications et montre le caractère ubiquiste de certaines molécules.

La campagne SaferPharma vise à remettre ce sujet à l’agenda européen. Une pétition pour rappeler à la Commission la hauteur des enjeux et demander une action immédiate. Pour rappel, en 2013, la Directive « NQE[Directive 2013/39/UE modifiant les directives 2000/60/CE et 2008/105/CE en ce qui concerne les substances prioritaires pour la politique dans le domaine de l’eau]] » avait été révisée. En plus de renforcer les normes pour certaines des 33 substances couvertes par la législation, la nouvelle directive incluait 12 nouvelles substances sur la liste des substances prioritaires ayant un impact sur la qualité de l’eau et proposait la création d’une «watch list» afin de surveiller et de collecter des informations sur les nouveaux polluants. Trois médicaments suscitant des inquiétudes (à savoir le Diclofénacle [[diclofénac est un anti-inflammatoire non-stéroïdien très répandu (par exemple dans le Voltaren®)]], 17 alpha-ethinylestradiol et 17 beta-estradiol) ont été placés dans cette première « watch list ». Dans la foulée, la commission avait promis de développer une « approche stratégique de la pollution des eaux par les substances pharmaceutiques » pour la fin 2015. Or, aujourd’hui peu d’actions ont été entreprises. Dans ce dossier, on pointera d’ailleurs l’attitude schizophrène de la Commission qui, au-delà des annonces, est [incapable d’adopter une position forte sur les perturbateurs endocriniens.

SaferPharma s’adresse également à différents publics : entreprises pharmaceutiques, médecins et citoyens. De la conception de la molécule à son élimination, en passant par sa prescription, chacun peut agir pour réduire l’exposition aux résidus médicamenteux.

En Wallonie, riche de son « or bleu », le sujet est investigué via deux études dont on attend impatiemment les résultats complets. La première, IMHOTEP[[Projet de recherche mené par la SWDE pour le SPW http://www.greenwin.be/fr/news/consult/113]] (pour Inventaire des Matières Hormonales et Organiques en Traces dans les Eaux Patrimoniales et Potabilisables), inventorie et dose des substances dites « émergentes » et principalement les traces de médicaments à usage humain et vétérinaire dans les eaux (de surface, souterraine, de distribution, effluents de STEPs…). La seconde, BIODIEN[[Projet de recherche mené par la SWDE, l’Issep, le CRA-W http://www.issep.be/biodien/]] (pour Bioassay Disruptor Endocrinien), complète IMHOTEP en se focalisant sur les perturbateurs endocriniens. Verdict en 2017 !

Sans remettre en cause l’utilité et les bénéfices des avancées pharmaceutiques et pharmacologiques, l’enjeu est bien de développer une approche préventive et globale plutôt que de « traiter » l’environnement pour le rendre moins toxique. L’épuration de l’eau et la décontamination des sols ont un coût non négligeable. Il serait temps de considérer les coûts environnementaux payés par le consommateur et le contribuable dans les politiques de santé et davantage résister au chant des sirènes du lobby pharmaceutique.

Gaëlle Warnant

Économie Circulaire