Surpoids, aménagement du territoire et publicité : regard d’une gynécologue…

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Une fois n’est pas coutume, je vous propose aujourd’hui le regard de Camille Olivier, gynécologue obstétricienne au Centre Hospitalier Universitaire Brugmann, sur son contexte professionnel (l’accompagnement de femmes enceintes en surpoids, notamment) et les liens à faire avec nos choix de société… Et qui pose notamment la question de l’opportunité d’installer des panneaux publicitaires jusque dans les bassins de natations.

Camille, pourriez-vous nous expliquer, en quelques mots, votre quotidien ?

Mes journées sont remplies par les consultations, les échographies et la salle d’accouchement. Je m’occupe principalement des femmes enceintes et notamment de celles qui présentent des grossesses à risque. « A risque » signifie à risque pour la mère et/ou pour le futur bébé. Travaillant dans un hôpital universitaire, je m’occupe aussi de formations, de réalisations de protocoles, de questions d’organisations du service, etc.

Vos patientes ont-elles un profil particulier ?

En tant que médecin senior, je suis les grossesses à haut risque (risque d’accouchement prématuré, retard de croissance, maladies chroniques maternelles, etc.). Je fais une consultation de diabétologie une fois par semaine, je suis donc amenée à voir un peu plus souvent des patientes obèses. Ma principale spécificité c’est le diabète, avec deux populations un peu différentes : la première a un diabète préexistant, de type 1 ou de type 2, qui expose à des complications sévères pendant la grossesse ; raison pour laquelle il faut absolument voir les patientes avant qu’elles ne débutent leur grossesse. On pense aujourd’hui que le diabète de type 1 est lié à des facteurs génétiques ainsi qu’à des facteurs environnementaux. La deuxième population présente un diabète gestationnel, qui apparaît pendant la grossesse, et qui a un lien très clair avec l’obésité. Globalement, au moins 80 à 90% des patientes que je suis pour le diabète présentent un surpoids. Le surpoids a une définition très précise : c’est quand l’indice de masse corporelle (poids en kg / taille (en mètre)2 ) est supérieur à 25. Or ce surpoids est loin d’être anodin pendant la grossesse. Il augmente les risques de complications pour la maman : le diabète gestationnel, l’hypertension artérielle, l’accouchement prématuré et puis les risques de complications à l’accouchement car celui-ci est plus difficile, le travail est plus long, il y a plus de césariennes. Il y a de nombreux risques pour le bébé aussi : les fausses-couches à répétition, les malformations fœtales, qui sont plus nombreuses et plus difficiles à diagnostiquer, etc. C’est plutôt des grossesses qu’on considère à haut risque. Les bébés nés de patientes obèses, surtout si elles présentent un diabète déséquilibré pendant la grossesse, ont plus de risques de développer un syndrome métabolique. On voit vraiment ici l’importance des facteurs épigénétiques : l’alimentation, le poids de la maman, et les facteurs environnementaux au sens large, jouent sur le métabolisme du fœtus.

Ces risques sont-ils bien connus des futures mamans ?

Non. Nous constatons que beaucoup de nos patientes, qui viennent d’une population défavorisée, ne sont pas suivies par un médecin généraliste. L’accès financier à ce suivi est probablement une des raisons, mais c’est aussi une question de mentalité. Pour les jeunes femmes, ça n’est pas un problème d’être en surpoids. Ce message ne passe pas, il y a un manque de discours et d’informations sur les problèmes liés à l’obésité. Du coup les patientes n’ont pas le sentiment que c’est grave. Bien que les messages de sensibilisation au fait de manger 5 fruits et légumes par jour et sur le fait de pratiquer une activité physique sont plus présents aujourd’hui, ils ne sont pas encore connus des patientes. Cela semble être la base, mais c’est pourtant une information que les patientes n’ont pas.

Elles viennent donc nous voir en début de grossesse, mais on sait qu’après cette période elles ne seront plus suivies. Le temps de la grossesse est donc particulièrement important car c’est là qu’on va détecter soit un diabète préexistant, soit un diabète de grossesse, soit de l’hypertension et il va falloir qu’on réussisse à les motiver suffisamment pour qu’elles continuent à se faire suivre après la grossesse et qu’elles continuent à entendre les conseils que nous leur avons donnés – et à les appliquer.

L’accompagnement pendant la grossesse permet-il de « rectifier » le cap ?

Oui, bien sûr, il n’est jamais trop tard. Cependant, c’est une période très courte pour modifier les habitudes alimentaires. Le point positif, c’est que la période de la grossesse est favorable aux changements.
Mes patientes doivent trouver le temps de préparer à manger, même si elles n’ont pas l’habitude de cuisiner au quotidien. Elles doivent réapprendre à manger équilibré, à y trouver du plaisir. Une consultation avec une diététicienne quand elles sont en surpoids et avec un diabétologue, quand elles ont un diabète gestationnel, les aident beaucoup. Le suivi rapproché que nous mettons en place est très motivant.

En plus de la question de l’accès à une alimentation équilibrée, il y celle de l’activité physique…

La sédentarité a augmenté. Ce n’est pas nouveau mais c’est aujourd’hui qu’on en voit les conséquences de manière importante. Et ce qu’on découvre c’est que ça risque d’être exponentiel : les enfants qui naissent dans ces contextes familiaux ont plus de prédispositions. On a un peu l’impression que cette vague de surpoids dans la population ne va plus s’arrêter.
Comme pour l’alimentation, je me rends compte que beaucoup de patientes ne pratiquent pas d’activités physiques. Si on veut permettre le déplacement d’une population handicapée ou âgée, il faut prévoir des infrastructures comme les escalators ou les ascenseurs. Mais il faudrait presque apprendre à la population à ne pas s’en servir, à monter les escaliers et en profiter pour faire de l’activité physique. Quand les patientes viennent nous voir en début de grossesse, elles ne savent pas quelles activités elles peuvent pratiquer, celles-ci sont nombreuses. Marcher, se promener en forêt, nager en sont quelques exemples.

