Voitures de société : la sérénité selon la FEBIAC

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Objectiver les faits, adopter une approche globale, amorcer un débat serein sur les voitures de société ? C’est effectivement une nécessité. C’est également l’objectif affiché par la FEBIAC, RENTA et FEDERAUTO en introduction du « Rapport d’étude Company vehicles – Une notion aux multiples facettes », rédigé par KPMG et publié ce 12 juin 2012[ Le document est téléchargeable ici : [http://www.febiac.be/documents_febiac/2012/Cocar_study_FR.pdf.]]

L’intérêt financier qu’ont, en la matière, les commanditaires du rapport semble toutefois rendre impossible l’adoption d’une posture neutre. Dès lors, il convient de mettre en garde celles et ceux qui, faute de temps, ne pourraient pas lire par le menu le document et se contenteraient d’en lire les conclusions principales. La Fédération Inter-Environnement Wallonie, qui a pris le temps de cette lecture en profondeur (et qui, soulignons-le, n’a aucun intérêt financier à la cause…), émet un certain nombre de réserves sur le plan méthodologique comme sur le plan des chiffres, de la manière dont ceux-ci sont présentés et des arguments développés.

Dix points d’attention sont présentés succinctement dans les lignes qui suivent. L’analyse complète se trouve dans ce dossier. Le lecteur (la lectrice) qui veut aller plus loin pourra aussi utilement consulter le dossier que la Fédération a consacré au sujet [Téléchargeable ici : [sur le présent site…]].

1. Quant à la méthodologie

« Notre étude s’appuie notamment sur une enquête à grande échelle (2.000 répondants) menée par le bureau d’étude Indigov » souligne KPMG. Dans l’annexe qui présente les grandes lignes du travail d’Indigov, il apparaît que le taux de réponse à l’enquête a été de 20% pour un échantillon de 2.000 conducteurs (1.000 avec voitures de société, 1.000 sans) – soit, semble-t-il, 400 répondants et non 2.000. Voilà qui nous éloigne peut-être dangereusement (et d’autant plus dangereusement que des sous-catégories sont établies selon le type de conducteurs) de « l’analyse pertinente en termes statistiques » revendiquée par la Febiac et consorts.

2. Voiture de société ou voiture de société ?

KPMG prétend clarifier les chiffres et les concepts relatifs à la voiture de société et affirme se concentrer sur « les voitures utilisées dans un contexte professionnel », mais n’adopte pas de définition claire et univoque de la voiture de société valable tout au long du document. Le flou est maintenu et l’acception communément admise (notamment dans plusieurs travaux universitaires) de « voiture salaire » n’est donc pas de mise – ou pas tout le temps – dans le document de KPMG.

3. Le parc et les immatriculations

L’augmentation du nombre de voitures immatriculées au nom d’une société est telle que, malgré leur part relativement modeste dans le parc (12,8% en 2006 et 14,5% en 2011), elle maintient la croissance du parc automobile bien au-dessus (8%) de la croissance des seules voitures privées (5%). Ce n’est pas en ces termes que sont présentées les choses par KPMG qui préfère souligner que « Par rapport aux voitures privées et aux voitures d’indépendants, la part des voitures de société a augmenté de 2 % ».

4. La délicate question de l’âge…

KPMG n’a pas évité le vieux raccourci régulièrement emprunté par l’industrie automobile et qui associe voiture neuve à voiture (plus) respectueuse de l’environnement. Sans redévelopper une argumentation déjà présentée dans la lettre d’information de la Fédération, rappelons rapidement que :(1) le bilan environnemental d’une voiture doit être établi sur la totalité de sa durée de vie (construction comprise, donc) ; (2) outre l’âge de la voiture, d’autres paramètres influent sur sa consommation (poids, puissance, vitesse de pointe) ; (3) les motorisations modernes émettent parfois d’avantage de particules fines (en nombre) que les motorisations anciennes et d’avantage de particules ultrafines, les plus nocives pour la santé.

5. Il y a segment et segment

Généralement, en Europe, les voitures sont segmentées sur un continuum allant de « minis » à « berlines de luxe » en passant par « citadines », « compactes », « familiales » et « routières » (les appellations pouvant cependant varier quelque peu). KPMG a opté pour une segmentation « hybride » : d’une part, trois segments par taille (« petites », « moyennes », « grosses »), d’autre part, quatre segments par type (« sportive », « ultra sportive », « camionnette dérivée », « SUV »). Cette approche ne participe pas à clarifier les termes du débat.

