Taxes automobiles : s’informer avant de tirer

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La Fédération Inter-Environnement Wallonie a, dans les derniers jours de novembre, été violemment attaquée suite à un article de presse. Sur certains forums de discussion, les propos atteignaient une férocité assez impressionnante, des personnes allant jusqu’à suggérer de dynamiter nos locaux ! De quoi s’agissait-il ? D’une proposition de modification de la taxe de mise en circulation (TMC) des voitures, de compétence régionale.
La proposition d’IEW n’est pas neuve en soi. Elle avait déjà fait l’objet d’une importante médiatisation lors de la publication du dossier « taxer plus, taxer mieux » début 2010. Elle avait également été débattue avec les différents groupes parlementaires (CDH, ECOLO, MR et PS), lesquels avaient tous accueilli la philosophie générale d’un assez bon ½il et reconnu la qualité de l’expertise développée par la Fédération. Ceci fut d’ailleurs confirmé dernièrement lors de la séance du 18 octobre de la Commission du Budget, des Finances, de l’Emploi, de la Formation et des Sports du Parlement wallon par le Ministre du Budget (voir le compte-rendu intégral, page 21)[[Le ministre André Antoine au député Disabato : «Inter-Environnement a publié un rapport déjà relativement fouillé, que nous avons non seulement analysé et étudié dans la foulée de nos contacts avec les autres régions. Nous ne sommes pas dépourvus, tant s’en faut, de leur analyse aujourd’hui. Mais bien évidemment, je vous confirme que nous les rencontrerons, comme nous en avons rencontré d’autres, parce que je ne voudrais pas qu’ils soient les seuls, même si c’est un partenaire précieux et indispensable de la Région wallonne. Il y a d’autres secteurs que nous allons rencontrer, mais, rassurez-vous, il en sera ainsi».]].

Dans « l’affaire » qui nous occupe, plus question d’échanges sereins. Il s’agit d’une charge, sabre au clair, contre ces fous d’extrémistes environnementaux, grands adorateurs du triton crêté, bobos friqués ne connaissent rien des besoins du peuple, et qui osent, extrême hérésie, parler de taxer plus encore la voiture ! Sus à ces infâmes !
En fait, ce battage médiatique autour des propositions d’Inter-Environnement Wallonie en matière de fiscalité automobile a pour origine une interprétation très partielle – et parfois très particulière – de notre réflexion en la matière. Comme c’est trop souvent le cas, ce sont ceux qui n’ont pas – ou incomplètement – pris connaissance de nos propositions qui y sont le plus farouchement opposés. Il n’est dès lors pas inutile de rappeler en quelques mots quelles en sont les grandes lignes pour que celles et ceux qui sont prêts à l’entendre puissent débattre en toute connaissance de cause.

A l’origine de la réflexion, un triple constat ;

 la taxe de mise en circulation (TMC) est particulièrement basse en Belgique par rapport aux pratiques dans les autres pays européens : 530 euros en moyenne pour une voiture neuve en Région wallonne contre 1.080 euros en moyenne en Europe ;

 la TMC est calculée sur base des chevaux fiscaux, qui n’ont aucun rapport avec les défis environnementaux : on trouve des voitures 9CV diesel qui émettent 114 gCO2/km, d’autres qui en émettent 198 – et elles sont toutes soumises à la même taxe ;

 le moment de l’achat d’un véhicule neuf est primordial ; d’une part parce que la durée de vie d’une voiture est très longue ; d’autre part parce que la très grande majorité des citoyens, en l’absence de signal clair de la part des autorités, ne portent qu’une attention marginale aux performances environnementales du véhicule acheté ; ceci est bien compréhensible, vu l’abondance de messages publicitaires dont la finalité (et c’est tout à fait normal) est de maximiser les profits des constructeurs, pas de protéger l’environnement – quand celui-ci est mentionné, c’est trop souvent pour orienter les achats vers des véhicules haut de gamme sensément « propres ».

