Win-win perdant

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Il est de ces expressions qui garnissent le discours politique, et qui semblent porter en elles des telles évidences qu’on les répète à l’envi, sans plus y réfléchir. Le win-win est l’une d’elle : partenariats win-win et stratégies gagnant-gagnant ont fleuri ces dernières années, s’imposant progressivement au point d’occuper une place incontournable dans la pensée et dans l’action politique.

Du win-win à toutes les sauces

Veut-on résoudre la crise structurelle et le chômage endémique qui nous frappent ? Rien de plus simple avec un plan d’embauche win-win ! Grâce à ce « plan d’embauche massif », les chômeurs voient leurs chances de trouver un emploi démultipliées, tandis que les entreprises bénéficient de « déductions salariales exceptionnelles ».

Comment gérer le fait que « toute la misère du monde  » a les yeux tournés vers l’Europe et son mode de vie privilégié ? Que celles et ceux qu’on désigne ainsi sont prêts à tout quitter pour tenter, au péril de leur vie, d’arriver jusqu’à un rivage – le nôtre – où l’espoir d’une vie meilleure est permis ? Super facile, avec une politique d’immigration win-win !

Entreprises et associations portent en elles des visions du mondes incompatibles ? Deux heures de bourse d’échange win-win, et le tour est joué ! A présent « un bureau de consultance local apporte son aide à la création du site web d’une association en échange de quoi cette association diffuse dans tous ses événements et dépliants les logos de l’entreprise  ».

Le win-win est aussi censé résoudre la crise environnementale. Ainsi, les primes pour « voitures vertes » ont été présentées comme bénéfiques pour l’environnement et pour le portefeuille du consommateur, tout en soutenant l’industrie automobile. On parle alors de win-win-win, et peu importe si dans la réalité tout n’est pas si vert… car avec le win-win, on peut même résoudre le problème insoluble du stockage à long terme des déchets nucléaires ! Alors, que demander de plus…

Tous sur le même bateau ?

Une petite recherche encyclopédique nous apprend que « dans une situation win-win, chaque partenaire peut augmenter ses gains tout en s’inscrivant dans une logique où les autres partenaires augmentent également les leurs ». Il ne s’agit donc pas d’amour de prochain ou de philanthropie, mais de situations particulièrement bien fichues, où la recherche égoïste de mon intérêt propre m’oblige à être solidaire de l’intérêt d’autrui.

C’est le navire avarié qui tente de rejoindre le rivage et où tout le monde à bord est absolument nécessaire pour s’en sortir… le genre de situation où même des frères ennemis coopèrent étroitement. Las, il y a des contre-exemples ! Si notre navire coule et que par malheur les places dans les chaloupes de secours sont en nombre insuffisant, finie la solidarité et place à la bagarre pour la survie, à l’instar de ce qui s’est passé sur le Titanic.

Pour le lecteur intéressé par la chose, la théorie des jeux donne de multiples exemples de situations où les joueurs ont intérêt soit à s’inscrire dans la compétition (parfois jusqu’à trahir), soit à coopérer (parfois jusqu’à se sacrifier) en fonction des règles utilisées bien sûr, mais aussi des stratégies utilisées par les autres joueurs : on ne se comporte pas de la même manière face à la fourberie et face au fair-play…

Bref, c’est le contexte qui détermine si une stratégie win-win est possible ou non. Alors bien sûr, les situations qui s’y prêtent doivent idéalement être exploitées sur un mode win-win. C’est une évidence qui tient de la lapalissade. Mais ne soyons pas dupes : les situations propices sont loin d’être universelles…

Winnie l’Ourson Premier Ministre

En politique, puisque c’est là que nous voulons en venir, le win-win est atrocement séduisant. Réussir à avoir l’ensemble des parties prenantes satisfaites – ou à tout le moins ne pas faire de mécontent – est une ambition honorable… et qui peut s’avérer payante électoralement !

Le couac, c’est que si la logique du win-win s’impose comme unique mode de gestion, nous risquons bien de voir nos valeureux décideurs réduits au rôle de facilitateurs, chargés de « lever les freins » qui empêchent les changements profitables, pour se muer ensuite en communicants, une fois que tout le monde il est content…

Il nous semble donc d’utilité publique de le rappeler : l’approche win-win est totalement inopérante face à nombre de problèmes sérieux qui ne se plient pas à cette logique. Un exemple surréaliste est donné par la politique européenne en matière d’agrocarburants : après des années de tergiversation, la Commission propose actuellement de ne comptabiliser qu’une partie des émissions connues de gaz à effet de serre liées aux agrocarburants (environ la moitié). Pourquoi ? Parce qu’en comptabiliser la totalité mettrait en péril certains investissements industriels qu’elle a elle-même encouragé il y a quelques années. Mais on ne peut pas avoir le lard et le cochon, et cette tiédeur politique est en train de jeter un lourd discrédit sur la politique climatique européenne.

A ne pas vouloir voir les intérêt intrinsèquement antagonistes d’une série d’acteurs, à ne vouloir fâcher personne, en refusant d’arbitrer et de siffler la faute, on entre dans un jeu qui in fine, pourrait bien s’avérer perdant-perdant. Car elles existent aussi ces situations où la recherche rationnelle par chaque acteur de son intérêt propre mène inexorablement à un résultat néfaste pour tous. Je vous laisse trouver des exemples ?

Alors appelons les choses par leur nom et dépassons les partenariats chèvrechoutistes et autres stratégies mi-figue mi-raisin. Il est temps que le politique reprenne son véritable rôle, qu’il se souvienne qu’il est là avant tout pour défendre l’intérêt général, et que pour ce faire, il a aussi dans son attirail des cartons rouges. Winnie peut retourner jouer avec Bouriquet. Car il est illusoire de clamer qu’« on a besoin de tout le monde » pour faire face aux défis environnementaux et sociaux actuels. Certains acteurs aux intérêts solidement établis jouent une autre partie (notamment ceux-ci et ceux-ci, ou encore ceux-là et ceux-là). Tant qu’ils poursuivront les intérêts qu’ils poursuivent, ils feront – quoi qu’ils en disent – plus partie du problème que de la solution.