Sûreté ou insécurité nucléaire? L’affaire du Tricastin ravive les inquiétudes

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Les incidents nucléaires à répétion survenus en France ces dernières semaines soulèvent de nombreuses questions à l’heure où plusieurs pays européens semblent prêts à (re)faire le choix de l’atome.

La nuit du 7 au 8 juillet dernier, sur le site de l’entreprise Socatri dans le Tricastin[[Pour plus d’informations sur l’affaire du Tricastin et la situation du nucléaire en France, consultez le site du Réseau « Sortir du nucléaire »]], quelque 74 kgs d’uranium ont été accidentellement répandus dans l’environnement. Ils se sont retrouvés dans le Rhône et il est probable qu’une partie se soit fixée sur les sédiments du fleuve.
Cet incident a été classé de niveau 1 (simple « anomalie »)[[86 incidents de ce type ont eu lieu en France en 2007 pour une dizaine en Belgique]]. Cependant, en se référant aux documents produits par les autorités elles-mêmes, on s’aperçoit qu’il s’agit au moins d’un « incident grave » de niveau 3 (« Très faible rejet avec exposition du public en deçà des limites prescrites »).

Lors de cet incident, l’exploitant a prévenu tardivement les autorités et n’a vraiment pris connaissance de l’importance du rejet qu’une demi-journée plus tard. La quantité exacte d’uranium rejeté a d’ailleurs fait débat les jours suivants l’accident : 360 kgs comme il avait été initialement annoncé, ou 74 kgs, chiffre revu à la baisse sans explication ?

Il faut en outre savoir que la Socatri avait été récemment sommée de prendre des mesures suite à une série de dysfonctionnements et de négligences humaines constatées par l’Agence de sûreté nucléaire (ASN), autorité française de contrôle des installations nucléaires. Mais l’ASN est dominée par le lobby du nucléaire et depuis deux ans hors du contrôle du gouvernement français ou de ses assemblées élues[[Notons qu’en France, les pouvoirs publics sont globalement pro-nucléaires. Toutefois, la question de la responsabilité se pose avec acuité: qui assurera les dégâts lors d’un accident grave? L’Etat, alors que celui-ci n’a plus autorité sur le secteur?]] ; ses moyens de pression sur les industriels sont donc faibles[[L’ASN a ainsi été obligée de s’incliner face à la décision d’EDF de prolonger jusqu’à 40 ans la durée de vie des réacteurs nucléaire. Pourtant, l’ASN avait « imposé » (!) une décision au cas par cas en fonction des 3èmes visites décennales…]].

Un nouvel incident (accident?) a eu lieu une semaine plus tard sur ce site du Tricastin.
Une centaine d’employés de la centrale ont été victimes de la fuite de radio-éléments hors d’un tuyau dans le bâtiment d’enceinte du réacteur numéro 4, à l’arrêt pour maintenance. Rapidement, l’ASN a classé l’affaire en niveau 0, correspondant à un simple « écart » sur l’échelle de mesure internationale INES.[[L’échelle INES comporte 8 niveaux, allant de 0 à 7 (par ordre croissant de gravité).
Niveau 0: écarts par rapport au fonctionnement normal, n’ayant aucune importance en termes de sûreté. Plusieurs centaines d’événements chaque année (842 incidents en 2007, 817 en 2006 en France).
Niveau 1: anomalie en raison d’une défaillance de matériel, d’une erreur humaine ou d’une insuffisance dans l’application des procédures. 86 incidents en 2007, 114 en 2006 en France.
Niveau 2: contamination humaine à l’intérieur du site et « défaillances importantes des dispositions de sécurité ». Un événement recensé, en 2004, en 2005 et en 2006 en France.
Niveau 3: « Très faible » rejet avec exposition du public en deçà des limites prescrites, contamination grave sur la santé d’un travailleur. « Accident évité de peu », avec un défaut des barrières de sécurité. En France, deux cas répertoriés, en 1981 et en 2002.
Niveau 4: Rejet « mineur », avec exposition du public de l’ordre des limites prescrites. A l’intérieur du site, endommagement important du coeur du réacteur et des barrières radiologiques, exposition mortelle d’un travailleur. Un seul cas enregistré en France: l’endommagement en 1980 du réacteur A1 de la centrale de Saint-Laurent.
Niveau 5: Rejet limité, mais endommagement grave du réacteur, des barrières radiologiques. Aucun cas en France. Aux Etats-Unis en 1979: fusion partielle du réacteur à Three Mile Island.
Niveau 6: Rejets importants. Aucun cas en France. Un accident en URSS en 1957.
Niveau 7: Rejets majeurs avec effets étendus sur la santé et l’environnement. Aucun cas en France. A l’étranger: l’explosion du réacteur 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl en Ukraine en 1986.]]
Les syndicats dénoncent toutefois une dégradation de la maintenance dans le secteur nucléaire, dégradation due entre autres au recours accru à la sous-traitance. Contrats de courte durée, personnel moins bien formé, délais d’intervention raccourcis, la pression est de plus en plus forte sur ces entreprises.

En Belgique, l’autorité de contrôle, l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) est placée sous l’autorité conjointe des Ministres de l’Intérieur et des Finances qui délèguent un commissaire du gouvernement au conseil d’administration. Sur ce point, la situation diffère donc de celle rencontrée en France et les pouvoirs publics gardent la responsabilité de ce poste stratégique. Malheureusement, les risques d’incidents et d’accidents n’en sont pas moindres pour autant. Car ici aussi, le recours aux sous-traitants est devenu monnaie courante. Et chez nous également, les syndicats dénoncent la dégradation de la qualité de maintenance et l’augmentation des risques pour le personnel que cette pratique génère. Cela est d’autant plus inquiétant que le vieillissement des infrastructures multiplie les probabilités d’incident/accident…

Sans même évoquer la problématique des déchets radioactifs, cette situation démontre que le nucléaire est loin d’être une énergie « sûre ». Et, contrairement à ce que certains se plaisent à déclarer, il n’est pas non plus « propre » : une importante quantité de CO2 est en effet émise lors de la construction des centrales et de la production du combustible destiné à leurs réacteurs.

Par ailleurs, comme pour le pétrole, la question de l’approvisionnement se posera à moyen terme. Selon un rapport de l’Energy Watch Group, à consommation égale, les réserves d’uranium assurent une exploitation aisée pendant encore 25 ans. Ensuite, les choses se compliqueront et les réserves devraient de toutes façons être épuisées vers 2060. Bien plus tôt si les nombreux projets de centrales en gestation voient le jour…[[Projets soutenus par le Président Sarkozy. La France et son entreprise Areva font partie des plus grands acteurs mondiaux du secteur.]]

Tout cela atteste que le nucléaire ne constitue en rien une solution d’avenir et que notre sécurité énergétique, environnementale et sanitaire passera par d’autres voies, des voies dans lesquelles il est grand temps de s’engager avec détermination au lieu de s’obstiner/s’enfermer dans le dangereux cul-de-sac atomique.