Il est bien sûr nécessaire de prendre en compte de nombreux autres aspects pour nourrir une réflexion complète sur le sujet. Quelques-uns des principaux sont brièvement rappelés ci-dessous.

 La construction d’un véhicule est très polluante. A titre illustratif, les étapes d’extraction des matières premières, de transformation, de construction et de retraitement en fin de vie sont responsables, par véhicule produit (chiffre moyen) de l’émission de 5 tonnes de CO2 (environ l’équivalent de ce qui est émis en roulant 30.000 km) et 0,9 kg de particules fines (ce qui est émis par une voiture neuve de classe Euro5 qui roule 180.000 km).[[Source : Joint research center (JRC ou centre de recherches conjoint, Commission européenne, Environmental improvement of passenger cars, European 2008]]

 Contrairement à toutes les idées reçues, une voiture qui émet moins de CO2 n’est pas nécessairement une voiture chère. Que du contraire ! La façon la plus facile de diminuer les émissions est de faire des véhicules moins lourds, moins puissants, moins rapides – et donc moins chers. Avec un effet très positif sur la sécurité routière (ce ne sont pas les familles des presque 1000 morts annuels sur les routes belges qui nous contrediront). De nombreuses analyses scientifiques mettent en effet en lumière la relation entre poids, émissions polluantes et sécurité (voir par exemple l’excellent site www.securite-routiere.org).

 Les émissions de CO2 du secteur des transports continuent à augmenter de manière incontrôlée (+36% en Belgique entre 1990 et 2008) alors que la lutte contre les changements climatiques (qui font déjà 300.000 morts par an[[Source : Global humanitarian Forum, 2008]]) demande des réductions drastiques (pour les pays développés, une réduction de 25% à 40% est indispensable entre 1990 et 2020…).

 Le système de bonus-malus mis en place en Wallonie début 2008 pour orienter les achats vers des véhicules moins polluants a été terriblement coûteux (près de 150 millions d’euros sur trois ans) pour de bien piètres résultats. Les émissions moyennes ont diminué de 12 gCO2/km entre 2007 et 2009 dans notre Région contre 10 gCO2/km en Flandre et 10 en Région bruxelloise (n’ayant ni l’une ni l’autre adopté de bonus/malus). Le prix de la tonne de CO2 évitée, compte-tenu du kilométrage moyen et de la durée de vie des voitures, est énorme : de l’ordre de 2.000 euros d’argent public par tonne!

 Le transport en commun est en manque cruel de budgets – il sera difficile d’assurer l’équilibre budgétaire en 2011 tout en maintenant le niveau d’offre actuel. Ceci alors que la demande de la population en la matière connaît une croissance soutenue (le nombre de passagers transportés a augmenté de 81% entre 2000 et 2009).

 Les rentrées financières générées par les voitures ne couvrent pas l’ensemble des coûts externes qu’elles génèrent (par coûts externes, il faut entendre ceux associés à la pollution, au bruit, aux accidents, aux soins de santé, aux infrastructures,… et non directement pris en charge par les utilisateurs). Selon la Fédération belge de l’industrie automobile et du cycle (FEBIAC), en 2007, les recettes liées à l’utilisation de véhicules perçues par l’Etat fédéral et les Régions se sont élevées à 12 milliards 285 millions d’euros. Les coûts externes s’élevaient cette année-là à 15 milliards 181 millions d’euros, soit 2 milliards 896 millions d’euros (ou 23,5%) de plus que les recettes de l’Etat.

 Les systèmes d’incitation à l’achat de véhicules sont socialement injustes. Toutes les primes vont aux acheteurs de voitures. Et parfois de véhicules très chers, tels les voitures électriques que seuls les mieux nantis peuvent se payer et dont on n’est pas sûr qu’elles constituent une bonne solution sur le plan environnemental. Rien n’existe pour ceux qui, par exemple, veulent remplacer leur voiture par un vélo ou un vélo à assistance électrique.

