Taxer le secteur aérien : possible dès à présent !

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On estime que les émissions du transport aérien ont doublé depuis 1990 et que les vols génèrent actuellement près de 5% des émissions de gaz à effet de serre1. Par ailleurs, les prévisions ne sont guère réjouissantes étant donné que l’on prévoit, dans l’état actuel des choses, une croissance continue et exponentielle du secteur.

Pour rappel, le transport aérien est jusqu’à 4 fois plus impactant que la voiture (en fonction du taux de remplissage de la voiture). Et surtout, il incite à parcourir de plus longues distances. Il est aussi de 10 à 30 fois plus impactant que le train, selon le type de trains mis en services et des sources d’énergies utilisées pour les faire rouler 2.

Les problématiques de l’impact environnemental du transport aérien et de l’injuste absence de taxation du secteur s’invitent de façon de plus en plus fréquente dans les débats publics. Cette question a été récemment soulevée à plusieurs reprises dans le cadre des manifestations des jeunes pour le climat en Belgique et ailleurs. Elle a été exprimée assez tôt dans le cadre des débats qui ont accompagné le mouvement des Gilets jaunes, portée en France notamment par Jacline Mouraud, figure emblématique du mouvement.

Par ailleurs, les efforts entrepris en parallèle par les aéroports et par les compagnies aériennes pour « verdir » leur image peuvent être considérés comme une réaction symptomatique par rapport à cette lame de fond. A titre d’exemple, une publicité d’une compagnie aérienne passée récemment sur nos antennes, utilisait un « story telling » axé sur la biodiversité, en racontant l’histoire d’un oisillon sauvage qui a envie de quitter son nid : l’avion devient ainsi « naturel » de même que l’envie de voyager… Par ailleurs, l’aéroport de Brussels se targue d’avoir réduit ses émissions de CO2 de 35% par rapport à 2010, en investissant dans des technologies de pointes, en produisant de l’énergie renouvelable et en investissant dans la compensation carbone. L’aéroport se garde bien, par ailleurs, de faire connaître les émissions générées par les déplacements aériens des millions de voyageurs qui y transitent3. Monsieur Magnette a eu lors de l’université d’IEW la belle image suivante à ce propos : « c’est comme avoir un garage zero carbone pour garer une porsche Cayenne »…

Face à ces différentes tendances, la question de la taxation du secteur fait son chemin au niveau de la société civile et dans le débat politique. Certains gouvernements initient des démarches pour que des solutions soient trouvées par rapport à cette aberration en termes de durabilité.

En Europe, le gouvernement des Pays-Bas a rédigé un document de travail qui expose les tenants et aboutissants d’une taxation du secteur permettant d’atténuer son impact environnemental. Plusieurs options sont envisagées : taxe européenne sur les tickets d’avion, taxe nationale, taxe sur le carburant utilisé par les avions et taxation des compagnies aériennes pour chaque vol effectué.

La Belgique a proposé de discuter d’une taxation de l’aviation au niveau européen en ce début du mois de mars au Conseil « Environnement » de l’Union européenne. La taxe est envisagée à ce stade sur les billets d’avion ou sur le kérosène. La Belgique plaide pour l’intégration des émissions de l’aviation au sein des Contributions Déterminées au Niveau national (CDN) de l’Accord de Paris, afin que la responsabilité des Etats au sein de l’Union européenne soit tant individuelle que collective.

Le caractère transfrontalier du secteur rend la question de sa taxation compliquée. Il faut aussi distinguer les vols nationaux et internationaux.

En ce qui concerne la taxe sur le kérosène pour les vols internationaux, Transport & Environment4 confirme, après analyse de la question sur le plan juridique, qu’une telle taxe est possible sous certaines conditions, dans le cadre d’accords bilatéraux entre Etats et en attendant une révision de la Directive de 2003 relative à la taxation de l’énergie. Dans un contexte de concurrence économique entre régions, alimentée par du « chantage » à la délocalisation exercé par les compagnies aériennes, une approche collective impliquant plusieurs états voisins s’avère indispensable.

