Soutien énergétique à l’industrie : équilibrer un système qui pénalise ménages et indépendants

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Depuis plusieurs années, le Gouvernement wallon soutient l’industrie via des réductions de facture énergétique. Au fil des ans, ces réductions, financées par un accroissement équivalent de la facture des autres consommateurs, ont cru pour atteindre 186 millions d’euros pour l’année 2017. Et les discussions vont bon train au niveau politique pour mettre en place de nouvelles réductions de facture énergétique pour l’industrie. Les signataires de ce texte appellent à mettre, de manière transparente, l’ensemble des données sur la table. Il est primordial de viser une répartition équitable du financement de la transition énergétique entre tous les acteurs.

Actuellement, le soutien à l’industrie wallonne passe principalement par des accords sectoriels, aussi appelés « accords de branche ». En vertu de ces accords, les industriels s’engagent à réaliser des investissements économiseurs d’énergie qui sont rentabilisés en moins de 5 ans. Les pouvoirs publics, quant à eux, garantissent deux choses : premièrement, une diminution des coûts de l’énergie pour ces acteurs ; deuxièmement, ils s’engagent à n’imposer aucune autre contrainte d’efficacité énergétique aux acteurs concernés.

Dans les faits, ce deal est très intéressant pour les industriels : ils bénéficient d’un soutien d’environ 3€ pour chaque euro qu’ils investissent de manière rentable dans les économies d’énergie. Et ils sont immunisés de toute nouvelle réglementation énergétique pendant la durée des accords sectoriels. Malheureusement, il n’y a pas que des gagnants. Les montants offerts par les pouvoirs publics sont in fine payés par les autres consommateurs d’électricité.

En 2017, les exemptions dont ont bénéficié les industriels via les accords sectoriels ont battu tous les records des années précédentes. Elles se sont élevées à 186 millions d’euros. Soit 107 millions pour les exemptions de financement des certificats verts et 79 millions pour l’exemption de surcharge ELIA .

Le coût de ces avantages accordés à l’industrie s’est répercuté sur les autres consommateurs. Soit les consommateurs résidentiels, les indépendants et petites entreprises. Il en résulte pour ceux-ci une surcharge, qui peut être estimée à 50 euros par an pour une consommation type de 3.500 kWh/an. Ce soutien à l’industrie est imputé sur sa facture sous la partie « contribution énergie verte » et « frais de transport ».

La justification avancée pour accorder ces avantages aux industries est la protection de la compétitivité. En d’autres termes, il s’agit d’éviter une délocalisation des activités ou des investissements causée par des coûts énergétiques comparativement plus élevés chez nous. Si cette préoccupation peut-être, dans certains cas, légitime, force est de constater que les entreprises choisissent aussi de délocaliser pour beaucoup d’autres raisons : optimisation fiscale, législation sociale et salaires plus faibles, normes environnementales plus laxistes, etc.

La réponse à apporter à ces motifs de délocalisations devrait être plus large qu’un simple subventionnement énergétique. Par ailleurs, parmi les entreprises bénéficiaires de réduction de facture énergétique, on trouve actuellement des entreprises pour lesquelles les risques de délocalisation paraissent très faibles. On voit mal Spa Monopole, les eaux de Chaudfontaine ou la bière de Chimay se faire embouteiller hors de Wallonie pour réduire de manière infime la facture énergétique de leurs produits, fortement liés au terroir. D’autres exemples peuvent montrer que le ciblage est actuellement bien plus large que nécessaire pour éviter les délocalisations pour cause de coût énergétique.

Il faut par ailleurs noter l’accroissement rapide du montant des exemptions pour l’industrie. Au point qu’il semble aujourd’hui sortir de la légalité. Lors de la mise en place des exemptions, le législateur avait prévu de plafonner celles-ci, pour éviter un report excessif du financement des énergies renouvelables de l’industrie vers les autres consommateurs. Ainsi, les exemptions industrielles ne peuvent, légalement, dépasser 22,5% du total des certificats verts à financer. En 2017, ce plafond semble avoir été dépassé, avec 22,75% d’exemptions pour les industries, selon une analyse préliminaire de la Cwape. Et si l’on considère ensemble les deux modes de soutien aux énergies renouvelables, à savoir la contribution « certificats verts » et la surcharge ELIA, les exemptions industrielles ont même représenté 32% de l’ensemble du soutien aux énergies renouvelables en 2017. Assurément, l’esprit de la loi est bafoué par ces exemptions qui font porter l’essentiel du financement de la transition énergétique sur les épaules des ménages et des indépendants.

Et les choses pourraient s’empirer si certaines orientations proposées étaient suivies : selon la Task Force Ernst (où les industriels étaient bien représentés), les 236 entreprises soumises à des accords sectoriels ne contribueraient au maximum que pour 2500 €/an chacune à la nouvelle taxe proposée. Soit une contribution d’à peine 590.000 euros par an pour l’industrie sur un total de 133 millions d’euros annuels à collecter chez l’ensemble des consommateurs à travers cette taxe. Dans ce modèle, moins d’un demi-pourcent du coût de la transition énergétique serait pris en charge par l’industrie, qui représente pourtant un gros tiers de la consommation électrique wallonne. Et 99,5% du coût serait porté par les citoyens et les petites entreprises…

A cela s’ajouterait encore la mise en place d’un tarif énergétique préférentiel généralisé pour l’industrie, projet actuellement discuté au niveau fédéral. Là encore, la diminution pour l’industrie serait immanquablement répercutée en hausse pour les autres consommateurs. Sans oublier le nouveau mécanisme de soutien à l’industrie wallonne approuvé par le gouvernement wallon, qui prévoit des « compensations » au prix du carbone européen pour les industries. Et malheureusement, ces projets n’impliquent pas de contrepartie de la part des industriels pour améliorer leur efficacité énergétique, contrairement aux accords sectoriels.

Financer la transition énergétique est une urgence impérative au niveau climatique, comme l’été torride de cette année vient de nous le rappeler. C’est aussi une urgence pour remplacer un parc de production vieillissant et assurer une sécurité d’approvisionnement optimale. Il importe dès lors que tous les acteurs contribuent à ce défi de société. L’effort ne peut reposer que sur une partie des consommateurs. Un débat transparent doit être mené sur une répartition équitable des coûts liés à la transition énergétique, et les éventuelles mesures de soutien et exemptions à l’industrie doivent être attribuées de manière ciblée et restreinte. Car au final, ce n’est pas en diminuant de manière large le coût de l’énergie pour les entreprises qu’on les encourage le mieux à utiliser celle-ci avec parcimonie.

Carte blanche publiée dans le journal Le Soir
Par Céline Tellier, Secrétaire générale adjointe Inter-Environnement Wallonie et Jean-Philippe Ducart, Head public affairs and media relations Test Achats.