6. Les kilomètres roulés

Une étude universitaire publiée en 2009[[Castaigne et al. : Professional mobility and company car ownership (PROMOCO), Science for a sustainable development, 2009, page 69]] établit que des personnes au profil identique, c’est-à-dire de même sexe, habitant à la même distance de leur lieu de travail et devant réaliser avec la même fréquence des déplacements professionnels, auront tendance à parcourir en moyenne 9.200 kilomètres supplémentaires si elles disposent d’une voiture de société. L’enquête Indigov, sur laquelle se base KPMG, chiffre à 738 km la différence entre actifs disposants d’une voiture de société et actifs n’en disposant pas…

7. CO2 : comment présenter les choses ?

KPMG présente les chiffres relatifs aux parcs de voitures : entre 2006 et 2011, « la moyenne des émissions de CO2 par les voitures privées a diminué un peu plus vite (-14 g/km) que celle des voitures de société (-12 g/km). » Les dynamiques de renouvellement des voitures étant fort différentes, il nous paraît plus opportun de présenter les évolutions des voitures neuves. Selon les chiffres publiés par la FEBIAC, sur la période 2007 à 2010, les émissions des voitures de société neuves ont diminué de 10,6 g/km (de 157,4 à 146,8) tandis que celles des voitures neuves immatriculées par des privés ont diminué de 17,4 g/km (de 147,1 à 129,7).

8. La sécurité routière

« Par 10.000 kilomètres parcourus, les personnes exerçant une activité professionnelle avec un véhicule de société enregistrent moins d’accidents en tort » nous apprend KPMG. Ceci ne signifie pas grand-chose, car il n’est nulle part fait mention de la gravité des accidents. Or, chacun s’accordera à dire qu’un rétroviseur brisé n’équivaut pas à la perte d’une vie humaine !

9. Une inégalité sociale fantasmée ?

« Les véhicules de société ne sont pas l’apanage des personnes avec un haut niveau de formation. Ainsi, 15 % des personnes actives professionnellement avec un diplôme de l’enseignement secondaire supérieur disposent d’un véhicule de société » souligne KPMG. Ce qui n’a pas empêché Indigov de déterminer le profil du conducteur de voiture de société en prenant en compte « le sexe, l’âge, le diplôme le plus élevé et le profil de fonction » comme spécifié dans l’annexe méthodologique !

10. La fiscalité

KPMG dénonce avec véhémence la modification du calcul de l’avantage de toute nature (ATN) entrée en vigueur au premier janvier 2012 : « Une augmentation substantielle de l’avantage de toute nature lié à la voiture de société réduit encore le salaire net du travailleur belge concerné » (page 8). Ce « substantielle » doit être relativisé Pour la voiture de société « moyenne » (diesel, 145 gCO2/km, 28.000 euros), l’ATN déclaré passe de 180 (ancien système) à 210 euros (nouveau système) par mois. Soit, au taux marginal d’imposition de 47%, une différence de taxe de 14 euros mensuels[[P. Courbe, Voitures de société : oser la réforme !, Fédération Inter-Environnement Wallonie, Namur, décembre 2011, page 63 !]]

11. Pour conclure

« Le thème des voitures de société revient régulièrement dans les médias. Ces derniers évoquent alors, en grande majorité, d’énormes berlines ou SUV qui polluent sans vergogne, engendrent nombre de files et d’accidents, ne sont que peu ou pas taxés, et peuvent être utilisés sans limites par leurs conducteurs » déplorent Febiac, Renta et Federauto. Nous craignons que leur document, dans lequel les tentatives d’argumentation partisanes sont nombreuses, ne fasse que renforcer le malaise entourant les voitures de société, si néfaste à l’instauration du climat nécessaire à un débat serein.

Ceci était malheureusement un peu prévisible… Car en confirmant l’équation « voiture = réussite sociale » (le « standing » et la taille de la voiture dépendent non des besoins réels mais de la fonction occupée par le salarié), le système des voitures de société contribue à renforcer l’image positive de la voiture et donc sa prédominance dans nos comportements de mobilité. C’est peut-être là l’aspect tout à la fois le moins débattu et le plus impactant des voitures de société. Conscientes de cet aspect des choses, les fédérations sectorielles ont tout avantage à tenter de pérenniser le système.

Pour terminer sur une note réellement neutre, nous laisserons le mot de la fin au Conseil supérieur des Finances pour lequel : « Il faut aller progressivement vers la suppression du régime fiscal particulier des voitures de société et aligner la taxation de l’avantage de toute nature sur celle des salaires, tant dans le chef de l’employeur que dans le chef du salarié. » [[Conseil supérieur des Finances, Section « Fiscalité et parafiscalité », La politique fiscale et l’environnement, septembre 2009]]