La taxe sur le kérosène dans le cadre de vols nationaux, elle, est possible depuis 2003. Pourtant, seul les Pays-Bas l’appliquent. Les autres Etats membres de l’Union européenne ont la possibilité de légiférer en la matière, ce qui leur permettrait de faire face aux critiques de plus en plus fréquente dans l’opinion publique relatives aux vols intra-nationaux (les fameux « sauts de puces »), critiques alimentées notamment par le fait que ce type de trajets peut être plus facilement réalisé via d’autres moyens de transport vu les distances.

Une taxe sur les billets d’avion est déjà mise en œuvre par certains pays européens (Royaume-Unis, Suède, France, Allemagne et Italie)5. Elle est du ressort des Etats membres et constitue une façon de contourner l’exonération de TVA dont bénéficie le secteur. Selon T&E, une façon – juridiquement possible – de rendre cette taxe plus efficace sur le plan environnemental serait d’adapter son montant aux émissions de l’appareil. A nouveau, comme pour la taxe sur le kérosène relative aux vols internationaux, une approche commune entre Etats membres est nécessaire afin d’éviter les problèmes transfrontaliers qui pourraient être générés par des taxes non-harmonisées entre Etats. La Commission européenne pourrait également jouer un rôle utile en rédigeant des lignes directrices en la matière.

Pour être acceptable sur le plan social, toute taxe qui serait à payer par le consommateur final devrait tenir compte de la fréquence des vols effectués par celui-ci. Il semblerait que des écarts importants de fréquence de vols existent dans les pays européens (et probablement d’autres régions), entre les personnes qui ne prennent jamais l’avion et celles qui le prennent plusieurs fois par an. Un système de taxe de type « frequent flyer », c’est-à-dire une taxe croissance en fonction du nombre de vol effectués par une même personne tiendrait compte de ces différences. Ce type de mécanisme semble constituer une option intéressante et potentiellement plus populaire que d’autres, selon une étude menée aux Royaume-Unis auprès de 1.750 personnes, et commanditée par l’ONG 10:10 Climate Action6.

Enfin, une taxe par vol est possible. Elle est actuellement envisagée par le gouvernement néerlandais pour tous ses vols cargos. Pour éviter qu’une telle taxe ne soit considérée comme une taxe sur le carburant et ne contrevienne donc aux accords relatifs aux services aériens, il faut qu’elle soit établie en fonction de critères environnementaux plus larges que la seule question des émissions de carbone (dont nous ne minimisons par ailleurs pas l’importance). Intégrer à ces critères les nuisances sonores causées par l’appareil pourrait être une solution dans ce cadre.

Ainsi, diverses options pourraient être mises en œuvre par les Etats membres de l’Union européenne en attendant que les accords internationaux et / ou les législations européennes relatives à la TVA et à l’énergie ne soient révisées. Ces options permettraient aux Etats de répondre à une opinion publique qui questionne de façon croissante l’absence de taxation du secteur (et la concurrence déloyale par rapport à d’autres moyens de transport qui s’en suit) et aux défis environnementaux et climatiques d’aujourd’hui.

A la veille des élections (régionales, fédérale et européenne), il nous semble important d’analyser la façon dont les partis se positionnent sur ces questions.

Et, à ceux qui affirment que « votre voyage en avion est plus vert que votre réfrigérateur »7, nous dirons qu’un réfrigérateur est, jusqu’à nouvel ordre, plus indispensable pour la plupart d’entre nous qu’un voyage de loisir en avion pour un city trip ou autre plaisir éclair.

  1. https://www.transportenvironment.org/news/growing-support-taxing-climate-impact-flying.
  2. https://www.canopea.be/wp-content/uploads/2018/02/dossiertourisme_light.pdf, p. 40.
  3. voir la vidéo sur : https://www.youtube.com/watch?v=TEFF6osjx3k.
  4. https://www.transportenvironment.org/
  5. Cfr https://www.transportenvironment.org/news/growing-support-taxing-climate-impact-flying
  6. http://files.1010global.org/documents/Aviation_briefing_Jan2019_FINAL.pdf
  7. https://www.lecho.be/opinions/carte-blanche/votre-voyage-en-avion-est-plus-vert-que-votre-refrigerateur/10100639.html?fbclid=IwAR235L0uRBGjB7bwRhUkxdrun9E2FRijFI0p-u3urjBu6SMcd5FzZJt-SIM