 Le système automobile actuel dans son ensemble est fondamentalement inéquitable. Beaucoup de personnes n’ont pas accès à l’automobile – et ce sont généralement celles-là qui sont le plus exposées à ses nuisances[Lejeune et Thibaut : Inégalités écologiques en Wallonie – nuisances sonores et inégalités sociales, IEW, Janvier 2007, [téléchargeable ici ]]. Le souhait de la Fédération n’est certainement pas de tenter de rendre ce système plus inéquitable encore. Par contre, les messages publicitaires qui assimilent faussement voiture neuve à voiture propre font un réel dégât social – dont personne ne se plaint : pression pour acheter du neuf à tout prix, quitte à s’endetter au-delà du raisonnable et forte dévalorisation des citoyens qui, pour des raisons financières, se tournent vers le marché de l’occasion (alors qu’il est parfois beaucoup moins polluant d’acheter une voiture d’occasion qu’une neuve dont la construction est, rappelons-le, fort polluante).

 Les disparités de revenus sont, qu’on le veuille ou non, une réalité dans nos sociétés : il est impératif d’en tenir compte dans la définition de tout nouvel outil fiscal.

 Le coût de l’énergie va très fortement augmenter dans les prochaines années, ceci notamment en raison de la diminution de la production de pétroles conventionnels (l’Agence internationale à l’énergie a dernièrement estimé que « l’âge du pétrole bon marché est révolu »). Rouler risque donc de coûter de plus en plus cher. D’où l’impérieuse nécessité d’inciter fortement les citoyens à acheter des véhicules plus modestes (qui sont aussi ceux qui émettent le moins de CO2). Mais également de développer l’offre de transport en commun.

Sur base de ces différents éléments et d’une analyse des pratiques dans d’autres pays européens (notamment ceux qui ont mis en place des systèmes fiscaux qui permettent de maîtriser les émissions de CO2 des voiture neuves), la Fédération a proposé un système de TMC qui :

 soit proportionnelle aux émissions de CO2 du véhicule : plus les émissions sont importantes, plus la taxe est élevée ;

 ne descende pas en-dessous d’un seuil minimal (500 euros, 250 euros : nous avons fait le calcul dans plusieurs cas de figure, pour alimenter la réflexion politique) ;

 soit globalement plus élevée qu’elle ne l’est actuellement ; cela permettrait de générer des rentrées fiscales dont les transports en commun ont bien besoin pour améliorer leur offre – et cela ne ferait que ramener la Wallonie (rappelons que la TMC est une compétence régionale) dans la moyenne européenne ;

 soit accompagnée des indispensables mesures de correction sociales : ainsi, dans le dossier « taxer plus, taxer mieux », dès l’introduction nous soulignions que « il est nécessaire de prendre en compte, dès la conception des outils et mesures décrites dans le présent document, la dimension plurielle du public des mesures afin d’en supprimer ou, à tout le moins, atténuer autant que faire ce peut les incidences sociales ».

Nous sommes parfaitement conscients des résistances qui peuvent exister face à une telle proposition. Nous l’assumons cependant : elle fait partie des mesures indispensables pour permettre à notre modèle de mobilité d’évoluer vers la durabilité. Toutes les autres mesures que nous préconisons (dont des normes plus strictes pour les voitures, notamment en matière d’émissions polluantes et de vitesse maximale, dont une offre TEC améliorée, dont un réinvestissement dans le réseau ferroviaire, notamment les petites lignes et petites gares, dont le développement d’infrastructures cyclables sécurisées, …) s’inscrivent également dans cette approche générale : diminuer les incidences négatives (environnementales, sociales et économiques) du système de transport actuel. Nous sommes bien évidemment disposés à en débattre avec celles et ceux qui considèrent que l’échange d’idées est plus riche que l’invective – fût-elle pratiquée par citoyens courroucés interposés.