Pour vous, quelles mesures devraient-être mises en place, ou renforcées, pour changer cette situation ?

Ça n’est pas évident. En dehors de l’éducation des enfants. Je crois qu’un accompagnement renforcé constituerait un plus : avoir une visite annuelle chez le médecin généraliste, avec une surveillance du poids, de la tension, de la glycémie. Cela éviterait que les patientes soient perdues dans la nature : dans la petite enfance, le suivi régulier est assuré en même temps que le programme de vaccination. Mais une fois ado et jeune adulte, en général il n’y a pas besoin de consulter. Et c’est là que le surpoids, les mauvaises habitudes s’installent, et c’est plus compliqué de rattraper les choses par après. Finalement, c’est plus facile de prévenir le surpoids et l’obésité que de modifier les pratiques et les mauvaises habitudes alimentaires quand elles sont installées. Les conseils que je donne à mes patientes sont assez simples : marcher 30 minutes au moins trois fois par semaine, faire trois repas par jours à des heures à peu près régulières, manger des fruits et légumes (en insistant surtout sur les légumes !). Et pourtant, aussi simples qu’ils soient, ils paraissent déjà compliqués à réaliser pour certaines patientes. Parfois, leurs horaires sont complètement décalés, elles ne mangent pas le matin car elles n’ont pas faim, parfois elles sautent des repas. C’est très difficile de faire changer ces habitudes.

On pourrait envisager d’autres options aussi : rembourser les consultations chez les diététiciennes quand l’indice de masse corporel est supérieur à 25 ou 30. Ou des choses plus simples : avec les applications internet, il est possible d’être suivie de plus près et d’être encouragée quotidiennement. Pendant la grossesse, je vois les patientes tous les mois pendant 6 mois, parfois toutes les semaines. Si on fait attention à elles, si on les incite à manger mieux, à bouger un peu plus, les résultats sont là. Mais il faut être présents, arriver à les convaincre. Puis, quand elles commencent à sentir la différence, ça aide aussi.

J’ai des patientes qui arrivent à des résultats impressionnants: récemment, une future maman est venue nous voir en consultation car elle avait été étiquetée « diabète de type 2 ». Nous avons arrêté son traitement par voie orale et avons observé pendant deux semaines l’évolution de sa glycémie, avec en parallèle un accompagnement de la diététicienne pour rééquilibrer son alimentation. 15 jours après, sa prise de sang était normale, sans recours aux médicaments, simplement parce qu’elle a changé sa manière de manger : trois repas par jours, boire de l’eau (et supprimer les sodas et les jus), manger des légumes, etc. Elle illustre parfaitement le fait qu’on peut éviter certains diabètes en faisant des choses simples et sans médicaments.

Au-delà de l’éducation, vous voyez aussi d’autres éléments ?

Oui, dont un exemple qui m’a choquée récemment : j’ai été avec mes filles à la piscine, et en nageant je découvre qu’un écran publicitaire a été installé dans la piscine. Il était pile en face de moi pendant que je faisais mes longueurs, avec de la pub pour Pepsi – des filles superbes en maillot sur une plage – qui alterne avec la pub pour le restaurant d’à côté qui fait de la fondue savoyarde. C’est insupportable. Comme tout écran ça attire le regard, j’ai eu dur de m’en détacher – et je ne parle pas de mes filles qui étaient collées à l’écran. C’est complètement anormal comme situation ! Les panneaux publicitaires permanents, c’est un souci, ça incite énormément. Quelqu’un qui est gourmand, qui a du mal à faire attention, s’il passe devant un écran publicitaire il va plus facilement aller s’acheter à boire ou à manger. Pour moi les publicités partout dans la ville, c’est quelque chose qu’il faudrait supprimer, c’est infernal.

La localisation des grands supermarchés joue aussi beaucoup. Aujourd’hui les magasins sont concentrés dans les mêmes zones, souvent excentrées, qui obligent à prendre sa voiture pour faire ses courses. On a perdu la démarche d’aller faire son marché à pieds, de rencontrer l’artisan qui a fait pousser ses légumes et qui t’explique comment les préparer. En plus de cela, on ne sait plus ce que c’est que de faire un potager. On ne se rend plus compte du travail que cela représente, de l’intérêt de préparer les légumes, de découvrir leurs saveurs, et de ne pas les gâcher au fond du frigo. Je sais que ça a l’air un peu naïf – mais ça fait partie du problème je trouve.

Pour conclure, sur quels éléments voudriez-vous insister ?

Continuer l’aménagement des pistes cyclables, augmenter l’offre des transports en communs. Je n’invente rien de neuf, mais il faut étoffer ce réseau, le densifier. Penser à la vie dans les quartiers lorsque des choix d’aménagement du territoire sont faits. Personnellement je préfèrerais faire mes courses à vélo, mais le magasin n’est pas à côté de chez moi. Et les commerces de proximité sont aujourd’hui principalement des magasins de vêtements, plus que de bouche. Donc on n’a plus la possibilité de s’arrêter fin de journée pour faire trois courses pour le souper.

Mais pour conclure sur une question d’aménagement du territoire, si on pouvait supprimer les panneaux publicitaires je serais vraiment contente !

Valérie Xhonneux

Anciennement: Santé & Produits chimiques