« Sur la tête de mes enfants ! »

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Assénée avec une instantanéité et une conviction surjouée traduisant l’espoir désespéré de crédibilité dont elle était investie, la réplique provoqua un tel séisme dans ma somnolence matitudinale que la gorgée de café transitant à cet instant entre la porte de ma luette et mon œsophage perdit le contrôle de sa course et quitta son itinéraire digestif pour s’engouffrer dans une voie respiratoire dont elle fut expulsée sans ménagement.
Résumé exécutif : l’énormité proférée était telle que j’en avalai de travers.

Nous étions un matin comme trop d’autres. J’entrais précautionneusement dans ma journée en écoutant la radio avec une attention modulée sur les propos de « L’Invité » de La Première lorsque l’événement survint. Conscient de l’acuité très relative de mon esprit en ces premières heures post-réveil, je commençai par mettre en doute la réalité de ce que j’avais cru percevoir. Peut-être rêvais-je, voire hallucinais-je… Tout en évaluant les dégâts occasionnés sur ma chemise par le clash caféiné dont je venais d’être victime, je décidai donc d’interroger la paire d’oreilles dressées de l’autre côté de la table du petit-déjeuner pour savoir ce qu’il en était. Et sa propriétaire m’assura que non, je n’avais pas rêvé ; oui, les paroles à l’origine de mon cataclysme interne avaient effectivement été prononcées.
Ainsi, ce matin-là[[« L’Invité » de Matin-Première, RTBF Radio, 23/09/2013]], Vincent De Wolf, bourgmestre d’Etterbeeck, chef de groupe MR au parlement de la Région de Bruxelles-Capitale et « Invité » de La Première venait bel et bien d’effectuer ce que j’assimilais à un saut en chute libre dans le vide politique.

Flash-back.
Bertrand Henne, journaliste aux manettes de l’entretien: « Le plan sur l’emploi à Bruxelles, est-ce que c’est une réponse à la popularité croissante de Didier Reynders dans les sondages ? On sait que vous êtes tous les deux candidats pour être Ministre-Président alors, dès que vous proposez une idée, on peut voir comme une réponse du berger à la bergère… »
Vincent De Wolf : « Cela, c’est une diabolisation journalistique qu’on peut comprendre mais je peux vous jurer sur la tête de mes enfants que moi je suis dans mon travail avec le groupe, on a fait le programme, on avance bien, on fait notre boulot, donc ça n’a rien à voir avec le fait que Didier soit légitimement candidat par ailleurs vu sa notoriété et son importance en Belgique. »

Ne me dites pas que rien vous choque…

Non, je me fous de l‘évocation d’une « diabolisation journalistique » ; cela fait belle lurette que la posture n’est plus sous label lepéniste.

Allez, sans blague… Ho !?!?

« Je peux vous jurer sur la tête de mes enfants … » : cela ne vous fait pas bondir ? Un homme politique de dimension nationale qui en arrive à mobiliser ce serment de mari trompeur et de bonimenteur de bazar pour espérer être cru, cela ne vous chipote pas l’intellect ? Cela ne vous interpelle pas sur le niveau de confiance qui subsiste entre le peuple et ses élus?

Qu’on ne vienne surtout pas me dire que « c’est purement anecdotique » et qu’ « il n’y a pas de quoi en faire un événement ni même une chronique » ! Je pense au contraire que c’est tristement emblématique et, dès lors, terriblement inquiétant. Car si cette saillie constitue un « dérapage individuel », elle n’en témoigne pas moins du niveau zéro atteint par le discours politique tant dans sa forme que sur son fond. Il faut en effet ne plus croire tant soit peu en ce que l’on dit et en la capacité de convaincre sur sa bonne foi et/ou ses convictions pour recourir à pareil procédé. Et que la démarche relève de l’inconscient – ce qui est plus que probable – atteste davantage encore de la profondeur du malaise : naturellement, instinctivement, le poids de la parole d’homme politique est apparu insuffisant pour crédibiliser le propos…

Jadis porteurs de modèles économiques et sociaux clairement identifiés, défenseurs d’idéaux et de valeurs parfois antagonistes mais toujours assumés, architectes d’une société à l’édification de laquelle leur action était vouée, les « politiques » se positionnent aujourd’hui comme de simples gestionnaires de crises sur les fondements desquelles ils ne semblent avoir aucune prise. Hormis l’identité idéologique de « l’autre bord », repoussoir désigné comme responsable de tous les maux, quasiment plus rien ne les distincte. Tous apparaissent condamnés à jouer une même partition avec pour seule marge de manœuvre leur conduite d’orchestre : un peu plus de graves sociales pour les uns ; un peu moins d’aigües fiscales pour les autres ; la retenue des cordes éthiques pour les troisièmes ; la mise en avant des percussions sécuritaires pour les derniers. In fine, c’est toujours la même musique que l’électeur entend… sans que cela ne soit jamais assumé, bien au contraire, sur le programme qui lui est vendu. Comment s‘étonner dès lors qu’il ne croit plus en la parole de ceux qui le gouvernent et que ceux-ci doivent recourir à des artifices de plus en plus inconséquents – « sur la tête de mes enfants… » – pour tenter de le convaincre ?

Le plus préoccupant dans l’histoire, c’est que, lassé d’entendre toujours le même morceau dont les interprétations variées virent à la cacophonie, ledit électeur risque de se laisser séduire par n’importe quelle autre rengaine d’autant plus agréable à ses oreilles qu’elle sera extrême(ment) simple et entraînante…

Je m’en voudrais de conclure sans avoir rassuré Emilie, Sophie et Amandine De Wolf : ne vous en faites pas, les filles, vous ne risquez rien. C’est vrai, votre papa a dit un grrrrooooooooos mensonge l’autre matin à la radio en jurant sur vos têtes mais il vous aime et avait donc pris soin de croiser les doigts avant de vous livrer en gage de sa bonne foi. Enfin, j’espère.

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